Prima Donna pomodoro

Tomate Solanum lycopersicum L. sur granit White colonial

Nous avons dégusté notre première tomate le 8 juin 2023. C’était un rare délice.

Pour être honnête elle ne fait pas partie de mon potager, des plants que j’ai semés pendant l’hiver dans de petits pots avant de les mettre en pleine terre. Elle est issue d’un plant de tomates précoces (d’où leur nom familier de « Précoce glacier ») que mon frère m’a donné en mars dernier. Je n’ai rien eu à faire qu’à le placer au soleil et l’arroser.

Ma première tomate et sa tartine d’avocat, de fromage de brebis et d’harissa.

Mon petit potager en juin

Je n’ai pas donné de nouvelles de mes tomates. Pourtant je passe du temps chaque jour autour de mes plantes potagères. La plus grande nouvelle dont je puisse être fier est le léger rougissement des tomates les plus précoces.

Si un oiseau ne vient pas becqueter mes beaux fruits, je pourrai manger ma première tomate dès le mois de juin.

Dans le jardin potager, tout ce que j’ai semé et ce qu’on m’a donné poussent à merveille. Les tempêtes récentes, les grêles et les saints de glace n’ont pas eu d’impact sur mon petit carré.

Mon basilic se porte bien. Je suis très fier de voir les quinze petits plants grandir avec timidité. Les premières feuilles de basilic sont brillantes et vigoureuses.

Et pour ce qui est des tournesols que mon frère m’a donnés, pas de commentaire. Ils sont chez eux et règnent littéralement sur mon potager.

Mes tomates poussent enfin comme des fusées

Je peux enfin me réjouir le matin. Mon jardinage commence à porter ses fruits.

Le soir je couvre les plants d’une serre bricolée avec une bâche qui avait servi à envelopper des matelas achetés d’occasion. Le matin je les découvre pour qu’ils profitent du grand air.

Quand le soleil paraît je les photographie comme des stars de cinéma. Sur le smartphone que j’utilise pour l’occasion, je sélectionne le mode « portrait » et la fonctionnalité « lumière de studio ». Cela gomme leurs rides et rend leur peau plus éclatante.

Premières mises en terre des plants de 🍅

Je sais qu’il est un peu tôt pour les mettre en terre. On me dit qu’il est préférable d’attendre le mois de mai pour éviter les derniers frimas. Je tente ma chance avec deux plants tandis que je garde les autres à l’intérieur.

Mon plan consiste à mettre en terre de manière échelonnée pour expérimenter. Le but est de produire des tomates le plus tôt possible, dès que les beaux jours seront installés.

Je vous tiendrai au courant de l’évolution de la situation.

Mise en terre 12 avril 2023

Culture en pots

Semis de basilic et plats de tomates, avril 2023

L’aqueduc : marcher dans les murs

Mes promenades dans la palmeraie. La course et la marche entre les champs et sur les chemins d’eau. Mon oasis est en effet traversé de voies et de circulations 

Non loin de ma maison, en s’enfonçant dans la palmeraie, une arche se trouve pratiquée dans un mur. Longtemps, en me promenant au hasard, je ne prêtais pas attention ni au mur ni à l’arche.

Longtemps, je me bornais à marcher, à admirer les nuances infinies de vert et, sans me presser excessivement, je gardais en tête l’idée de retrouver plus ou moins mon chemin. Ou au moins de me rendre, à force de zigzags rêveurs, sur un sol connu d’où je serais apte à rentrer chez moi.

Et puis à force, j’ai apprivoisé mon oasis. J’ai appris à me repérer et à observer plus en détail les constructions variées des paysans locaux.

Dans cette arche, par exemple, j’ai réalisé qu’il y avait un escalier et j’ai décidé de m’y aventurer.

J’ai toujours rêvé de parcourir l’intérieur des murs, alors même que je souffre de claustrophobie.

Ma première nouvelle publiée, dans les années 1990, parlait justement d’un musée d’art contemporain où les murs sont aménagés de telle sorte que l’on puisse y intégrer des haut-parleurs, des objets de toute sorte, voire y faire pénétrer les visiteurs. A l’époque de cette nouvelle, je venais d’être viré du musée de Lyon mais j’avais gardé un souvenir merveilleux de mon activité de conférencier précaire. Toujours est-il que mes personnages passaient de plus en plus de temps dans les murs. J’essayais de donner une tournure kafkaïenne à cette histoire, preuve s’il en est qu’on ne devrait jamais écrire après avoir été viré.

Ici, dans cet oasis omanais, ce gros mur de pierre avait certainement une autre fonction que celle de séparer des parcelles de culture. Cela devait être une frontière de quelque sorte. Encore plus excitant de s’y enfoncer.

