Sunderland est une petite ville portuaire et industrielle dans le nord-est de l’Angleterre. Elle entre dans la région urbaine de Newcastle. Son club de football est ancien et existe avec grand peine dans l’élite du football anglais.
Quand je vivais sur les îles britanniques, Sunderland était toujours au plus bas du classement. Je soutenais Arsenal parce que le football pratiqué y était beau à voir, Sunderland au contraire luttait toute l’année pour survivre, pour éviter la relégation. Sunderland perdait la plupart du temps, mais était animé par une ferveur populaire que l’on regarde avec un petit mépris urbain.
La série diffusée sur Netflix suit l’équipe et les supporters tout le long de la saison 2017-2018, puis la saison 2018-2019, et enfin la saison 2021-2022. Ce qui est très fort dans ce documentaire, c’est la narration fondée sur l’échec et les défaites. D’habitude, un récit de quête comporte des echecs et des réussites, des oppsants et des adjuvants, une victoire finale, enfin vous connaissez les structures de la narratologie.
Même les grandes défaites héroïques, comme La Chanson de Roland, on les agrémente d’actes de bravoure surhumains. Ici non, le film semble même prendre du plaisir à insister sur les matchs perdus et les buts encaissés.
En 2017, Sunderland vient d’être relégué en deuxième division (Championship). Toute la ville est au bout du rouleau. Tous les joueurs de valeur ont quitté le navire pour signer dans des clubs qui restent en première division (Premier League). L’entraîneur aussi a plié bagages. La nouvelle équipe n’y arrive pas et c’est défaite sur défaite. Le peuple ouvrier de Sunderland vit pour son club et déprime d’assister à un tel désastre. Même le curé parle de football dans ses prêches du dimanche à l’église, et prie pour que le Seigneur donne de la force aux joueurs pour obtenir au moins une victoire. Enfin une petite victoire, mon Dieu, donnez-nous quelques points.
Le documentaire est intéressant aussi sur le plan individuel. On compatit avec ce jeune joueur que tout le monde loue pour son talent et qui se blesse. Forcé de rester éloigné du groupe, il déprime. On le voit commencer une thérapie avec le psychologue du club. Sa problématique est de « rester fort » en tant qu’athlète mais on comprend qu’en réalité il souffre de solitude. Il avoue face caméra être tellement seul à la maison qu’il songe à acquérir un chien pour lui « tenir compagnie ». On se dit mais que font les femmes ? Il n’y en a donc aucune qui serait intéressée par ce jeune sportif plein aux as, bien foutu, timide et introverti ?
Après la défaite de trop, le club licencie l’entraîneur pour signer un célèbre Gallois à la place. Ils ont dû creuser la dette pour s’offrir ses services car il n’a pas accepté ce job sans un salaire mirobolant. Or sa compétence n’empêche pas Sunderland de finir dernier de la deuxième division et d’être à nouveau relégué en troisième division (League One). Le spectateur ressent une étrange joie, sans doute un peu perverse, à assister à ces défaites. On s’identifie à eux tous, aux habitants, aux supporters, aux joueurs et au personnel, on voudrait les voir vaincre, mais un effet de répétition dans la débâcle provoque quand même une certaine satisfaction esthétique, pathétique et poignante.
Et ainsi va la vie dans cette entreprise unique qu’est le club de référence d’une ville ouvrière. Le documentaire insiste sur les echecs répétés, malgré de nouveaux propriétaires, de nouveaux directeurs, de nouveaux entraîneurs, qui arrivent tous avec d’impeccables intentions.
Une critique en creux du néo-libéralisme
Le plus drôle est peut-être la dimension manageriale de cette affaire. Des hommes d’affaires se relaient pour acquérir le club et jeter l’éponge au bout d’un an ou deux. On est fasciné par les méthodes brutales d’un executive director, dont on ne sait pas au bout du compte s’il est nul ou au contraire s’il était sur la bonne voie mais que ses efforts furent annihilés par une gestion financière désastreuse.
Le diable gît dans les détails. Un coup de fil capté par la caméra permet de dire que le propriétaire n’est pas au niveau. La période des transferts va fermer dans un jour. Le club a perdu son meilleur buteur qui a signé aux Girondins de Bordeaux. Il lui faut d’urgence un nouvel avant centre, mais personne n’a envie d’aller jouer à Sunderland. Alors le président augmente les offres pour un joueur anglais qui marque des buts dans un autre club. Ses conseillers lui disent qu’il faut arrêter, que le joueur ne voudra pas venir. Le président appelle l’entraîneur pour sonder son désir d’attirer ce buteur. Au bout du fil, l’entraîneur ne confirme pas ce désir : « Ne faites pas d’offre au-delà d’un millions de livres, ce joueur ne vaut le coup. » L’entraîneur répète l’expression « he is not worth it« … donc il est clair que le joueur ciblé n’entre pas dans les plans du technicien pour faire remonter le club dans le classement. Le président va pourtant s’enfermer dans un mécanisme puéril et il va faire monter l’offre à plusieurs millions livres sterling, offre impossible à refuser pour le club vendeur. À la fin, bien sûr, le nouveau buteur s’avèrera décevant, ne marquera pas les buts nécessaires, et l’opération s’avérera un désastre de gestion.
Or le président n’assume pas son erreur de jugement. Au micro de la radio, face aux supporters qui ne comprennent pas ce recrutement raté, il prétend que ce joueur décevant était en fait le choix de l’entraîneur, alors que nous savons que l’entraîneur avait été lucide sur les limites du buteur.
Ces moments sont rares, où l’on voit la vérité de ceux qui nous gouvernent. Leur médiocrité bien sûr, mais surtout leur lâcheté, leur manière de se cacher derrière des collaborateurs pour ne pas assumer leur responsabilité.
La toute dernière saison de série ne comporte que trois épisodes et sont moins intéressants car les nouveaux chefs ont pris des mesures pour ne pas perdre le contrôle de leur image. Les Français seront surpris de voir le jeune Louis-Dreyfus, fils de l’ancien président de l’Olympique de Marseille, avoir repris les rênes de Sunderland. Et l’on y voit la victoire finale qui permet au club de remonter en deuxième division. Dans un documentaire fondé sur le romantisme de la défaite et la perte des pédales, cette troisième saison victorieuse et maîtrisée est déplacée et ne fonctionne que comme une conclusion scolaire.
Les Anglais ont peut-être une appétence particulière pour les losers. Je pense aux romans de Thomas Hardy comme Jude l’obscur, de Thackeray ou même certains Dickens qui sont des concentrés de dégringolade. Très romantique, la ruine de l’existence.
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