Souvent, dans les rues américaines, le sage précaire est éberlué par tant d’argent dépensé partout, pour tout, tout cet argent qui coule à flots. Les voitures énormes, les maisons fragiles qui coûtent la prunelle des yeux, le prix exorbitant de la scolarité, des assurances maladie, les pourboires mirobolants qu’il faut donner aux serveurs (20% de l’adition est un minimum qui vous fait encore passer pour un radin, ou pour un Français, ce qui doit s’équivaloir).
Bien sûr, les gens vivent à crédit, mais malgré tout, il y a un mystère que je ne m’explique pas. Ce n’est pas exactement un confort, mais une espèce de dépense constante et massive qui me frappe, et dont je ne vois pas la source.
Et puis, quand je prends le bus pour me rendre dans des endroits moins visités, moins touristiques, les gares routières par exemple, je passe par des quartiers qui font froid dans le dos.
Je n’oublierai jamais le soir où j’ai pris l’autocar Greyhound, à Los Angeles. Le bus qui me conduisait là-bas a soudain emprunté un boulevard où il n’y avait plus de lumière, et je vis des tentes igloo montées à même le trottoir. D’abord quelques unes, puis des bidonvilles entiers. Des clochards un peu partout qui entassaient leurs affaires plus ou moins personnelles.
Les premières minutes, le sage précaire trouvait cela presque charmant ; il se sentait un peu chez lui. Cette pauvreté et ces habitats légers lui étaient une respiration, par rapport à la pression de l’argent qu’il ressentait dans les quartiers plus cossus.
Mais le temps passait, les minutes s’écoulaient, et le bus mangeait les kilomètres, et la misère noire s’épaississait au coeur de Los Angeles. Ce n’est pas la banlieue, mais l’hypercentre de la ville. Une zone décrépite, abandonnée par les services sociaux. Une ville dans la ville, détruite et insondable. Une catastrophe s’était passée ici. Je me croyais en territoire de guerre. Et ça n’en finissait pas.
Je n’avais jamais vu autant de misère entassée, dans une telle continuité urbaine. Il faisait nuit et le sage précaire ne souriait plus du tout. Il était parcouru de frissons. Pourquoi ces gens ne stoppent-ils pas notre bus et ne nous attaquent-ils pas ?
La pauvreté, une première misère ; l’aliénation par-dessus… Souvent les pauvres projettent tout simplement de devenir un jour riches, et basta.
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