Rue des voleurs, de Mathias Enard

C’est un des livres de la rentrée littéraire qui m’attiraient le plus. Des destins d’immigrés, de migrants, connectés aux « printemps arabes », et une écriture qui crée un écho avec le grand voyageur arabe Ibn Battuta (à propos de qui j’ai écrit un billet qui explicite le rapport aux femmes africaines).

Deux amis marocains finiront à Barcelone, l’un cherchant sa voie dans l’intégrisme religieux, l’autre dans la culture et l’amour. C’est une bonne idée de roman contemporain, qui mêle très habilement les grands thèmes qui travaillent notre société.

Le roman est bâti sur une toile de fonds qui, d’ailleurs, est aussi très en phase avec la vie contemporaine, et qui est trop souvent occultée : le tourisme de masse. Ici, toute la narration est provoquée par et dans une réalité au prise avec le tourisme. Les deux villes principales du roman, Tanger et Barcelone, sont de fait des monstres de tourisme. On pense à elles à travers des filtres littéraires, festifs, cinématographiques, elles sont toutes deux des clichés. Or, c’est grâce à ce tourisme devenu massif que les héros rencontrent des Espagnoles en visite, c’est grâce au tourisme que les voleurs vivotent en chapardant des porte-feuilles. C’est grâce au tourisme qu’ils peuvent trouver des petits boulots. C’est grâce au tourisme que des islamistes peuvent se retrouver incognito à Barcelone, pour préparer un attentat sous couvert d’être là pour « voir du pays ».

Une fin décevante, que je vais raconter 

Un des deux héros tue son ami pour lui éviter de commettre le pire. Je dévoile donc la fin, mais comme je ne dis pas qui tue qui, ni pour quelle raison, j’ai l’impression de ne pas… dévoiler la fin.

Le geste de tuer son alter ego, qui est si beau et poignant dans Des souris et des hommes de John Steinbeck, semble ici relever d’un procédé romanesque. A le lire, on sent un peu que le romancier prépare le lecteur à cela en rendant, autant que possible, ce geste fou plausible. Alors oui, c’est plausible, mais, je ne sais pas comment le dire autrement, on y croit comme dans une fiction construite. On reste extérieur.

Tout le roman, d’ailleurs, me paraît ressortir à une série de recettes bien maîtrisées. Tout est bien construit, bien crédible et mesuré, l’ensemble est intelligent, mais, au final, un peu emprunté. J’ai l’impression d’être à la place de l’auteur qui gère le bon équilibre entre narration, description, références littéraires (Ibn Battouta !), et réflexion. Tout est bien calibré, et il manque quelque chose.

6 commentaires sur “Rue des voleurs, de Mathias Enard

  1. Oscar Wilde :

    Some do the deed with many tears,
    And some without a sigh:
    For each man kills the thing he loves,
    Yet each man does not die.

    (Certains en versant force larmes
    Et d’autres sans la moindre alarme ;
    Car chacun fait mourir l’objet de son amour,
    Sans pourtant que chacun soit pendu haut et court.)

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  2. Ibn Battuta est disponible en ligne http://classiques.uqac.ca/classiques/ibn_battuta/ibn_battuta.html . Quand on peut lire des histoires pareilles, pourquoi lire des romans ? A part ça, le Sage précaire reproche à un écrivain d’avoir fait son métier: composer un livre qui fait croire à son éditeur que les lecteurs l’achèteront. On peut faire le même reproche à Houellebecq (à partir de son troisième roman). Assembler des composants romanesques existants et en faire quelque chose qui fonctionne. Tout le monde ne peut pas être génial (inventer un composant nouveau). Et puis de temps en temps on a l’impression que l’écrivain avait vraiment besoin d’écrire, pas seulement de faire son métier, et c’est ça qui rend un livre passionnant, même s’il est mal bâti. Le critique m’a gâché le plaisir, mais je lirai quand même, si le démon des bibliothèques le remet sur mon chemin.

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