Dans ma série de documentaires radiophoniques sur les Cévennes, après avoir exploré la culture locale et interviewé des gens du cru, je veux m’attaquer aux « margoules ». Les margoules, c’est les « zippis » comme on dit ici, les chevelus, les néos. Ceux qui viennent on ne sait d’où et qui font on ne sait quoi. Les margoules ce sont des gens comme le sage précaire, en définitive, en quelques points identiques. Sauf qu’ils pensent que l’on peut changer le monde, ce que la sagesse précaire évite de professer.
Les tribus que j’ai approchées m’ont conseillé d’aller les rejoindre au « Souffle du rêve », un étrange festival alternatif perdu au milieu d’un désert. Depuis le Vigan, il suffit de monter sur le Causse de Blandas, et de suivre l’unique route qui traverse le plateau. La steppe caussenarde est un endroit idoine pour les rencontres de constructeurs de yourtes. Il y souffle, non un rêve stricto sensu, mais une désolation toute mongole.
J’y ai pris pas mal de sons. Je promenais mon micro et adressais la parole à celles et ceux qui pouvaient éclairer ma lanterne sur ce regroupement dont je ne savais rien. Je me suis aperçu qu’être armé d’un micro, c’était le meilleur moyen de ne pas m’emmerder dans des ambiances et des communautés qui me sont étrangères. Et puis, c’est une manière formidable d’aborder des belles femmes sans avoir l’air trop louche.
Dans la « yourte Mama », où s’affairaient la fourmilière des organisateurs et des bénévoles qui n’avaient pas le temps de me parler, j’ai été accueilli par la comptable (chez eux, on dit « animatrice du trésor »). Elle m’a expliqué longuement, gentiment, avec le sourire et une bonne humeur communicative, ce qui l’avait amenée là, sur un causse, au milieu de ces va-nu-pieds.
Moi qui croyais que c’était un petit festival de musique aborigène, et autres transes mystiques, j’ai dû aller sur place pour me rendre compte qu’il s’agissait d’une sorte de foire de la coolitude, un village de schtroumpfs en dreadlocks.
Sur un large espace très puissant visuellement, sont répartis des habitats de plusieurs formes et de différentes structures, à l’intérieur desquels on voit des gens en pleine discussion. On appelle cela des « cercles de parole ». Sous un tipi, un homme entre deux âges tient le sceptre, le « bâton de parole » entre ses mains. Il demande à l’assemblée de réagir à ses paroles. On lui fait comprendre par des gestes qu’on ne peut pas lui répondre car c’est lui qui a le bâton de parole. Dans une yourte miniature, un cercle de parole est annoncé par le titre de « Rêver sa vie » : un homme y partage son expérience de vie, sa trajectoire qui l’a mené d’échecs scolaires en échecs sentimentaux, jusqu’à ce qu’un stage chez Pierre Rahbi lui ouvre de nouvelles perspectives. Tout le monde est d’accord pour dire que le « système » est foutu mais que l’on peut se servir dudit « système », que l’on n’est pas obligé d’y être assujetti.
Au dehors, la majorité des jeunes gens retiennent mon attention par une élégance et une désinvolture très étudiées. C’est un défilé de mode constant, et c’est ce qui me réjouit le plus. Les femmes sont belles, les hommes bien foutus, et beaucoup portent une attention extrême à leur apparence, leur démarche, leur façon de bouger. Il s’agit de dégager de soi une impression de sagesse, de puissance mystique et d’autonomie. Essayez devant votre miroir, vous verrez comme c’est difficile.
Tout le monde, d’ailleurs, est comme incité à faire preuve de sérieux. Les ateliers de toute sorte (massage, yoga, danse, méditation, maquillage, tresse indienne) se font dans une ambiance austère et recueillie. Même et surtout l’atelier tambour, qui consiste à fabriquer, puis à frapper sur, des percussions élémentaires, exige la plus grande rigueur. On fait boum boum en cercle, et cela nous renvoie à une conception de l’énergie, une rentrée en soi et une communion avec le monde.
