- Commission des Promotions académiques
- Faculté des Lettres et des Sciences
- Université de Nizwa
- Sultanat d’Oman
Chers amis,
J’ai bien reçu votre lettre de rejet de ma candidature. J’accepte avec joie votre décision, non sans vouloir soulever quelques questions. Je lis dans votre lettre de rejet :
La clause 3.1 (B1) stipule que pour être promus au grade de professeur associé, les candidats doivent faire valoir de la publication d’au moins six articles dans des revues à comité de lecture.
Lettre de la commission
Ceci est incorrect selon la réglementation en cours. Je l’ai lue en détail avant de postuler à cette promotion et j’ai eu la confirmation par le chef de comité que je cochais toutes les cases, et que ma candidature était recevable. S’il existe un autre ensemble de règles comprenant cette clause de six articles de revue, assurez-vous qu’il soit correctement diffusé et assurez-vous également que la réglementation en cours soit supprimée pour éviter les confusions.
Mais je n’en dirai pas plus sur la réglementation puisque vous connaissez le problème qui a été maintes fois évoqué en commissions et en réunions de faculté. Je voudrais vous faire part d’une autre préoccupation qui touche la qualité de la recherche au sein de notre faculté.
Vous avez rejeté ma candidature sur la base d’une perception problématique de ce que sont les livres de recherche. Outre mes articles publiés dans des revues, que vous avez appréciés comme parfaitement recevables, vous avez qualifié les livres dont je suis l’auteur comme « non éligibles » pour postuler au rang de professeur associé. Même chose pour les livres que j’ai dirigés. Même chose pour les numéros de revue que j’ai dirigés.
C’est là que je pense pouvoir aider, compte tenu de mon expérience dans l’administration de la recherche. Dans les humanités (littérature, langues étrangères, histoire, philosophie, études religieuses, etc.), les monographies sont des signes majeurs de réussite universitaire. Comme vous êtes de formation scientifique, je vais tâcher de vous donner un exemple équivalent dans votre champ de recherche. Rejeter mon livre publié aux presses de l’Université Paris-Sorbonne, comme vous l’avez fait, c’est un peu comme rejeter des articles de vos collègues physiciens publiés dans des revues scientifiques prestigieuses comme Nature ou The Lancet. Vous n’en croiriez pas vos yeux si cela arrivait, et vous penseriez que c’est une plaisanterie. J’ai pensé la même chose quand j’ai lu votre lettre.
Notre faculté s’appelle College of Arts & Sciences, mais il semble que les lettres et les arts soient quelque peu négligés par des dirigeants qui se sont distingués dans les sciences expérimentales. J’espère donc que vous ne le prendrez pas en mauvaise part si je me permets d’informer et, si Dieu le veut, de contribuer modestement à éclairer quelque peu ce qui est perçu comme une bonne recherche en sciences humaines, en lettres et dans les humanités en général.
Veuillez jeter un coup d’œil à cette capture d’écran, il s’agit d’un article d’analyse littéraire publié dans une revue internationale de premier plan : à la fin de cet article vient la bibliographie, la liste des références, et je vous invite à considérer brièvement les premières lignes. Comme vous pouvez le voir, aucun article n’y est mentionné mais uniquement des livres à auteur unique (des monographies). Pourquoi ? Parce que les livres sont perçus comme la source la plus prestigieuse et la plus rigoureuse de connaissances issues de la recherche en lettres.
Veuillez continuer à parcourir la bibliographie de cet article. Je pense qu’il n’y a pas un seul article. Je vous invite à vérifier par vous-même.
En somme, vous voyez ce que je veux dire : dans la recherche en lettres, les articles des revues à comité de lecture existent, mais ils ne sont pas aussi importants que les livres publiés dans les plus grandes maisons d’édition. Bien sûr, vous pouvez ouvrir n’importe quelle revue et essayer d’y voir un contre-exemple. Si vous pouvez me prouver que j’ai tort, je serai heureux de m’excuser publiquement, de reconnaître mon erreur et de vous inviter à dîner, vous et toute votre famille, dans le meilleur restaurant d’Oman !
Veuillez maintenant considérer tous les professeurs associés en langues étrangères affiliés aux universités les plus prestigieuses du monde. Ont-ils suivi une procédure similaire à celle que vous me faites subir aujourd’hui ? Non, ils en ont suivi une autre. Dans les arts et les lettres, les plus grandes réussites ont toujours été des livres de recherche, pas des articles. Ainsi, pour la promotion de vos collègues, il est nécessaire de comprendre le mot « publications » comme des livres publiés dans des presses universitaires, puis des chapitres de livres et seulement après cela des articles dans des revues à comité de lecture.
Si vous en voulez la preuve, n’hésitez pas à parcourir le site Web de n’importe quelle grande université, aux États-Unis ou ailleurs : les professeurs promus (professeurs associés) placent leurs livres en évidence sur leur page de profil, il les exhibent comme leurs principales réalisations.
Vous pouvez cliquer sur les profils ci-dessous, choisis au hasard dans cinq universités américaines différentes. Ces liens mènent aux pages d’universitaires appartenant aux domaines de recherche que nous enseignons, ici à Nizwa : arabe, beaux-arts, anglais, français et allemand :
Associate Professor in Arabic, UCR
Associate Professor in Arabic, UCLA
Associate Professor in English, Berkeley
Associate Professor in French, Berkeley
Associate Professor in German, Oxford
Associate Professors in Performing Arts, Stanford
Ma conclusion de ce trop long message est simple : demander aux candidats à la promotion un total de six articles et exclure les livres de recherche est non seulement injuste et contre-productif, mais est bel et bien préjudiciable à la qualité même du niveau académique de nos départements de lettres. En poursuivant sur cette voie, vous encouragez les jeunes enseignants à limiter leurs recherches à quelques articles au détriment d’un travail plus profond et plus marquant dans leur domaine. Vous risquez de voir vos départements remplis de professeurs de lettres qui feront proliférer des articles répétitifs tandis que vos concurrents verront fleurir les meilleures productions livresques. Vous risquez d’appauvrir nos départements plutôt que de les enrichir.
Ma recommandation est la suivante : conservez les règlementations telles qu’elles sont et comprenez-les littéralement pour ne pas faire fausse route. L’expression « six publications » ne signifie pas six articles exclusivement, mais des livres, des chapitres de livre et des articles de revues. Et enfin, pour ce qui me concerne, je suis très heureux de ne pas être promu.
Je vous prie d’agréer, chers collègues, à l’expression de ma plus sincère amitié,
Guillaume
Mais peut-être ont-ils ce fétichisme des publications en revue
parce qu’ils veulent avoir une bonne place au classement de Shanghai…
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Oui, enfin ils n’en sont pas là encore. Ils se battent d’abord pour être accrédité officiellement et concourent aux classements des universités des pays du Golfe, puis aux classements limités au monde arabe.
Mais tu as raison, le problème que je souligne dans ma lettre est récurrent dans le monde entier, concernant la différence de culture entre scientifiques et littéraires. Cependant, on note que dans les universités d’Amérique et du Royaume-Uni, les départements de lettres ont su imposer leurs canons et leurs critères de jugement. Les livres au-dessus des articles.
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