L’intelligence artificielle a écrit ma dissertation de philosophie

La question n’est pas de savoir si les capacités de l’intelligence artificielle sont impressionnantes ou pas, si cette technologie est bonne ou pas. Oui, c’est impressionnant, oui c’est utilisable. Il n’y a pas lieu de rejeter les innovations, puisque de toute manière, nous y viendrons tous. Les gens se sont suffisamment ridiculisés en vaines arguties dédaigneuses sur les téléphones portables, l’internet, les ordinateurs, les blogs, les encyclopédies en ligne et les réseaux sociaux, avant d’y sombrer corps et âme.

Les questions que je me pose sont les suivantes. Dans quelle mesure Chat GPT, le plus récent truc en Intelligence Artificielle, peut écrire une dissertation de philosophie ? Quelles en sont les limites ? Comment un étudiant peut utiliser cette fonctionnalité de manière productive ?

Soit le sujet suivant, que j’ai donné à une classe de terminale : « La technique nous éloigne-t-elle de la nature ? ». Voici ce que propose Chat GPT en introduction : « La question de savoir si la technique nous éloigne de la nature est un sujet de débat depuis des siècles. » Soit, le début n’est pas fou mais on ne va pas râler tout de suite.

La suite pose quelques problèmes :

D’un côté, certains considèrent que la technologie nous permet de mieux comprendre et de mieux apprécier la nature en nous offrant de nouveaux moyens de la découvrir. D’un autre côté, d’autres affirment que la technologie a un impact négatif sur la nature en causant des dommages irréparables à l’environnement.

Chat GPT

En tant que correcteur, je ne suis pas satisfait de lire « certains » et « d’autres ». Dans ce cas, j’écris dans la marge : « Qui ? ». Cette façon d’écrire est paresseuse et surtout ne témoigne pas d’une réflexion originale. La personne qui écrit de cette manière limite son travail à un exposé d’histoire des idées. Ce n’est pas ce qu’on demande en philosophie, et j’avais demandé explicitement à l’intelligence artificielle une dissertation de philosophie.

La suite développe un peu les deux idées proposées en introduction, sans vraiment de réflexion originale. La conclusion se veut équilibrée et synthétique : « Il est donc important de trouver un équilibre entre l’utilisation de la technologie pour protéger la nature et la nécessité de préserver notre lien avec elle. » Cela ne vaudrait pas une bonne appréciation de la part d’un professeur mais cela peut limiter les dégâts pour des élèves qui présentent des difficultés pour s’exprimer à l’écrit.

Quand je demande à Chat GPT de me trouver une référence d’Aristote sur ce sujet, l’intelligence artificielle me sort un premier paragraphe correct puis un paragraphe qui me paraît incorrect :

Aristote encourage une utilisation modérée de la technique, qui respecte les limites naturelles et qui vise à améliorer la qualité de vie de l’homme sans nuire à la nature.

Chat GPT

Ah bon ? Où a-t-il dit cela, le bon Aristote ? Dans la Grèce antique, avait-on conscience que l’homme et la technique polluaient la terre ? Y avait-il seulement cette idée de « nuire à la nature », prise dans ce sens de préoccupation environnementale ?

Le pire vient quand je demande une référence à Descartes : un premier paragraphe correct puis deux paragraphes qui répètent mot pour mot ce qui était généré sur Aristote. Même opération avec Heidegger. Au final, l’application répète la même idée qui se veut équilibrée et suffisante : il convient d’encourager « une utilisation modérée et responsable de la technique, qui respecte les limites naturelles et préserve notre lien avec la nature. »

En conclusion, l’intelligence artificielle est un super jouet, mais est loin de pouvoir travailler à notre place. Son principal problème, à mes yeux, consiste à fondre toutes les pensées dans un ensemble modéré et consensuel. Là où on attend d’un étudiant qu’il comprenne et approfondisse des problématiques, Chat GPT va plutôt le diriger vers une agrégation et une confluence généralisée.

Liseuse, Facebook, portable, blog : l’éternel réflexe technophobe

Ces conversations sur la liseuse numérique nous rappellent celles que nous avions autrefois vis-à-vis de chaque nouvelle technologie qui entraient dans nos vie.

Rappelez-vous les années 90 et 2000, vous n’aviez pas encore de téléphone portable. Rappelez-vous ce que vous disiez des téléphones portables. Je m’en souviens bien, moi, car mon amoureuse m’en avait offert un en cadeau de rupture. Les gens disaient jusqu’en 2002 ou 2003 qu’ils n’en posséderaient jamais, et ils trouvaient de nombreux arguments contre cet instrument inoffensif. Ils disaient que cela encourageait la frime, le narcissisme, l’infidélité, le manque de fiabilité et tous les vices de Sodome et Gomorrhe.

Et bien entendu, comme d’habitude, ils reprochaient au portable un manque d’authenticité. L’authenticité est toujours invoquée quand il s’agit de dénigrer une technologie, quelle qu’elle soit.

Lorsque l’usage du mobile a vraiment progressé, il s’est trouvé des « résistants » auto-proclamés qui annonçaient avec fierté qu’ils n’en avaient toujours pas. J’ai des amis qui organisaient des repas entre mobile free people. Je ne sais pas s’ils avaient d’autres points communs entre eux que de préférer le téléphone fixe au téléphone portable. Mais à l’époque, ils faisaient leur petit effet, en soirée, quand ils faisaient part de leur particularité.

La même attitude se retrouve aujourd’hui avec les réseaux sociaux. On peut encore frimer en disant : « moi, Facebook, connais pas ». Ce qui n’empêche pas, en général, de se plaindre d’un réseau social trop restreint, car l’attitude technophobe est fondamentalement illogique.

Rappelez-vous encore les débuts d’internet en France. C’était surréaliste de connerie, ce qu’on entendait dans les « médias traditionnels ». Des imbéciles professionnels tels que Philippe Val, dans les colonnes de Charlie Hebdo, ou sur les ondes de la radio, déversaient une haine incompréhensible et obscurantiste contre les sites ouèbe. Puis ils s’y sont fait et n’y trouvent plus rien à redire.

Et les blogs alors ? Encore aujourd’hui, j’aurais honte d’avouer que j’ai un blog, si je n’étais pas un sage précaire, et que je n’avais pas encore bu toute honte. Le blog est, dans l’esprit des technophones de la décennie 2002-20012 l’exact synonyme de mauvaise écriture, style relâché, absence de forme, indigence intellectuelle, nombrilisme et, pour faire bonne figure, inauthenticité.

La liseuse électronique n’est qu’une pierre de plus à l’édifice des techniques qui ont été snobées avant d’être adoptées.