Un mois de mai pour la rénovation et la recherche

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Ce mois de mai va passer entièrement sans que j’écrive le moindre billet original sur les jours que nous vivons. C’est que je suis extrêmement pris et n’ai ni le temps de me poser pour écrire, ni la disponibilité mentale pour le faire.

Je mets toute mon énergie dans deux projets qui doivent être terminés fin mai : la rénovation de mon appartement et la rédaction d’un article de recherche. L’un prend tout mon corps, l’autre tout mon esprit.

Écrire un billet de blog, je sais que ça n’a pas l’air difficile. Beaucoup de gens pensent que ça se fait sans effort, sans mise en forme, sans réflexion véritable. Il ne faut pas croire, mes billets m’ont toujours demandé beaucoup d’investissement mental, intellectuel et affectif. Ces temps-ci, j’étais à sec pour le blog, je n’ai même pas vu passer le joli mois de mai.

Rendez-vous compte, je n’ai même pas eu le temps de profiter des grosses chaleurs pour me baigner dans mes rivières et mes piscines naturelles.

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Saisi par l’urgence, mon corps me réveille fréquemment à trois heures du matin, ce qui permet à mon esprit de travailler l’article de cinq à sept. Puis la journée se passe à l’appartement qui demande des efforts physiques épuisants. Le soir, nous mangeons légèrement et tombons de fatigue.

Que cela ne soit pas trompeur. Ce que je décris ici me procure une profonde joie. Toute cette fatigue, tous ces efforts, donnent beaucoup de sens à notre vie. Nous voyons, sous nos mains, naître un lieu de vie qui nous ressemble. Parallèlement à cela, j’assiste à l’éclosion sous mes doigts de ce qui deviendra le deuxième volume de Traits chinois/Lignes francophones que je dirige avec mon amie Rosalind Silvester. Je suis déjà très en retard et elle fait preuve d’une patience d’ange.

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Aujourd’hui, c’est un grand jour car Hajer et moi serons à même de dormir enfin notre première nuit dans notre chez-nous. L’article lui aussi touche à sa fin. Ce matin, je vais pouvoir l’envoyer à Belfast pour que Ros. le relise. Toute une pression se relâche un peu, ce qui m’autorise à écrire ce petit billet.

Bilan du printemps 2015. L’appartement de Ben

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Le printemps 2015 fut studieux et laborieux pour le sage précaire. Les journées étaient douces et lumineuses dans l’appartement de Ben, qui m’en avait laissé les clés avant de partir au Tchad où il travaillait.

Dans la banlieue orientale de Lyon, le sage était plus précaire que jamais. Il gagnait sa vie par des travaux manuels la plupart du temps. De temps en temps, un article ou une conférence rappelait au précaire qu’il était un sage avant tout.
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L’appartement de Ben avait été acheté l’été précédent, en 2014, et nécessitait quelques travaux de rafraîchissement. L’heureux propriétaire fit appel à moi pour les mener à bien, ce qui fut une réelle bénédiction. J’étais logé gratuitement dans le lieu même où je devais peindre, tapisser et gratter. C’était d’un confort que peu d’ouvriers connaissent. Et quand on sait le coût des loyers en France, on comprend que l’avantage en nature que cela représentait dépassait même le salaire que mon ami avait généreusement consenti à me verser.

Le fils aîné de Ben étant étudiant à Lyon, nous partagions l’appartement dans une colocation quasi familiale. Ce gamin est né il y a vingt ans parmi nous, de parents étudiants en philosophie, et je m’occupais de lui bien avant qu’il sache parler, qu’il se fasse constamment l’avocat du diable et qu’il lise Nietzsche malgré mes vaines interdictions. Je me plais à penser que je suis un père spirituel pour lui, sévère, juste et implacable, une sorte de maître à penser dans la précarité des choses.

Je convoque toute ma science pédagogique pour l’orienter de la façon la plus nuancée qu’il m’est possible : « Lire Nietzsche n’est pas bon pour des jeunes morveux de ton espèce ; ça les rend cons et prétentieux ». Autant que je m’en souvienne, il n’a jamais suivi mes conseils avisés.
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(C’est la même rengaine avec son père, je tiens à le consigner ici, publiquement et officiellement. Benoît s’obstine à lire de vieux romans de Daphné du Maurier alors qu’il n’a pas encore lu Le Royaume d’Emmanuel Carrère. Et en Cévennes je suis obligé de lui mettre en main les oeuvres de Jean Carrière pour qu’il détourne un peu les yeux des livres jaunis de Charles Morgan qu’il a dû chiner chez ses parents. Non mais je le demande à tous mes lecteurs, qui lit encore Charles Morgan ?)

Fréquenter mon colocataire de 20 ans, c’était donc un peu voyager dans le temps pour le sage précaire. S’il avait la mémoire de sa petite enfance, le fils de Ben se souviendrait que ma compétence éducative se bornait consciencieusement à boire des verres de Mâcon avec son père qui promenait l’enfant sur le plateau de la Croix-Rousse.

Devenu adulte, ce grand échalas était irrésistiblement attiré par une des chambres à coucher que j’avais cru mienne. A chaque fois que je revenais à l’appartement il l’avait réinvestie en mon absence. Je décidais d’élire l’autre chambre, et tout rentra dans l’ordre. Il partait étudier le droit et la politique internationale tandis que moi, débonnaire, je couvrais de papier peint le couloir ou repeignais le plafond.

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J’étais heureux dans cette tour de Villeurbanne. Le matin j’ouvrais les volets et admirais la lumière sur le canal de Jonage. Je chaussais mes souliers de sport et courais une petite heure le long de l’eau. Une demie-heure à contre-courant, et une demie-heure dans le sens du courant. Au retour, en sueur, je me douchais et travaillais quelques heures sur le manuscrit en cours.

C’est seulement quand mon esprit avait besoin de se reposer de son labeur d’écriture et de recherche que je reprenais le chantier de la rénovation. C’était évidemment l’équilibre entre les tâches manuelles et l’exercice intellectuel qui me rendait heureux.

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J’envoyais à Ben des photos de l’avancée des travaux. Ecrasé de chaleur à N’Djamena, il accueillait ces clichés avec émotion. Ce n’est pas tant la qualité de mon travail qui l’émouvait, que de repenser à sa propriété où la fraîcheur et l’élévation régnaient.

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