Pierre Rabhi, la belle histoire

Tout commence dans le soleil d’Algérie. Pierre Rabhi raconte une enfance lumineuse et sage dans le sud de l’Algérie. Il raconte une pauvreté joyeuse et tranquille. Puis quand il immigre à Paris, il raconte la désolation du travail en usine, et son rêve d’avoir un lopin de terre. Dans son combat quotidien, il rencontre une Française aux yeux verts, qui travaille dans un bureau. L’immigré vertueux et la belle autochtone de la classe ouvrière se plaisent. Ils vivront leur histoire d’amour dans le travail du corps, dans la pauvreté, mais dans la beauté de la nature.

Le petit homme ne promet pas à la jeune femme des richesses mirobolantes, il lui promet simplement une vie heureuse sous le soleil, près de la terre. Avec l’énergie du désespoir, ils réussissent à s’extirper de la ville pour aller s’installer dans les Cévennes ardéchoise. Pourquoi là-bas ? Parce que plus personne ne veut de cette terre ingrate, que les gens quittent la campagne, et qu’on peut acheter quelques arpents de terre et une maison en ruine pour une bouchée de pain.

Du Sahara aux Cévennes

 

Pendant des années, sans électricité ni eau courante, Pierre Rabhi donne ses forces comme ouvrier agricole pour gagner trois francs six sous, et travaille sa propre terre. Il fondera sa famille et finalement, il réussira à vivre frugalement mais paisiblement.

Voilà, tout s’arrête là. Pour le sage précaire, Pierre Rabhi, c’est cela et rien d’autre. Il n’a rien de ce « grand penseur » qui est devenu la coqueluche des médias. Il n’est même pas un penseur à proprement parler. Il est un réservoir de rêve. Rabhi, c’est un voyage de toute une vie, qui va de l’Algérie aux collines de l’Ardèche. Pierre Rabhi, c’est une belle histoire à raconter aux enfants, et c’est une inspiration pour celles et ceux qui se cognent la tête dans une société trop dure pour eux. Une belle histoire qui s’arrête à la fin du XXe siècle.

Car dans les couloirs de La Précarité du sage, on se gausse et on ricane bruyamment. Les collaborateurs de ce blog connaissent Pierre Rabhi depuis des lustres, et nous observons son devenir star avec un certain malaise. Ce que nous ressentons est similaire à ce que ressent un fan de rock qui délaisse son groupe favori au moment où il connaît le succès. Il a perdu son authenticité, sa vigueur, et jusqu’à son identité, en conformant son discours aux émissions de télévision.

Dans les médias, on parle de lui comme un nouveau maître à penser, en le présentant à chaque fois comme un parfait inconnu qu’on a déniché derrière un fagot. Mais pour la sagesse précaire, Pierre Rabhi est un vieux compagnon de route, quelqu’un qu’on ne présente plus. On n’en a même jamais parlé sur ce blog parce qu’il fait partie de nous, il nous est trop intime.

Depuis les années 2000, il court le monde et donne conférence sur conférence. Il s’est transformé en homme public. En homme médiatique. Il organise des stages, il fonde association sur association, il se présente même à des élections. C’est une grande star. Mais en terme de star, le sage précaire préfère Marilyn Monroe.

 

Du Sahara aux Cévennes 2

 

 

Pierre Rabhi (2), Qu’avez-vous fait du héros de ma jeunesse ?

jardin sauvage

En même temps, j’ai toujours été un peu sceptique quand j’entendais parler des méthodes agricoles mise en place par mon héros Pierre Rabhi.

J’aime ses pages de sensations, quand il tombe de sommeil sur sa mobylette, par exemple.

Je suis moins enthousiaste quand il ressasse des formules toutes faites sur la beauté de la nature et sur l’humanisme.

Et je deviens franchement dubitatif quand j’entends parler d’agro-écologie, et des miracles que cette méthode produirait, dès le moment où le sol se verrait dynamisé et débarrassé de ces diableries que sont les pesticides et des engrais chimiques.

Quand je vivais dans les Cévennes, j’en entendais beaucoup parler, mais il y avait toujours quelque chose d’un peu magique dans les paroles. On me disait que si le compost était fait comme ceci, ses résultats étaient extraordinaires. J’en vins à penser que le compost était un art en soi, et que j’étais dépourvu du talent nécessaire pour y réussir. J’entendais encore que si l’on cultivait comme cela, les productions seraient magnifiques. Sauf que personne n’était en mesure, apparemment, de cultiver « comme cela ».

Le chose la plus importante et la plus impressionnante était la question de l’eau. Il est dit et répété qu’avec très peu d’eau, on peut réussir à cultiver la terre avec des résultats qui n’ont rien à envier à l’agriculture conventionnelle. Que Pierre Rabhi, puisant dans ses origines sahariennes, savait recréer les conditions d’un oasis en pleine sécheresse. Que c’est pour cela qu’il a créé des lieux d’expérimentation et de formation à Gorom Gorom, au Burkina Faso. Evidemment, cet aspect nous faisait intensément rêver, et suscitait un espoir fou. Mais était-ce réel, était-ce fiable, était-ce tangible ?

butte tomate mildiou

Je n’ai jamais eu les preuves sous les yeux des méthodes révolutionnaires de Pierre Rabhi. J’ouvrais les bouquins de technique d’agro-écologie publiés par « Terre et Humanisme », et je ne voyais que des illustrations en dessin, des pétitions de principe. J’avais l’impression qu’on était devant un phénomène de croyance : le sage a parlé, il a expérimenté, il faut le croire.

Un film a été produit l’année dernière, Pierre Rabhi, Au nom de la terre. Un documentaire signé Marie-Dominique Dhelsing, co-produit par « Terre et Humanisme », l’association principale de la nébuleuse agro-écologique (qui fut d’abord créée sous l’appellation « Les Amis de Pierre Rabhi »). En terme d’indépendance de point de vue, on a fait mieux, dans le domaine des documentaires.

Je suis allé voir ce film avec ma mère, et nous n’avons rien appris de nouveau. La salle du superbe cinéma de Villefontaine (Le Fellini) était pleine à craquer, signe de la starisation croissante du penseur. La réalisatrice était présente pour répondre aux questions, et dans le film comme dans les débats, il n’était question que de planète, de respect, d’humanisme, de « terre nourricière », de mots creux et d’idées vagues.

J’aurais voulu avoir des preuves et des démonstrations qu’il était possible de nourrir des populations entières avec très peu d’eau et sans pesticides. Qu’on pouvait concrètement vivre de sa ferme en agro-écologie, c’est-à-dire qu’on mette en scène des comparaisons de méthodes de culture, sur des sols équivalents, et des comparaisons de production. Qu’on nous montre concrètement les miracles dus au compost et aux systèmes d’irrigation inventés malgré la sécheresse. Qu’il y ait un suivi probant des expérimentations faites en Afrique.

Rien de tout cela. Les images de terre et de jardin sont toutes décoratives, jamais explicatives. Les images de Gorom Gorom n’étaient vraiment pas engageantes. Et tout le long du film, on voit Pierre Rabhi sur tous les continents, en train de parler. En ceci, ce n’est pas seulement un film de propagande, c’est aussi un film extrêmement bavard. Tourné vers la communication et l’idéologie bien plus que vers la terre et l’agriculture.

mais

Sans le vouloir, on a fait du héros de mon enfance un communicant et VRP d’une cause que je ne comprends toujours pas clairement.