Lettre à mon filleul républicain sur l’adhésion de la Turquie au sein de l’Union Européenne.

Mon petit Bastien,

C’est aujourd’hui ton dixième ou onzième anniversaire. Tu entres donc, d’une manière ou d’une autre, dans l’adolescence, avec ce que cela charrie d’inquiétude et de fatigue pour tes parents. Je te souhaite une joyeuse fête d’anniversaire, et je leur souhaite, à tes parents, du courage et des idées.

Je t’écris depuis la Turquie, un pays qui se situe à l’extrême sud-est de l’Europe. Des gens considèrent ce pays comme européen, d’autres le situent en Asie. Un grand débat fait rage, d’ailleurs, car les Turcs demandent à adhérer à l’Union européenne, et que cette adhésion divise les gens.

Certains disent que c’est un pays musulman, donc, qu’il n’est pas européen. C’est un argument que des gens comme moi ne comprennent pas, car la religion ne devrait pas avoir un tel poids politique. Ils sont musulmans pour la plupart, c’est leur problème. D’autres disent que le territoire de ce pays est surtout en Asie et qu’il entre en communication avec des régions comme l’Irak et l’Iran, ce qui l’exclut de notre communauté européenne.

D’un autre côté, la Turquie est un territoire qui est central à notre culture d’Européens. Les Grecs étaient nos ancêtres, culturellement, et leur monde comprenait la Turquie actuelle. La guerre de Troie, par exemple, est une de nos plus grandes histoires ; Homère en a fait la première grande oeuvre littéraire européenne, Iliade, que l’on peut lire encore aujourd’hui avec une grande émotion. Eh bien Troie est ici, en Turquie. C’est ici que se battaient Achille, Hector, Agamemnon ; ici qu’Ulysse a eu l’idée du fameux cheval de Troie.

Plus tard, 1000 ans plus tard, Istanbul, d’où j’écris ces lignes, était la ville d’un empereur chrétien qui s’appelait Constentin. Les gens, ici, parlaient grec, et on appelait la ville : « Ville de Constentin », Konstentinopolis. Nous, en Europe de l’ouest, on prononce encore différemment, on dit « Constantinople ». A cette époque-là, c’était le centre de la chrétienté, donc même pour ceux qui ne veulent pas d’un pays musulman en Europe, il est difficile de rejeter cette ville, puisqu’elle est un des centres de notre histoire. Elle fut aussi importante pour l’Europe au premier millénaire que Paris ou Londres l’ont été durant le deuxième millénaire de notre ère.

J’y suis allé faire un petit tour pour vivre un peu sur place si je me sentais plutôt en Europe, ou plutôt ailleurs. Or, il m’est impossible de répondre, surtout qu’Istanbul, la « Ville des villes », est à cheval entre l’Europe et l’Asie. Elle enjambe le Bosphore, le détroit qui sépare l’Europe et l’Asie. (Moi, « Bosphore », c’est un mot qui m’a toujours fait rêver, mais ça ne compte pas car j’ai toujours rêvé beaucoup, et à tort et à travers.)

Alors, Europe ou Proche Orient ? La question est très intéressante car elle concerne la notion de frontière, et c’est le propre des communautés vivantes de ne pas savoir exactement quelles sont leurs limites. On se sent européens, c’est certain, mais où fait-on arrêter l’Europe ? Au Bosphore ? Aux frontières de l’Irak et de l’Iran ?

Ce qui est certain, c’est que dans la vie, il n’y a jamais de frontières. Les différences se font petit à petit, pas à pas. Les frontières sont des décisions prises pour des raisons politiques. C’est comme la différence entre la France et les pays voisins : à quel endroit peut-on vraiment dire que ce n’est plus la France ? On ne le peut pas, car un Français du nord est plus proche d’un Belge, par exemple, que d’un Français du sud. La frontière est le résultat d’une guerre ou d’un accord entre gouvernements. Alors, la Turquie, c’est l’endroit où le voyageur se demande ce que cela signifie d’être européen.

Je me le demande et je suis incapable de donner une réponse.

Le hasard de l’existence fait que, souvent, je suis en voyage lorsque tu célèbres ton anniversaire. Je ne sais pas à quoi c’est dû. D’habitude, je reste immobile. Il est très rare que je voyage, au fond, et ça tombe quand tu changes d’âge. Il y a peut-être une relation de cause à effet.  

Je te souhaite une année pleine de joie et de bonne humeur,

Ton parrain républicain.

Lectrices, laissez-vous connaître des voyageurs

Je recommande à tout le monde de s’inscrire à www.couchsurfing.com pour rencontrer des gens du monde entier, si toutefois c’est une perspective qui vous paraît séduisante.

Le but initial de ce site est de loger les voyageurs chez soi et de se faire loger lorsqu’on voyage. On établit donc un profil, gratuitement, on écrit des choses sur soi, on met des photos de soi et de ce que l’on veut. Bref on se présente avec les moyens qu’internet met à notre disposition, et dans le but d’inspirer confiance aux gens à qui on demandera l’hospitalité. C’est un peu comme Facebook mais avec un objectif, un but. Facebook, c’est le coup de génie de notre temps, c’est un site pour rien. Couchsurfing devrait avoir beaucoup plus succès, mais les concepteurs avaient encore trop de contenu dans la tête, trop d’idées, ils n’ont pas su donner à leur site cet aspect de vide sidéral qui séduit tant sur Facebook.

