Pourquoi je ne parle pas de ceci ni de cela

On me reproche parfois de passer sous silence des sujets jugés plus graves, plus urgents que ceux que j’aborde ici. Mais il faut que je le dise clairement : La Précarité du sage n’a jamais eu pour ambition de courir après l’actualité ni de répéter ce que tout le monde sait déjà.

Si je parle ici d’un genre littéraire, d’un auteur ou même d’un muret en pierre sèche, c’est précisément parce que je n’ai pas trouvé ailleurs les mots, les intuitions ou les points de vue que je m’apprête à poser. C’est cette absence qui justifie mon geste. On ne vient pas ici chercher des redites, des indignations légitimes ou des commentaires de culture générale. Je le sais comme vous qu’Israël commet l’irréparable, que tuer des enfants c’est mal, pourquoi en parlerais-je au moment même où tout le monde en parle ?

On vient sur ce blog pour entendre quelque chose d’autre, je crois. Lire quelque chose d’autre. Peut-être d’insolite. Parfois de maladroit, probablement aussi d’un peu idiot, mais quelque chose qui vient d’une vision, d’une prise de conscience.

Cela me vaut des désaccords et cela blesse parfois. Rappelez-vous mes textes sur la musique populaire : quand j’ai dit que rock, reggae, folk, punk, hard rock – tout cela, en réalité, procédait du même modèle de chanson que la variété. Que c’étaient des ritournelles, ni plus ni moins complexes les unes que les autres, avec des changements de surface, de texture, de style. Des lecteurs se sont sentis insultés.

De la même manière, quand j’ai commencé à écrire sur Sylvain Tesson, j’ai vu avant tous les journalistes et les critiques le nœud stylistique et idéologique de ses textes. Il ne s’agissait pas seulement de dire qu’il était “de droite” ou “réactionnaire” comme une étiquette jetée à la va-vite, mais d’analyser une construction d’écriture, une façon de faire du style un masque. Là encore, les réactions ont été vives. Mais force est de constater que mes intuitions se sont révélées exactes.

Dans le champ politique, je ne parle pas de Gaza parce que d’autres en parlent, et le font très bien. Je n’ai rien à ajouter aujourd’hui à ce qui est su, documenté, analysé, disséqué, montré, crié. Et si j’en ai parlé, ce fut il y a vingt ans. Mon angle d’attaque était moins la Palestine elle-même que la pression exercée par les soutiens d’Israël sur nos médias. À une époque où nommer les réseaux pro-israéliens en France vous valait l’accusation d’antisémitisme, le soupçon, l’isolement. Je me souviens de textes de 2008 où j’alertais déjà sur ce que je percevais : une hégémonie silencieuse, un pouvoir d’influence plus que de conviction.

Aujourd’hui, les choses se sont clarifiées. On sait. On voit. Les masques sont tombés. Les partisans inconditionnels d’Israël, qu’ils soient d’extrême droite ou dans une position devenue intenable au centre – comme Mme Braun-Pivet, comme Mme Bergé – apparaissent pour ce qu’ils sont : les derniers défenseurs d’une cause désespérée. Ils ont perdu la bataille des images, la bataille des idées. Il n’y a plus besoin de les dénoncer. Les médias s’en chargent.

J’ai défendu l’humoriste Dieudonné quand c’était courageux de le faire, entre 2007 et 2014. Maintenant qu’il n’est plus radioactif, je n’ai plus besoin d’en parler. En revanche, j’ai toujours la conviction que Dieudonné est la figure française la plus importante de l’histoire culturelle de notre pays au XXIe siècle.

Ce que j’essaie de faire ici, dans la Précarité du sage, c’est de nommer ce que je ne lis nulle part. D’amorcer des chemins là où personne ne semble vouloir s’aventurer. C’est mineur, c’est fragile, c’est parfois solitaire. Mais c’est aussi cela, ma manière de contribuer.

Dans quelques jours, je publierai un billet sur un terrain dans la montagne. Sur la manière de regarder un chemin, de remonter un muret en pierre sèche, de raconter ce geste. J’espère que vous ne lirez pas cela comme une simple “ode à la campagne” façon supplément week-end d’un journal national. J’essaierai d’en faire quelque chose de singulier.

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