En haut de l’escalier, une fenêtre permettait de sortir et une nouvelle rangée de marches m’attendaient sur la façade extérieure du mur.

En plus de la claustrophobie, je souffre pas mal du vertige, mais j’affrontais mes tremblements pour monter jusqu’en haut. Ce que j’y vis me récompensa au centuple du courage dont je fis preuve.

Sur l’arête du mur coulait une eau fraîche et abondante.

Le mur n’était pas une frontière mais un aqueduc qui acheminait l’eau de la montagne vers les fermes de l’autre côté de la vallée.

Le mur était en fait un énorme falaj de pierre, une irrigation millénaire.

Ce jour-là je n’avais pas de téléphone ni d’appareil pour prendre des photos. Celles qui illustrent ce billet ont été prises lors de promenades ultérieures, et c’est pour cela que la photo qui suit montre une eau paresseuse et maigre : l’eau des falaj est minutieusement répartie entre paysans et on voit rarement courir l’eau au même endroit à fréquence rapprochée.

 

J’ai ôté mes chaussures et ai trempé mes pieds dans l’eau tiède et rapide en regardant l’oasis de ce nouveau point de vue.

A moitié par sens de l’aventure, et à moitié par peur de descendre par le même escalier, je décidai de marcher dans l’eau pour voir où ce falaj des hauteurs pouvait bien mener.

Mais cela, je vous le dirai une autre fois.

Courir dans l’oasis

Tous les matins, avant qu’il fasse trop chaud, je me promène dans l’oasis au bord duquel se situe ma maison.

Les palmiers dattiers sont en train de se garnir de fruits verts qui grossissent presque à l’oeil nu. Au pied des palmiers poussent des bananiers et autres arbres fruitiers : des grenadiers, des citronniers et des arbustes à fleurs.

En passant devant ces arbres, on cueille des feuilles et on les renifle. Cela sent l’agrume, le thym, le curry, les épices orientales. C’est ainsi que se partage le territoire dans mon oasis : les palmiers pour les affaires, les exportations de dattes. Les autres arbres pour les travailleurs et les familles locales, pour leur thé, leurs repas et leurs parfums.

Entre chaque parcelle, les falaj attendent l’eau qui irriguera tous les champs par alternance.

Mes promenades sont un peu sportives. Par amour pour la nature et les nuances de verts, mes promenades se transforment en jogging. Poussé par une force obscure, mes jambes se mettent à courir et je rentre à la maison, tous les matins, en sueur et la tête pleine de lumière verte.

Mon terrain cévenol : pas de frontières, mais un coeur

Je me suis rendu en Cévennes avec Ben et ses trois garçons, comme chaque été, et avec un Philippe célibataire qui avait envoyé femme et enfant à l’étranger.

C’était une bonne chose de pouvoir fouler une dernière fois mon terrain avant de partir pour l’Arabie. Mes cerisiers sont toujours vivants, malgré la sécheresse de cet été, et la source n’a cessé de s’écouler et de faire une boue délicieuse pour les sangliers.

Ma source d’eau pure à laquelle je bois avec un plaisir si inapproprié qu’une nuit, dans la cabane, j’ai rêvé que je faisais l’amour avec Brigitte Bardot. Celle de 1965, pas celle de 2015. Je pense que ce rêve était associé à ma source et à mon terrain car la bouche de BB était fraîche et abondante. Mes terres cévenoles, je les envisage comme un jardin d’amour, une oasis torride cachée dans la forêt. Les Brigitte Bardot du XXIe siècle y viendront se reposer et se ressourcer, à mes côtés ou en mon absence.

Mes amis ont donc eu l’opportunité de fouler cette terre, chacun ayant ses rêveries et ses intérêts propres. Ils savent quoiqu’il en soit qu’ils y seront toujours les bienvenus pour des vacances en famille, des retraites spirituelles et des escapades (il)légitimes. Mais pendant que Ben réfléchissait aux potentialités concrètes des lieux découverts pas à pas, Philippe ressentait une gêne. Il voulait savoir exactement où commençait, où finissait mon terrain, et la raison pour laquelle j’étais incapable de lui donner satisfaction.

Je lui disais là-bas, grosso modo, on est plus ou moins sur mes terres.

Et ce rocher, par exemple, sur notre droite ?

Bon, eh bien ce rocher, on va dire que c’est plutôt hors de mon terrain.

Mais là où nous marchons, c’est chez toi ou pas ?

Ah oui, nous sommes chez moi, là, les gars.

Tu en es sûr ?

Oui, pour moi on est chez moi. Dans mon coeur, je suis convaincu qu’on est chez moi.

