Depuis des années, je fréquente la région des Cévennes. Jeune homme, j’y faisais des randonnées pédestres, vieil homme, j’y fais de la villégiature sauvage sur le terrain de mon frère Hubert.
L’été dernier, j’y ai découvert le grand écrivain des Cévennes, André Chamson, qui a donné son nom au lycée du Vigan. J’avais une image de lui un peu académique. C’est normal, il en était. Sur tous ses livres, la mention « de l’Académie française » barre la couverture et donne envie de fuir plutôt que de lire.
Or, j’ai acheté le tome de ses oeuvres complètes consacré à sa « suite cévenole », sans doute ses meilleurs ouvrages. Des livres qui rendent compte de manière réaliste de cette région au début du XXe siècle, quand Chamson était enfant, et qu’il venait chez sa grand-mère au Vigan.
J’ai lu d’une traite le premier texte du volume, Aigoual, qui n’est que le récit d’une course entre copains, et en pleine nuit, jusqu’au sommet du mont Aigoual. Impressionné, j’ai complètement oublié qu’il était académicien. Loin de me faire penser à une prose soucieuse de plaire et de respecter le bon goût, j’avais l’impression d’être dans un récit américain. Nulle psychologie, des actes, des mouvements, des sensations assez tranchées, et une impression de nuance qui se produit à l’intérieur de la conscience du lecteur.
Un autre jour, dans le hamac que mon frère a tendu au bord de la gourgue, à l’ombre, j’ai lu avec beaucoup d’enthousiasme Les Quatre éléments. Quatre nouvelles sur des « éléments » aussi fondamentaux que « la langue », « l’ennemi », « la bête » et « l’étrangère ».
La nouvelle consacrée à la langue est vraiment de toute beauté. Car, pour un catholique qui vit dans un pays de langue d’oc, le français est simplement une langue venue du nord qui trouve sa place entre le patois des vieux et le latin des clercs. Mais Chamson était un protestant, et pour un protestant, le français est d’abord la langue de la bible traduite. C’est donc une langue pleine de noblesse, de raideur, et d’une puissance surhumaine. Il raconte comment sa grand-mère accueillait les protestants du village chez elle, le mercredi soir, pour lire des passages de la bible et prier ensemble. Il raconte que c’était l’idiot du village qui lisait, et comment ces mots transfiguraient ce pauvre imbécile sur qui les enfants crachaient. Là non plus, on ne se croirait pas dans un roman à la française, mais chez un Faulkner, ou un Carver.
J’étais très ému par cette prose qui rendait présentes les frictions entre protestants et catholiques, car je vis à Belfast, où les tensions entre confessions existent toujours. Sauf que sur les îles britanniques, les protestants sont majoritaires et que ce sont les anciens oppresseurs.
De retour à l’université, j’ai pris rendez-vous avec un professeur d’ici, Peter Tame, qui se trouve être un spécialiste de Chamson. Il a écrit une biographie de l’écrivain, et publié quelques articles critiques sur ses romans. Je suis allé le voir dans son bureau pour discuter un peu. Un vaste bureau tapissé de livre, qui sent bon l’étude et l’amour de la littérature. Le professeur m’apprend qu’il possède une maison dans les Cévennes, et nous nous sommes promis de nous inviter pour l’apéro un de ces étés.
Il me raconte, de sa belle voix grave, et dans un français précis, l’histoire du premier roman de Chamson, celui qui l’a rendu célèbre dans les années 1920. Roux le bandit est l’histoire d’un paysan qui refuse d’aller à la guerre de 14 et qui va se cacher dans la montagne pendant cinq ans. Cette histoire me fascine ; elle résonne dans ma vie familiale. D’abord, le fait de se cacher dans la montagne cévenole, c’est un de mes projets d’avenir. Ensuite parce qu’il s’agit là d’un roman de l’objection de conscience, et que mon frère a lui-même été objecteur de conscience, à l’époque où le service militaire était encore obligatoire.
Je n’ai pas tellement de temps pour lire Chamson en ce moment, car j’ai une thèse à écrire, mais j’ai laissé le volume de la « suite cévenole » sur le terrain de mon frère, afin qu’il puisse lire si ça lui chante, et pour que je reprenne le cours de ma lecture à mes prochains passages.
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