
À une heure de route au sud de Munich poussent les Alpes, où se lovent de grands lacs, que le peintre Franz Marc a élu pour domicile après la première guerre mondiale.
Notre intention était d’abord d’aller nous promener au bord de l’eau et prendre le soleil, mais sur le point de prendre la route du retour, nous avons fait un saut au Musée Franz Marc, établi dans la propriété de l’artiste où sa veuve a vécu jusqu’à sa mort.

Ce n’est pas une bicoque, qu’on s’entende bien. Le peintre devait être un bon gros bourgeois pour s’offrir une telle demeure en surplomb d’un grand lac au pied des Alpes. Et cent ans plus tard c’est toujours vrai si je puis dire : nous devons être de bon gros bourgeois pour avoir les moyens de nous délecter d’art moderne dans la campagne bavaroise, à une heure de Munich, à 9 euros 50 le prix du billet d’entrée.

Est-ce que voir quelques tableaux et sculptures vaut de payer 10 euros ? Pour moi oui, mais c’est parce que je suis un salaud de privilégié, je dois le confesser. J’ai pris un gros kiff de bourge supérieur et intellectuel : voir enfin pour de vrai des toiles qu’on n’a vues qu’en reproductions, c’est un plaisir des sens et de l’intellect.

Au XVIIe siècle, pour définir le plaisir propre à l’art, Poussin (je crois) parlait de « délectation », une jouissance sensuelle élevée par une satisfaction spirituelle. Pour nous, devant les tableaux de Marc, de Kandinsky, de Macke et de toute la petite bande du mouvement Der Blaue Reiter, se mêlait à la délectation une jubilation puérile de reconnaître des choses vues et étudiées ailleurs.

« voir enfin pour de vrai des toiles qu’on n’a vues qu’en reproductions, c’est un plaisir des sens et de l’intellect. » De même, avoir entre les mains une « édition originale » d’un livre, ce n’est pas comme lire le même texte en numérique (c’est une autre sensation) ou même dans une bonne édition d’aujourd’hui. Pourtant, à part le coup de pinceau de l’auteur, qui a éventuellement disparu sur un tableau restauré, il ne manque rien à une bonne reproduction. Et pourtant on est sensible à un rayonnement qui n’existe pas. Maurice Rheims (1910-2003) commissaire priseur, qui a passé sa vie à vendre des objets (dont des tableaux) à qui son nom donnait l' »authenticité », la certitude que tel pot ou tel meuble est bien de l’époque et de l’artisan inscrits sur l’étiquette, s’en moque gentiment dans un de ses livres, tout en avouant qu’il n’y échappe pas lui-même. Donc ce n’est pas un plaisir de l’intellect, mais d’autre chose.
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La chute de votre commentaire sonne comme un gong. Très mystérieux.
Pour les oeuvres d’art plastique, une chose diffère souvent entre la réalité et les reproductions : la taille. On est surpris de voir des images bien plus petites ou bien plus grandes, qu’on l’avait imaginé.
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