L’austérité est même un brin puritaine, m’a-t-il semblé. Ces beaux corps exhibés, ne sont guère érotiques. Garçons et filles ne se regardent pas, ne se touchent que pour s’apporter de la paix. Si ça ne tenait qu’à moi, je proposerais des séances d’amour tantrique à la ronde, mais je sens confusément qu’on flairerait chez ce reporter bedonnant le tendre cochon qui ne sommeille jamais tout à fait. Je peux me tromper, mais j’ai eu la sensation que de nombreuses personnes étaient pourtant venues dans l’espoir secret de se taper un mec ou une nana (au moins). Simplement, ils aimeraient que le rapport sexuel puisse être la conséquence naturelle des activités susmentionnées. La drague, comme l’alcool, est selon toute apparence proscrite.
L’alcool est interdit au Souffle du rêve, mais pas le tabac ni le pétard. Il serait d’ailleurs difficile de se passer de la cigarette, tant elle fait partie de l’attribut et de l’accessoire fashion des gens cool. Elle implique une gestuelle, un rituel, qui fait partie intégrante de la panoplie des festivaliers. L’alcool, on peut s’en passer plus aisément car ça fait un peu beauf, ça fait supporter de foot. La clope roulée, en revanche, c’est la baguette du magicien bio, le signe tolérant du rastafari cévenol.
J’aborde une jeune femme, le micro éteint, pour solliciter un entretien : « Normalement je refuse mais ça dépend ; tu viens d’où et tu travailles pour qui ? » je réponds que je suis nomade et que mon reportage sera proposé à Radio France International. Elle réfléchit deux secondes et tranche : « Si j’ai quelque chose à te dire, je viendrai te voir. »
J’en aborde une autre, superbe et curieuse de mon attirail. En fait c’est elle qui me demande ce que je fais là. Elle refuse de se faire interviewer car elle n’est pas certaine d’adhérer pleinement aux tenants et aboutissants du festival. Elle est étonnée de m’entendre répondre que c’est justement une parole comme la sienne, fragile et incertaine, qui serait intéressante, à côté de celle des organisateurs qui savent manier l’argumentaire commercial. Elle ne cède pas, et je n’insiste pas. Elle dit venir d’Avignon et ne pas savoir combien de temps elle restera. Nous nous présentons l’un à l’autre et nous serrons la main. Je la verrai cinq minutes plus tard en train de méditer en tailleur, au son des cymbales d’un groupe qui m’apparaissait comme amérindien.
Les enfants ne sont pas en reste et s’amusent bien. C’est une chose à signaler : le Souffle du rêve peut fonctionner comme une grande colonie de vacances presque gratuite. Les nombreux ateliers susceptibles d’accueillir des enfants permettent aux parents d’aller fumer clope sur clope pendant des heures en devisant sur la vie saine. Les gens qui s’occupent de ces ateliers sont comme des monos sans BAFA mais non sans compétences, et sont ravis d’avoir des enfants avec eux, pour faire des marionnettes en mousses, de la sculpture sur pierre ou de la construction d’habitat nomade.
Je dis une colonie de vacances presque gratuite, car la question de l’argent est là aussi austère et protestante : tout est à « prix libre conscient ». C’est-à-dire qu’on donne ce qu’on veut, compte tenu que le truc a coûté 3 euros, et que des gens ont donné du temps et du cœur pour le faire. Il s’agit de donner ce qui nous paraît faire preuve d’assez de respect pour le travail effectué. Tout achat est donc une espèce de don philanthropique. Résultat, je n’ai rien bu ni rien mangé de la journée, de peur de dépenser trop peu et de montrer ainsi trop peu de respect.
Avant le salon de l’agriculture de Paris, je suggère donc aux amoureux de la nature de se rendre à cette fête de la congrégation générale des alternatifs réunis.
Et en plus il a fait beau !
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houhouhou hahaha,
combien c’est drôle tout ça!
Merci
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Merci Vanessa, je suis content que tu trouves ça drôle.