Moi, j’utilise Couchsurfing pour rencontrer des locaux et les inviter à manger. Quand je dis « locaux », je veux dire des femmes locales. J’aime discuter avec des hommes, bien sûr, mais quand on ne fait que passer, il est naturel de préférer rencontrer des personnes du beau sexe. Je l’avais déjà fait au Japon et cela m’avait donné entière satisfaction. Rebelote en Turquie mais les femmes sont très rares à s’inscrire sur ce site, et c’est là que je lance un appel à toutes les lectrices de ce blog.
Inscrivez-vous donc, et laissez les voyageurs avides de rencontres vous inviter à manger et à boire des cafés. Pour vous qui êtes plus ou moins célibataires, ou tout au moins ouvertes à des aventures sans lendemain, c’est l’occasion de rencontrer des gens que vous ne reverrez plus jamais. Pour vous autres qui ne voulez pas entendre parler d’érotisme, vous n’en entendrez pas parler car les « couchsurfers » sont tous des gentlemen qui viennent d’abord pour discuter et visiter votre ville. Sur Couchsurfing, nous sommes surveillés, il faut le dire, une mauvaise expérience et vous êtes radié(e).
Pour vous qui -les plus nombreuses, évidemment- êtes prêtes à vous laisser séduire mais qui prétendez le contraire, cette option comporte juste assez d’hypocrisie internationaliste pour vous cacher devant de grands principes à la moralité sans tache. Pour vous enfin qui rêvez du prince charmant, eh bien je ne sais que vous dire.

Une jeune femme turque, prénommée Hülya, a accepté de me rencontrer mais je l’ai prévenue trop tard et elle craint de n’avoir pas de temps cette fois. Nous avons échangé quelques emails et nous nous tenons au courant si elle peut se libérer.

A Tokyo, il y a deux ans, une des femmes rencontrées m’avait emmené dans un quartier ravissant que je n’aurais jamais découvert sans elle. Depuis, je ne pense jamais à Tokyo sans penser à elle. De même, je ne penserai jamais à Istanbul sans penser à Hülya, petite trentenaire aux cheveux raide et légèrement teintés d’ocre. C’est ainsi qu’elle est apparue devant mes yeux hier soir, dans la grande rue piétonne de Beyoglu. On ne s’était pas donné rendez-vous, mais elle faisait une course avec des amis d’amis et a reconnu mon visage. de son côté, elle s’avérait être beaucoup plus belle en vrai que sur son profil de Couchsurfing.  

C’était donc une incroyable coïncidence, de se rencontrer en pleine nuit, loin de mon auberge, dans un coin où je n’avais rien à faire. On est allés boire une bière dans une petite rue du quartier Beyoglu, où la jeunesse stambouliote se serre sur des terrasses meublées de petits tabourets et de tables minuscules. C’est extrêmement charmant, car malgré le monde, on crée une véritable intimité sur sa table, dos à dos avec les autres clients que l’on sent, mais qu’on n’entend pas. Les amis de Hülya étaient très sympas aussi, si bien que j’ai passé uné soirée inattendue qui m’a fait beaucoup de bien, grâce au hasard et aux sites internet à la mode.

Hülya, aux yeux très beaux et au regard très intelligent, m’a invité à la revoir quelques jours plus tard, pour un dîner sur la rive asiatique d’Istanbul. Elle voudrait que nous mangions des spécialités du sud de la Turquie ; et moi, naturellement, grosse midinette que je suis, je ne demande que cela, manger n’importe quelles spécialités en sa présence lumineuse.

Lectrices éventuelles de ce blog, laissez-vous rencontrer par les voyageurs de passage, ils vous regarderont avec émerveillement et vous trouveront beaucoup plus exotiques et fascinantes que les gens que vous côtoyez quotidiennement.

Débouler à Istanbul

J’avais décidé sur un coup de tête de partir à Istanbul. Mon premier voeux était d’aller à Athènes puis en ex-Yougoslavie, mais les vols étaient soient chers soient indirects, ils prenaient un temps fou, bref, Istanbul s’est avérée facile d’accès depuis Dublin (4 heures de vol) et bon marché (220 euros l’aller-retour).

J’ai quitté ma maison de Belfast dans la nuit de mercredi à jeudi pour me trouver à l’aéroport de Dublin assez tôt. Dès le petit matin, il neigeait. L’avion prit du retard, puis de plus en plus de retard, puis on l’annula. Turkish Airlines me logea à l’hôtel Jurys de Parnell street. J’avais peu dormi la veille, j’allai dîner dans un restaurant chinois de Parnell Square, et je me couchai tôt. Réveil à 3h00 pour être à l’aéroport à 4h00 afin de décoller à 6h00. A cause de la glace, l’avion prit du retard à nouveau. Nous attendîmes une bonne partie de la journée, et c’est à la nut tombante ce vendredi que j’arrivai à la Ville des villes.

Je sortis du tram sans savoir où j’étais. J’ai vu de l’animation dehors, des gens, du commerce, de la bouffe servie dehors. Je me suis dit que c’est là que j’allais satisfaire ma faim, il serait ben assez tôt pour chercher une auberge. A cette saison, il ne peut y avoir  grand monde, et les  grandes villes, de nos jurs, ont toutes un quartiers pour touristes, aux logements peu chers et aux connections internet, avec de belles vues sur des mosquées, ou sur le Bosphore, ou sur Sainte-Sophie.

Je mangeai quelques trucs délicieux et je m’aperçus, en marchant un peu, que j’étais en fait au Grand Bazar, autant dire le centre touristique par excellence. Et moi qui avais cru faire preuve d’audace.

A pied, je descendis au hasard et vis les silhouettes ce qui devaient être Saint-Sophie et la Mosquée bleue. Derrière, le fameux quartier touristique méprisé par les touristes qui ne veulent pas être des touristes, et animé de la vie du commerce. Ces jours-ci, les visiteurs ne sont pas foule, le quartier est un peu vide.