Comment se déroulait l’Aïd al Adha avant le confinement

L’Aïd al Adha chez mon ami Abdulaziz, à Sama’il, 2019.

C’est la deuxième année que les Omanais et leurs respectables amis expatriés sont privés de fête de l’Aïd. La fête musulmane qui célèbre le sacrifice d’Abraham à Dieu tombe en juillet cette année, mais la dernière fois qu’on faisait la fête, cela tombait en août. Je voudrais raconter brièvement comment se passe l’Aïd dans un village traditionnel d’Oman, comme je l’ai vécu notamment en 2019.

À l’occasion de l’Aïd al Adha, les familles se réunissent dans leur maison de campagne et piqueniquent à l’ombre des palmiers. En Oman, la fête dure trois jours mais l’État donne une semaine de vacances.

Le matin du 12 août 2019 des groupes d’hommes, chacun sur sa parcelle, égorgent les bêtes propitiatoires. Ici une chèvre, là une vache, là-bas un mouton, chacun a choisi l’animal qui convient le mieux à sa famille. Les voitures de luxe jonchent les routes et les chemins de l’oasis. Ma promenade est enveloppée d’une bonne odeur de barbecue. Les viscères débordent et traînent par terre, les cadavres sont décharnés. Il n’y a que des hommes et des petits garçons dans les rues. Sur un petit chemin de terre, un groupe d’enfants me reconnaît, les filles sont habillées d’une jolie robe dentelée pour l’occasion et le petit garçon du groupe se détache pour venir me serrer la main. Je m’arrête quelques secondes pour leur souhaiter un joyeux aïd et les complimenter sur leur beauté.

Depuis la fenêtre de notre maison, nous voyons les femmes du voisin qui préparent le piquenique dans le jardin, un tapis sur le sol à l’ombre des arbres fruitiers. Les femmes de tous âges ont revêtu des voiles de couleurs splendides, des rouges profonds, des carmins éclatants, des ocres dorés.

Hajer et moi n’égorgeons pas d’animal. Nous envoyons l’équivalent de la somme à des œuvres de bienfaisance, en espérant qu’un peu de cet argent ira vraiment aider ceux qui en ont besoin.

Le 13 août 2019, tout le monde a disparu de la palmeraie, sauf quelques travailleurs indiens dans les champs, et une voiture autour de laquelle un jeune homme coupe soigneusement des grandes feuilles de bananier, avant de les entreposer dans le coffre.

Vers midi et demi, des groupes d’hommes s’affairent autour d’un grand trou creusé dans le sol, non loin du cimetière de Birkat al Mouz. Ce trou est l’un des fours collectifs que tous les villages possèdent. On voit ici à quoi servent les feuilles de bananier. Les morceaux de viande découpés la veille ont mariné vingt-quatre heures dans les épices et les huiles, puis ils sont enveloppés dans ces feuilles de bananier, puis encore engrillagés. Chaque paquet de viande empaqueté est lancé dans le trou où un feu brûlait depuis ce matin. Le grillage servira demain à les retirer des cendres. On referme ensuite le four avec une porte ronde en métal, puis on fait de la boue avec de l’eau tirée du falaj et recouvre la porte de cette boue qui permettra de laisser cuire à l’étouffée.

Nous rencontrons Nasser près du four, qui nous invite à partager un repas avec lui et Faouzia, quand la viande sera prête, demain ou dans quelques jours. Il veut se faire pardonner de ce qui s’est passé la dernière fois où nous avons mangé chez lui, il y a deux semaines. Il était absent et c’est son fils Mohammed accompagné de son cousin Aflah qui se sont chargés (d’ailleurs excellemment) d’être les hôtes des invités masculins, c’est-à-dire en l’occurrence mon beau-père et moi. Nasser était en vacances en Algérie et en Tunisie.

Nasser a les yeux vert brun, et son kuma (le chapeau omanais) est parfaitement accordé à la couleur de ses yeux clairs. Il nous parle avec une infinie douceur et une infinie politesse. Nous lui promettons de passer chez lui bientôt, et nous sortons de notre conversation apaisés par les manières exquises de Nasser. 

Les Omanais, on le répète souvent, ont gardé les façons d’être nobles et chaleureuses des Arabes du Golfe telles que décrites par Thesiger et Lawrence. L’écrivain anglais Jan Morris en parlait brièvement dans son récit Sultan en Oman, écrit dans les années 1950, mais il s’inquiétait de voir disparaître ces belles manières avec l’arrivée du pétrole. Il pensait que l’argent de l’or noir les rendrait arrogants, superficiels et brutaux, comme il disait l’avoir observé au Koweït et en Arabie Saoudite. On peut dire à Jan Morris qui, entre-temps, est devenue une femme, que les Omanais ont su conserver les manières de leurs ancêtres.

Le 14 août 2019, les voitures des citadins ont pour beaucoup disparu. La viande a été ressortie du trou, c’est la recette traditionnelle de la Shuwa omanaise. Les familles la mangent dans de grands plats posés par terre, garnis de riz. Chaque micro-famille empaquette une bonne partie de la viande cuite à cette occasion et l’emporte en ville.  

Ce jour, pour la première fois depuis des semaines, je ne vois aucune plume bleue de rollier indien sur le sol.

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