L’Irlande est une république à la tête de laquelle se trouve un président.
Sans véritable pouvoir, le président limite son rôle à inaugurer les chrysantèmes.
Les élections pour élire le prochain président auront lieu dans quelques semaines, le 27 octobre prochain. Deux candidats attirent mon attention.
D’abord David Norris, qui est un spécialiste de James Joyce. Je vais essayer de décrocher un entretien avec lui avant les élections, afin qu’il me parle du grand écrivain. Il est controversé parce qu’il est le premier politicien à être ouvertement homosexuel, et que son élection ferait grand bruit dans un pays encore très catholique. De plus, son nom a traîné dans des scandales, sur lesquels je ne m’étendrai pas.
Ensuite, et surtout, la candidature de Martin MacGuinness. Jusqu’à la semaine dernière, MacGuinness était un des hommes les plus puissants d’Irlande du nord. Il était l’une des deux têtes du gouvernement de la province (Deputy First Minister of Northern Ireland), « job » qu’il a décidé de laisser tomber pour aller se battre de l’autre côté de la frontière.
Dans le nord, membre du Sinn Fein, ex-dirigeant de l’IRA, il est honnis par les loyalistes, et par de très nombreux britanniques, qui l’accusent de meurtre. Le journal le plus modéré dans la tendance protestante/unioniste, parle toujours de lui comme un ancien terroriste reconverti dans la politique. Des universitaires de gauche (mais protestants) m’ont clairement dit que c’était un assassin.
Le Belfast Telegraph « informe » que la candidature de MacGuinness est indécente, que c’est une insulte faite aux victimes de l’IRA, que les Irlandais ne l’aiment pas de toute façon. Pourtant, un sondage très récent le crédite de 16% d’intention de vote, en troisième position derrière Norris-le-Joycien (21%) et Michael Higgins (Labour party, 18%).
Mon ami Barra me dit que c’est bizarre de la part de MacGuinness. Qu’il risque de perdre tout son crédit dans le nord, et de ne rien gagner dans le sud.
Pour moi, c’est plutôt la marque d’un grand stratège. Après avoir incarné la lutte des Irlandais, puis leur accès aux postes à responsabilité, après avoir été un des plus grands artisans du processus de paix, et être devenu un personnage historique, il se lance dans une bataille extraordinaire, car inattendue. Il prend tout le monde par surprise.
Originaire du nord, de Derry, il croit tellement que l’Irlande est son pays qu’il se sent légitime pour en prendre la tête.
Ce qui est brillant, dans ce geste, c’est qu’il oblige les Irlandais « du sud » à ne pas oublier la question de la réunification de l’Irlande. Même s’il perd, il aura remis l’Irlande du nord au centre des débats.
Les journaux anglais, et mêmes ceux de gauche, sont très inconfortables avec cette candidature, et continuent d’appeler MacGuinness le « boucher du nord », et ne peuvent oublier le fait qu’il a été dirigeant d’une organisation qui a tué. En temps de guerre, c’est vrai que l’on tue. Mais les Britanniques, très prompts à traiter les Français de colonialistes dès que l’on touche à des foulards islamiques, ont toutes les difficultés à percevoir du colonialisme dans la situation de l’Irlande du nord. Donc ils ne perçoivent pas les conflits des dernières décennies comme une guerre.
Beaucoup de gens aimeraient que l’on arrête de parler de tout cela, des Troubles, des conflits, des tensions communautaires. Beaucoup disent qu’il faut « tourner la page », mais sans jamais oser dire nettement à quel pays ils veulent que l’île appartienne. La candidature de MacGuinness est là pour rappeler une chose simple et têtue : il est anormal que le nord de l’Irlande soit britannique (c’est lui qui pense cela, pas moi! Moi je n’ai pas d’opinion, tout cela est bien trop compliqué!) De même qu’il est anormal que les Antilles soient françaises (ça c’est moi qui le rajoute, et qui le pense).
Je ne sais pas si nous avons un expert de Proust dans le lot des candidats pour la présidentielle de 2012 en France…
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Pourquoi dis-tu cela, enigmatique Cochonfucius?
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C’était juste une remarque en passant; il m’a semblé que des individus qui se plongent à la fois dans l’univers d’un écrivain grandiose, et dans la politique au jour le jour, ne se rencontrent pas couramment chez nous. La place des poètes en Irlande est comparativement plus grande, sans doute.
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Trés bonne question de Cochonfucius…
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Pas de poétes, pas d’écrivain, pas d’humanistes ou de partisan d’un néo humanisme aux présidentielles françaises…c’est triste.
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