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Des marionnettes en mousse, ça c’est intéressant…
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La schtroumphette de ce lieu rêvé
ne t’a-t-elle pas soufflé au micro (sans l’avaler)
qu’elle ne s’abusait pas avec des mythes___?
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Ça y est j ai lu l article, je comprend eric, c est tout de même inutilement blessant sur le fond, tu te moque en deux secondes d un travail énorme, dans quel état fus tu la haut? Briseur de rêve
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Oui ? J’invite celles et ceux qui se sont sentis froissés par mon billet à venir s’exprimer à mon micro. Je pourrais faire un reportage en trois parties : le montage de mes prises de sons au festival, la lecture de mon billet, et la mise au point faite par les souffleurs de rêve eux-mêmes.
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et bien bravo pour ce super reportage ,mais je pense que tu n avais pas les yeux en face des trous,vue que ta fixer sur les femmes,la cloppe,et les tenues vestimentaire,qui sont un peu les mamelles de notre société actuel.
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Salut à tous,
ne vous laissez pas abuser par la technique éculée des journalistes en mal de sensations. D’abord, ils provoquent, ensuite il caressent le dos, histoire que l’on se « mette à table » de préférence sur des histoires à scandales ».
Bah! le souffle était trop subtil pour son esprit conditionné. Tant pis pour lui…mais le rêve finira par se frayer un chemin .
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Pour moi tu est une personne très sur d’elle même et qui ne supporte de voir un mode de vie, une façon de penser différente de la tienne, je pense même que cela te fait peur, on ressent dans ton article une certaine frustration ( matériel et « charnel » )
Peut-être devrait-tu essayer de réfléchir ce qui pousse ces personnes à réalisés cet événements qu’elle réflexion et philosophie se trouve derrière.
Essaye peut-être d’avoir un tout petit peu de curiosité et d’ouverture d’esprit.
Je ne te demande pas d’aimer le rêve mais au moins respecte le et respecte les gens qui se sont beaucoup investit dans ce projet.
Voila essaye de réfléchir à ceci lors de ton prochain article
ps : j’ai adoré par contre le passage sur la clope et la mode qui sont je trouve assez juste par contre et cela beaucoup n’ose pas se l’avouer.
Bonne continuation à toi.
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Eh bien j’ai le sentiment que tu es passé à côté de ce que le souffle aurait pu t’apporter .. Du non jugement.
Une ouverture sur un autre style de vie, où effectivement les femmes sont belles les hommes aussi, faire attention à soi c’est agréable. Et se la jouer top model avec une jolie plume dans les cheveux ou un joli sac fait main plutôt qu’un nouveau smartphone dans sa coque de je n’sais quelle marque c’est quand même une petite preuve d’évolution de conscience selon moi…
J’hallucine complètement de voir ta réaction face au prix libre, qui d’autre que toi est responsable du fait que tu n’es ni bu ni mangé de la journée ? tu aurais pu prendre cette experience comme quelque chose de très positif et constructif pour toi même en osant aller parler avec les « commerçants » de leur prix libre, tu aurais même pu dire que tu étais gêné personne ne te l’aurai reproché, au contraire.
Pour le côté spirituel que tu as loupé il n’y a rien à dire malheureusement, j’espère que comme le dis un commentaire plus haut tu n’es que dans la provocation.
Et pour toutes tes allusions au fait que tu essayais d’approcher les jolies filles, pour leur physiques et non pour leur philosophie de vie visiblement. Rien à dire, j’suis juste contente de ne pas t’y avoir croisé..
Avec beaucoup d’amour et de compassion tout de même
Marion
Love without a destination
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LooooooooooL!
Et le plus drôle c’est que ça commence avec « » »du non jugement » » » , MDR.
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Et tu n’as absolument rien dit sur la « conscience écologique » de ce festival, les toilettes sèches, la vaisselles auto-gèrée, le tri des dechets etc….
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C vrai qu’il comprend rien ce sage precaire. Heuereusement qu’on est la pour lui expliquer ce qu’il faut comprendre et comment il faut penser. Et dire kil na pas parle des toilettes seches ou de la vaisselles autogeree. Non mais je reve.
Peace and love man.
