Dans le centre social et culturel de mon quartier, le Village, il y avait hier une réunion d’information concernant les prochaines élections en République Démocratique du Congo, anciennement Congo belge.
Le modérateur était un Congolais, ancien jésuite et dirigeant le « Congo Support Project« . Très éloquent, il venait de Londres, où il habite, et il était un expert en réunion publique. Il y avait aussi un universitaire local, qui enseignait je ne sais quoi dans ma propre fac (l’économie, peut-être), et qui connaissait le Congo surtout par rapport aux pays anglophones frontaliers.
Il ne saurait y avoir de telles réunions sans une représentante d’Amnesty International, qui avait noté son intervention dans un cahier d’écolière, et qui a dit, et répété, que « des enfants étaient battus, violés et torturés » au Congo. Toutes les mentions de violences et d’exactions étaient accompagnées de soupirs désapprobateurs dans l’assemblée. Il me semble que dans ce type de regroupements, les gens viennent surtout pour s’indigner et se repaître des paroles atroces qui ne manquent jamais d’être prononcées lorsqu’on parle d’une dictature.
Heureusement, la présence de deux Congolais qui vivent ici, à Belfast, a donné une sorte de couleur locale à l’événement. Une femme, Mimi, dont la demande d’asile a été refusée récemment, et Emmanuel, un jeune diplômé des universités anglaises, qui travaille comme « programmateur Java » (c’est ce qu’il m’a dit) dans une banque, et qui a présenté la situation dans son pays d’origine avec une calme autorité.
Mimi, tout le monde la connaissait car elle était à l’instigation de cette réunion. Elle avait réussi à toucher du monde, par l’intermédiaire de sa paroisse (le Ministry of Grace Christian Fellowship, dirigé par « Pastor Sam » qui était présent pour le Congo libre), et par celui du Friendship Club, un club où se réunissent tous les jeudis soirs des étrangers, des immigrés et des bonnes âmes, dans un café très agréable (et à tendance caritative naturellement) près de la fac.
Il y avait donc un mélange très intéressant et diablement séduisant dans cette salle polyvalente de mon quartier protestant : des Congolais et des religieux nord-irlandais, des Français et des européens de l’est. Quelques créatures de rêve, comme cette jeune femme qui parlait anglais et qui se trouvait être une Portugaise d’origine congolaise, ou angolaise. Des créatures de rêve, il y en avait des Caucasiennes aussi, les Africaines n’ont pas le monopole de la beauté. Mais en voyant la classe, la morgue et le déhanché des jeunes femmes noires, j’ai repensé aux lignes discutables qui ouvrent l’autobiographie de Grisélidis Réal :
« J’ai toujours aimé les Noirs.
Le noir, couleur du mystère, s’inscrit dans l’ombre de toutes choses et les pénètre comme un philtre, les ramenant à la grande nuit des origines. La race noire est bénie, elle exalte sur le poli de ses corps de basalte le renoncement à la lumière et la chaleur nocturne où toutes les souffrances viennent s’anéantir.
La couleur noire n’existe pas. » Le noir est une couleur, 1974.
Pour ce qui est du Congo (RDC, mais je ne sais pas dans quelle mesure le Congo Brazzaville est mieux loti que le Congo Kinshasa dont il était question hier), les souffrances semblent loin de s’anéantir. Les élection prévues le 28 de ce mois ne sont pas vraiment en voie de se dérouler de la manière la plus transparente.
Professeur Noel Mbala, du parti d’opposition Congo-Pax, nous a parlé avec beaucoup d’élégance. Sa femme, Marie-Thérèse Nlandu Mpolo Nene, s’était présentée aux élections de 2006. Il disait que le Rwanda avait fait la une des journaux à cause de cent mille morts, alors que personne ne parle de la RDC alors qu’il y a eu six millions de morts. Soupirs et lamentations dans l’auditoire.
Quand le public a pris la parole, c’était pour clamer son émotion. La prégnance de la religion était palpable. Tout le monde appartenait à une chapelle et militait pour l’idée que si chacun fait un petit effort le monde en sera meilleur.
C’est donc dans un esprit de boy scout qu’arborant ma moustache de novembre, je suis allé me servir de petit biscuits et de café instantané. Une charmante vieille dame nous a dit que Mimi appartenait à la même congrégation qu’elle, et que le lendemain, dimanche, le pasteur Sam officiait dans ces mêmes locaux à 11h30. « Do you want a wee card ? » m’a demandé la dame. « I would love a wee card« , I said.
Sait-on jamais, il n’est pas impossible que je retourne voir les Congolais de Belfast, à deux pas de chez moi, pour chanter des bondieuseries et me sentir appartenir à quelque chose. Tous les mercredis à 19h00 et les dimanches à 11h30, Richview Regeneration Centre, 340 Donegal Road, Belfast BT12.
what is a wee card, please ?
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Une petite carte.
En Irlande du nord, il y a cette sorte de politesse où l’on fait précéder les noms de ce « wee » pour rendre son énonciation plus modeste : « Take a wee seat », « Here’s your wee receipt », etc.
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« Le noir, couleur du mystère, s’inscrit dans l’ombre de toutes choses et les pénètre comme un philtre, les ramenant à la grande nuit des origines. La race noire est bénie, elle exalte sur le poli de ses corps de basalte le renoncement à la lumière et la chaleur nocturne où toutes les souffrances viennent s’anéantir.
La couleur noire n’existe pas. » Le noir est une couleur, 1974.
Je trouve cette citation très belle, et en même temps il y a toujours ce mélange de désir, peut-être d’envie, et de bêtise (c’est quoi, la « grande nuit des origines », on a l’impression que les Noirs sortent d’une caverne, et le « renoncement à la lumière », comme s’il y avait une fatalité obscurantiste en Afrique. On retrouve le même genre de choses chez Senghor, le grand poète sénégalais, dans son très beau poème, « femme nue, femme noire » : « femme nue, femme obscure, fruit mûr à la chair ferme, sombres extases du vin noir, bouche qui fais lyrique ma bouche … » à la fois très beau et très con, très amoureux et vaguement insultant pour les Noires.
Quand tu parles de « la classe, la morgue et le déhanché » des jeunes femmes noires, on se dit que la précision sur les « caucasiennes aussi » n’est qu’une clause oratoire.
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Appartenir à un groupe, oui, cela peut aider.
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