Lire Onfray, regretter Onfray ? À propos de « Théorie du voyage »

Photo gratuite générée par la banque d’images de mon blog quand j’ai saisi le terme de recherche « Voyage ».

Il y a des livres que l’on découvre trop tard et dont l’absence dans nos propres travaux devient un regret intellectuel. Théorie du voyage de Michel Onfray (2010) en fait partie. Lorsque j’écrivais ma thèse sur la philosophie du récit de voyage, ce livre aurait pu y figurer, ne serait-ce que pour comprendre une certaine perception du voyage en France au tournant du XXIe siècle. Pourtant, je l’avais ignoré. Aujourd’hui, je mesure ce qu’il aurait pu apporter, non pas tant pour ses qualités, mais pour ce qu’il révèle des lieux communs qui structurent encore le discours sur le voyage.

Dans le panorama de la littérature de voyage, Onfray est un personnage en entre-deux. Trop jeune pour appartenir au mouvement de la « littérature voyageuse » des années 1990 réunis autour de Michel Le Bris, trop vieux pour faire partie des néo-explorateurs dont la tête de file est Sylvain Tesson, nés dans les années 1970. Ni compagnon de route des anciens soixante-huitards reconvertis dans un certain néo-conservatisme, ni figure emblématique de cette vieille vague de jeunes voyageurs commerciaux, il occupe une position indécise, flottante. C’est peut-être cela qui rend son livre symptomatique d’une certaine conception du voyage, à la fois banale et datée.

Onfray y propose une vision du voyage qui se veut poétique, mais qui se vautre souvent dans le cliché. Exemple frappant, cette longue citation de la page 115 :

J’aime les espaces jaunes du colza, verts du blé en herbe, violets ou mauves de la lavande, j’aime voir les rivages découpés (…) Lacs, rivières, étangs, marécages transformés en miroirs violents par le soleil. J’aime voir passer les voitures, petites traces lentes sur les routes, filer les trains, longs serpents ondulants, glisser les péniches lourdes et lentes, ou marcher les humains futiles et essentiels.

L’intention est évidente : écrire un texte empreint de lyrisme, mais le résultat est d’une pauvreté affligeante. Les couleurs primaires des paysages, les formes élémentaires du monde, des phrases que pourrait rédiger un enfant à l’école. Rien d’inédit, rien qui fasse surgir un regard singulier sur le voyage.

Le plus regrettable, cependant, n’est pas tant cette prose convenue que l’absence d’un véritable dialogue avec les écrivains voyageurs. Certes, Onfray cite Nicolas Bouvier, mais de manière anecdotique, sans approfondir. Il ne semble pas s’intéresser à la littérature de voyage contemporaine, ignorant des auteurs comme Jean Rolin ou Baudrillard, qui avaient pourtant déjà exploré des territoires similaires. Son approche reste prisonnière d’une opposition éculée entre voyageur et touriste, comme s’il n’existait pas déjà une littérature critique sur ce sujet – on pense notamment aux travaux de Jean-Didier Urbain.

Onfray croit se démarquer sur un point : il défend la vitesse contre la lenteur. Contrairement à la tendance qui fait de la lenteur une posture subversive, il assume la modernité du voyage rapide et préfère l’avion aux pérégrinations interminables. Sur ce point, je ne suis pas en désaccord. J’avais moi-même critiqué dans mon propre livre l’idée selon laquelle la lenteur serait en elle-même une forme de résistance. Cependant c’est tellement XXe siècle cette opposition ! Et puis surtout, défendre l’usage de l’avion au XXIe siècle sans même aborder les enjeux environnementaux ou énergétiques, c’est rester désespérément ancré dans une vision du voyage qui ne dépasse pas le stade du débat de café du commerce.

Finalement, Théorie du voyage est un livre utile, mais malgré lui. Il représente l’exemple parfait du discours convenu sur le voyage, une illustration de ce que l’on peut qualifier de banalité du voyageur philosophe. En cela, il devient un bon point de départ, dans le cadre d’un article de critique ou de recherche, pour mettre en valeur tout autre texte qui, lui, proposerait une véritable réflexion sur l’acte de voyager. À défaut d’être un livre marquant, il sert au moins de repoussoir.

10 commentaires sur “Lire Onfray, regretter Onfray ? À propos de « Théorie du voyage »

  1. Oui c’est un piètre voyageur, il est plus à son affaire dans l’immobilité je crois. Tu devrais lire le livre qu’il a consacré à ton lointain parent et qu’il a intitulé : vivre une vie philosophique

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    1. Plutôt que de lire Onfray, qui est une perte de temps si l’on n’est pas professionnellement attaché à un sujet spécifique qu’il aborde, je projette d’aller traîner mes guêtres dans la cabane que mon « lointain parent » a construit au bord du lac Walden. Je suis conscient que cela doit maintenant ressembler à un parc d’attraction, mais c’est le lot de beaucoup de pèlerinages. Onfray, miskin, j’avais prophétisé sa chute et je suis heureux de voir que sa santé tient le coup.

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  2. Oui Inch Allah, pour Onfray ! Pour le pelerinage Waldenien, je me demande si n’importe quelle cabane au bord de n’importe quel autre lac que celui de Concord ne serait pas mieux, en réalité. D’ailleurs y a -t-il félicité humaine plus grande que celle d’habiter une cabane, au bord d’un lac ?

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  3. Eculé, c’est bien le mot… A propos de textes négligés, volontairement ou non je me suis demandé ce que tu pensais de François-Olivier‎ Rousseau, écrivain qui a voyagé et vécu dans des territoires qui te sont familiers mais que tu cites peu ou pas (je crois)? Et que penses-tu de son livre en particulier de son livre
    ‎Le regard du voyageur?

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      1. Oui c’est pas récent, mais moi qui me souviens des années quatre-vingt dix pratiquement comme si j’y avais vécu, il me semble qu’il avait eu quelques prix littéraires, dont peut-être le Médicis. Il habitait l’Ile de Man et ça me plaisait bien de le savoir

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