Ce langage ne peut pas convenir à Philippe. Ce dernier n’a jamais vu les plans du cadastre, donc il est dans l’obscurité la plus totale. Moi, j’ai plusieurs fois exploré la montagne les plans à la main, soit avec mon frère, soit avec l’ancien propriétaire qui m’a vendu ces parcelles. A chaque arpentage, chaque promenade, les limites restaient peu claires, mais cela ne me dérangeait pas. Nous savions que les lieux de vie les plus significatifs (la source et les terrasses plates propices au jardinage) étaient bien situés sur lesdites parcelles, et rien d’autre ne m’importait.

C’est là que j’ai perçu une différence fondamentale entre Philippe et moi. Il disait souvent : « mais où est-il ce terrain ? » comme Henri Michaux sur le fleuve Amazon : « Où est-il ce voyage ? » Certains pensent que la première chose à faire, quand on achète un bien, est de le délimiter et éventuellement de l’encadrer par une barrière ou une corde. Pour ma part, je ne vois pas l’intérêt de faire une chose pareille. Je me contente d’une frontière floue, à la limite de l’inexistence.

Il faut dire que la première fois que nous sommes allés sur mon terrain avec Philippe, sa femme et son fils, nous nous sommes perdus dans la forêt et ne l’avons jamais trouvé. On avait garé la voiture sur la route du Puech Sigal et notre idée était d’atteindre le terrain en descendant par la forêt du haut, chemin que je ne connaissais pas bien. Après une heure d’égarement, je leur ai dit que nous essaierions le lendemain, en montant depuis le terrain de mon frère. Je maîtrise mieux la géographie par le bas, c’est ainsi.

Depuis, quand on parle de mon terrain, Philippe n’est pas négatif mais il énonce calmement qu’il faudrait encore savoir où il se trouve. C’est ici que je vois cette différence entre lui et moi. Une différence métaphysique. Pour Philippe, un être a besoin d’être délimité pour être. Ceci ne s’applique pas dans le cadre de la sagesse précaire.

Dans la métaphysique de la sagesse précaire (au livre gamma bien sûr, mais on peut trouver la même idée dans le delta et bien d’autres livres), certes un être a besoin d’être individué pour être, mais son individuation ne passe pas par sa délimitation. Il s’agit plutôt d’une présence immanente et rayonnante, qui irradie depuis son milieu. Je me tue à le dire, l’individuation est une question d’événement, et non d’espace-temps.

J’avais avancé une idée équivalente à propos des oeuvres d’art, des livres et des films, ce qui compte dans un lieu ce n’est pas son confin mais son coeur. Ce qui le distingue de son voisin ce n’est pas sa frontière, contrairement à ce que l’on dit trop souvent.

L’identité de mon terrain tient dans sa source et les terrasses qui se trouvent en contrebas. Tout le reste c’est de la friche. De la friche essentielle, mais de la friche. De la forêt, du bois, de la montagne. Une montagne indispensable pour la venue au monde de mon oasis érotique, site incontournable, mais non équivalent avec mon terrain.

Sage précaire propriétaire

Je tiens à le dire avec force et en m’avançant pour prévenir toutes les critiques. Tout sage précaire que je suis, je ne crains pas d’être propriétaire, le cas échéant. La chose est faite, actée, notariée et payée : vous avez devant vous l’heureux propriétaire des parcelles 376 et 379 entre le Puech Sigal et La Rouvière. Une terre magnifique en pleine montagne, où coule une source d’eau pure. Une terre bénie des Dieux, baignée de soleil.

Terre, eau et soleil. Voilà ce que je viens d’acquérir et personne ne pourra m’en déloger. Je peux désormais faire face à la vie économique, me mettre en danger et narguer la précarité. Si le sort s’acharne sur moi et que je deviens clochard, j’aurai toujours cette terre où trouver refuge. Les Cévennes sont une terre de refuge : les protestants y ont résisté aux armées du roi, les hérétiques de tout poil y ont toujours trouvé une place. L’écrivain cévenol Jean Carrière l’a très bien compris, avec ses écrits sur les Etats-Unis et le Canada : les Cévennes sont l’Amérique des Français. Qui veut pratiquer un culte minoritaire, alternatif, librement et pacifiquement, trouvera sa place dans les rudes montagnes des Cévennes.

Ma terre est sauvage comme les sangliers qui la parcourent, mais elle est déjà empaysagée, car les hommes y ont cultivé l’oignon et la châtaigne autrefois. Il y reste des murs, des ruines de paysage humain. A moi de les remettre au jour.

