Deux films de 2015, deux humeurs contraires

Aujourd’hui, j’ai vu deux films sortis exactement la même année — 2015 — mais que tout oppose, à moins que ce soit moi qui m’opposais à presque tout.

Je m’exprime mal, c’est la faute à la canicule. Je reprends. Les deux films que j’ai vus ne sont pas opposés ; au contraire ils relèvent plus ou moins du même genre et ils prétendent au même type de poésie et d’humour. Mais mon humeur a changé du tout au tout en passant de l’un à l’autre.

J’ai commencé la journée avec Valentin Valentin de Pascal Thomas. Dès les premières scènes, une irritation m’a gagné. Quelque chose m’agaçait. Une écriture trop visible, trop programmée. Et puis un regard non seulement masculin (toutes les femmes sont amoureuses de Valentin), mais masculin vieillissant : je ne sais rien de plus gênant que les septuagénaires libidineux qui pensent proposer quelque chose de frais avec des jeunes femmes énamourées dans leur film. Et quand ils les dénudent, je dis stop.

Mon agacement était surtout esthétique, dans la mesure où, chez moi, les théories philosophiques passent d’abord par l’instinct et ce que Spinoza appelait « les affects », pour parler du premier genre de connaissance. Alors qu’est-ce qui m’irritait tant dans les plans qui se succédaient devant moi ? L’impression de suivre un plan de scénariste, scène après scène, case cochée après case cochée, comme si l’histoire ne vivait que pour être déroulée mécaniquement. Chaque événement semblait télécommandé : un couple se sépare, donc il faut une crise de nerfs. Mais on n’en a pas envie, on ne la sent pas, on n’y croit pas à cette crise de nerfs. Je parlais tout seul devant mon écran : « C’est bon on a compris, ils se séparent et lui n’est pas content, passons au prochain épisode à quoi cela est censé nous conduire. » Ce n’est pas que le film soit mauvais. J’ai tenu jusqu’au bout, preuve que quelque chose me retenait. Peut-être justement parce qu’il y avait des choses réussies — ce qui n’est pas étonnant quand on sait que quatre scénaristes ont collaboré au film, dont Pascal Bonitzer, que j’estime beaucoup, comme critique autant que comme cinéaste.

Et puis est venu le second film de la journée : Comme un avion de Bruno Podalydès. Même climat, effet inverse : un homme avec plusieurs femmes, un homme un peu paumé, mais qui a beaucoup de charme. Sauf que Comme un avion m’a plutôt calmé les nerfs, m’a parfois fait sourire et m’a même procuré de l’émotion.

Là un dard venimeux

Là un socle trompeur

Plus loin

Une souche à demi trempée

Dans un liquide saumâtre

Un homme d’une cinquantaine d’années (en crise, probablement), décide, un peu sur un coup de tête, de partir en kayak. Le récit est d’une simplicité désarmante : une balade au fil de l’eau, une souche, une clairière, une halte prolongée dans une communauté campagnarde douce et fantasque. Une femme mûre, veuve, le traite mieux que bien… Rien d’extraordinairement original — nous avons tous eu ce genre de rêverie en marchant dans les bois ou en longeant une rivière : rencontrer quelqu’un, tomber amoureux, vivre au ralenti, oublier ses obligations et son travail.

Et puis…

L’inévitable clairière amie

Vaste, accueillante

Mais ici, une poésie authentique s’impose. Sans prétention, et avec une grande maîtrise des outils cinématographiques. Peut-être parce que le film ne semble obéir qu’à une seule voix, une seule plume, un seul désir : celui de Bruno Podalydès. Rien à voir avec les structures narratives trop bien huilées de Pascal Thomas. Le récit semble s’épanouir librement depuis un foyer unique, au rythme du kayak qui glisse sur l’eau.

Les fruits à portée de main

Et les délices divers

Dissimulés dans les entrailles

D’une canopée

Plus haut que les nues

Et puis il y a la chanson de Bashung, Vénus, qui revient à plusieurs reprises comme un motif discret mais entêtant. Chantée au ukulélé sous une tente, au bord de la rivière, puis encore, dans un travelling final magnifique, elle accompagne le retour du kayakiste vers sa femme. Un retour où l’on comprend qu’il a accepté. Accepté l’infidélité de sa compagne. Et aussi la sienne. Accepté que vieillir, c’est aussi renoncer à certaines illusions, mais pas à toutes.

Elle est née des caprices

Pommes d’or, pêches de diamant

Des cerises qui rosissaient ou grossissaient

Lorsque deux doigts s’en emparaient

C’est un film sur la fidélité et l’infidélité — à soi, à ses rêves, à son couple. Un film qui apaise parce qu’il montre que l’on peut traverser la crise sans tout casser. Que les désirs peuvent s’exprimer autrement que dans le fracas. Le personnage principal, employé de bureau rêveur, trouve dans le kayak une métaphore modeste du vol : lui qui aurait voulu voler, prend le courant. L’eau comme dernier refuge d’une vie un peu trop terrestre.

Toutes ces choses avec lesquelles

Il était bon d’aller

Guidé par une étoile

Peut-être celle-là

Première à éclairer la nuit

Il y a quelque chose du sage précaire dans cet homme. Quelqu’un qui reste fidèle à ses rêves d’enfant, même s’ils se réalisent en version réduite et brinquebalante. Et sa femme, belle et vieillissante, semble l’accepter, avec patience, tendresse, et depuis ses propres détours sentimentaux. Car il y a beaucoup d’affection entre eux, malgré les écarts.

Guidé par une étoile

Peut-être celle-là

Première à éclairer la nuit

Vénus

Deux films donc. L’un m’a crispé, l’autre m’a soigné. Mes changements d’humeur étaient-ils uniquement dus aux films ? Étaient-ils de mon fait ? Je ne saurais dire. Mais je sais ce que je garderai.

Et je sais que je visionnerai encore Comme un avion, ne serait-ce que pour sa bande-son. Une bande-son impeccable : Trois chansons dominent qui ont évidemment bouleversé Bruno Podalydès, comme elles vous ont bouleversés vous, et comme elles m’ont fasciné moi aussi : Comme un avion sans aile, de Charlélie Couture, Le temps de vivre de Georges Moustaki, et Vénus de Bashung et Gérard Manset. Le scénario ne fait rien d’autre, au fond, qu’illustrer ces trois chansons.