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Je n’ai pas eu envie d’aller au Souffle. Je sais pourquoi maintenant en lisant les commentaires ci-dessus. Une atmosphere de donneurs de lecon irrespirable. Votre article le dit bien, un esprit de serieux meprisant pour le reste d ela societe. J’ai vecu mes jeunes annees comme ca. Dans des festivals, des communautes alternatives etc.
Tout n’est pas a jeter loin d e la. Je ne renie pas mes jeunes annees.mais j’ai assez donne dans le genre gourous a toilettes seches.
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Donneur de leçon ? je n’avais jamais vu auparavant un rassemblement aussi mixte, de gens venant de tout horizons, et de toute classe sociales, venus pour réfléchir ensemble sur les alternatives possibles (écologique, sociale, économique et culturelle ) …
Aucune leçon imposée, juste un espace temps offert pour faire converger nos rêves. Alors bien sûr, quand on lit ce genre d’article qui s’en tient à la surface sans explorer le fond, ça fait réagir… c’est bien humain ! La critique, l’ironie, voir le cynisme sont si faciles.
Je t’invite à te forger ta propre opinion l’année prochaine, ce sera surement plus constructif 😉
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Bonjour, tu as raison Martine, chacun croit à ses rêves et voudrait bien que les autres adhèrent..
Mais sil il faut choisir entre donneurs de leçons, je préfère et de loin ceux qui proposent et essaient un changement écologique-pacifique-spirituel à ceux qui sont au sommet des états carnassiers, précipitant le chaos, avides d’argent et de pouvoirs, fabriquant des armes terribles, les vendant, et sont tous offusqués quand un tyran les utilise sans leur consentement.
Ceux là sont prêt à fracturer la planète Mère pour en extraire le dernier jus afin de poursuivre la course folle au profit. Ils nous persuadent pourquoi cela est nécessaire, bien sur pour alimenter leur système.
J’espère qu’il y a aura des milliers de Souffle du Rêve, des milliers de toilettes sêches, des millions de gens beaux, et qu’ils continueront à donner des leçons.
Amitiés
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merci les frères et soeurs je nous aime
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Un vrai defile de caricatures. Meme lamienne est passee inapercue.
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Je ne vois pas trop ce qu’il pouvait y avoir d' »inutilement blessant » dans l’article du sage précaire, à part le fait qu’il est gentiment humoristique, et qu’il est celui d’un sceptique qui sort du cadre habituel des festivals entre alternatifs convaincus des pratiques qui sont quand même assez inhabituelles et les présente sous un jour décalé.
Si présenter « le prix libre conscient », par exemple, qui est une pratique assez inhabituelle, comme donnant lieu à des interrogations naturelles (c’est combien, au juste, le prix libre conscient ?) choque ou paraît blessant pour des « souffleurs de rêve », c’est qu’ils sont complètement inconscients de la nature réellement surprenante de ce qu’ils proposent.
Maintenant, si les « souffleurs de rêve » veulent présenter leurs trouvailles à un public plus large, il faut qu’ils s’habituent à rencontrer un peu plus de scepticisme que chez le sage précaire, qui est déja presque un des leurs.
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Merci pour tous ces commentaires. Et merci de lire La Précarité du sage.
Nous ne sommes pas d’accord, apparamment, avec quelques uns des lecteurs. Let’s agree to disagree, comme disent les Anglais.
Je réitère ici mon offre de collaboration radiophonique. Qui serait d’accord pour s’exprimer à mon micro et faire le bilan du festival, maintenant qu’il est terminé ? Je suggère que nous allions sur le causse de Blandas et que nous parlions sur les lieux mêmes du festival. Il paraît que les toilettes sèches ont permis de faire un superbe jardin sur cette terre désertique, et que les festivaliers ont construit une maison en paille. Ce serait intéressant d’aller y voir de plus près.
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Rassures moi, tu maîtrises parfaitement l’ironie? Ou alors il te seras plus appréciable d’enlever tes oeilléres 🙂
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Inutilement car le premier jet du billet était un peu diffèrent. Voir le sage précaire.
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