Et je dis merde à tous ceux qui viennent me chier dans les bottes. Ceux qui me traitent de capitaliste au prétexte que je suis un « possédant », et que j’ai maintenant un « capital ». Ce que je possède est à la fois plus et moins qu’un capital. Ma terre est invendable, elle ne vaut rien en terme financier, mais elle est précieuse à un point tel qu’elle n’a pas de prix. Elle constitue juste un îlot de soleil et d’accueil dans un monde d’horreur économique.

Je les attends, ceux qui me disent que je ne suis pas si précaire que cela. Qui est sans domicile fixe depuis 2012 ? Qui vit de petits boulots en attendant de trouver une université qui veuille enfin de lui ? Qui se voit exclu de toute possibilité d’obtenir ne serait-ce qu’un logement digne ? Qui dort sous les ponts et dans les fossés ? Qui doit toute sa dignité à la solidarité familiale, amicale et nationale ? Qui est entièrement dépendant de l’hospitalité des autres ? Le sage précaire.

Le sage précaire préférerait ne pas être propriétaire. Le monde idéal est une société sans propriété privée. On aimerait dire à celui qui met un enclos autour d’une terre : « ceci n’est pas à toi, on ne possède pas la terre ». Dans le monde idéal, le sage précaire est nomade et va de parcelle en parcelle, sans exploiter bêtement un territoire plutôt qu’un autre.

Mais dans notre monde imparfait, il sécurise un petit espace dans la montagne où il pourra inviter sa famille, ses amis et son amoureuse. Et leur rendre un peu de l’hospitalité dont il a bénéficié.

Pierre Rabhi, la belle histoire

Tout commence dans le soleil d’Algérie. Pierre Rabhi raconte une enfance lumineuse et sage dans le sud de l’Algérie. Il raconte une pauvreté joyeuse et tranquille. Puis quand il immigre à Paris, il raconte la désolation du travail en usine, et son rêve d’avoir un lopin de terre. Dans son combat quotidien, il rencontre une Française aux yeux verts, qui travaille dans un bureau. L’immigré vertueux et la belle autochtone de la classe ouvrière se plaisent. Ils vivront leur histoire d’amour dans le travail du corps, dans la pauvreté, mais dans la beauté de la nature.

Le petit homme ne promet pas à la jeune femme des richesses mirobolantes, il lui promet simplement une vie heureuse sous le soleil, près de la terre. Avec l’énergie du désespoir, ils réussissent à s’extirper de la ville pour aller s’installer dans les Cévennes ardéchoise. Pourquoi là-bas ? Parce que plus personne ne veut de cette terre ingrate, que les gens quittent la campagne, et qu’on peut acheter quelques arpents de terre et une maison en ruine pour une bouchée de pain.

Du Sahara aux Cévennes

 

Pendant des années, sans électricité ni eau courante, Pierre Rabhi donne ses forces comme ouvrier agricole pour gagner trois francs six sous, et travaille sa propre terre. Il fondera sa famille et finalement, il réussira à vivre frugalement mais paisiblement.

Voilà, tout s’arrête là. Pour le sage précaire, Pierre Rabhi, c’est cela et rien d’autre. Il n’a rien de ce « grand penseur » qui est devenu la coqueluche des médias. Il n’est même pas un penseur à proprement parler. Il est un réservoir de rêve. Rabhi, c’est un voyage de toute une vie, qui va de l’Algérie aux collines de l’Ardèche. Pierre Rabhi, c’est une belle histoire à raconter aux enfants, et c’est une inspiration pour celles et ceux qui se cognent la tête dans une société trop dure pour eux. Une belle histoire qui s’arrête à la fin du XXe siècle.

Car dans les couloirs de La Précarité du sage, on se gausse et on ricane bruyamment. Les collaborateurs de ce blog connaissent Pierre Rabhi depuis des lustres, et nous observons son devenir star avec un certain malaise. Ce que nous ressentons est similaire à ce que ressent un fan de rock qui délaisse son groupe favori au moment où il connaît le succès. Il a perdu son authenticité, sa vigueur, et jusqu’à son identité, en conformant son discours aux émissions de télévision.

Dans les médias, on parle de lui comme un nouveau maître à penser, en le présentant à chaque fois comme un parfait inconnu qu’on a déniché derrière un fagot. Mais pour la sagesse précaire, Pierre Rabhi est un vieux compagnon de route, quelqu’un qu’on ne présente plus. On n’en a même jamais parlé sur ce blog parce qu’il fait partie de nous, il nous est trop intime.

Depuis les années 2000, il court le monde et donne conférence sur conférence. Il s’est transformé en homme public. En homme médiatique. Il organise des stages, il fonde association sur association, il se présente même à des élections. C’est une grande star. Mais en terme de star, le sage précaire préfère Marilyn Monroe.

 

Du Sahara aux Cévennes 2