Qu’être impressionné, c’est le contraire d’admirer

Quand un étranger parle couramment le mandarin, l’audience chinoise manifeste avec cœur et avec bruit son enthousiasme. Les Chinois sont impressionnés et ils le font savoir. L’étranger doit se méfier terriblement de cela. Il risque de prendre trop de plaisir, il risque de vouloir provoquer encore et encore cette réaction de spectateurs ébahis. La déception viendra plus tard, quand il se rendra compte qu’ils s’ébaubissent mais que rien ne passe de lui à eux. Ils sont seulement impressionnés.

Impressionner, être impressionné, ce sont les deux faces d’un système dont il convient au moins de repérer la force déceptive.

Être impressionné, c’est le contraire d’admirer. Quand on admire, on est attiré vers un terrain inconnu, quelqu’un nous révèle l’existence de choses nouvelles à voir, à écouter, à penser. Par l’admiration, on est tiré vers le haut, ou vers le côté, ou vers le bas, enfin on est mis en mouvement, on est aspiré quelque part. L’admiration est une invitation au voyage.

Baudelaire admirait ses amoureuses. Moi, j’ai admiré des professeurs, comme Germain Malbreil, qui faisait de la philosophie d’une facon qui m’a bouleversé. J’ai aussi admiré des amoureuses. J’ai admiré des amis, pour leur façon de parler, d’autres pour leur facon d’écrire, ou de se comporter. J’admire les gens capables d’etre vraiment gentils, ou vraiment indulgents ; je leur trouve une force incomparable.

En revanche, quand on est impressionné, on reste extérieur à ce que l’on regarde. On pousse des Oh! et des Ah!, comme devant un feu d’artifice, et on repart inchangé.

Les Chinois aiment impressionner et, par là même, ils aiment être impressionnés. Ils savent que cela ne les touche pas profondément. Ils savent faire la mimique admirative pour n’être en rien troublés, touchés, déstabilisés.

Et l’étranger se retrouve, avec sa maîtrise relative du mandarin, transformé sans le savoir en singe savant, en bête de foire que l’on écoute avec délice mais sans communication.

Ici est le piège, et la réflexion sur la motivation qui nous pousse a apprendre une langue : veut-on impressionner la galerie, veut-on développer un savoir, ou veut-on approfondir une relation avec des gens ? Cette dernière option est peut-etre subordonnée a une méfiance sourcilleuse face aux séductions trompeuses.

15 commentaires sur “Qu’être impressionné, c’est le contraire d’admirer

  1. Mais ce qui sucite l’admiration chez l’un impressionne l’autre, et vice versa.
    A mon avis, souvent, la différence réside moins dans l’émetteur que dans le récepteur.

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  2. Je ne crois pas. Prends les langues etrangeres. Les gens qui parlent cinq, six langues, font toujours une grande impression, et pourtant ca n’apprend rien a personne, ca n’inspire personne a rien. Meme chose pour ceux qui racontent leurs aventures de voyage. En ce sens, et selon les definitions approximatives du billet ci-dessus, nous ne sommes pas en presence de l’admiration.
    L’emetteur peut chercher a impressionner – c’est meme essentiel, cela fait partie de l’aspect brillant, etincelant, de la facade – alors que l’admiration passe la ou on ne l’attend pas, et ne se commande pas. Le prof qu’on admire est celui qui a le plus de mal a parler en public.

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  3. Dans la culture occidentale on se soucie seulement de ne pas perdre la face ou de ne pas la faire perdre à son interlocuteur. Il me semble que la culture chinoise va plus loin. Il s’agit aussi de « donner » de la face…c’est-à-dire de s’inscrire dans tout un ensemble de codes ( qui va de l’admiration manifestée, à toute une gamme subtile de comportements) valorisant de façon ostensible l’interlocuteur. Par ce biais, tout un jeu en miroir (on pourraît parler de feed back en communication) permet à celui qui « donne » de la face, d’en recevoir en retour, etc…etc…

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  4. Je crois que ce qui se joue là, c’est un jeu inconscient avec l’empathie. Quelqu’un de fragile mais brillant, comme un excellent prof maladroit en public, nous émerveille sans nous écraser. C’est la même chose avec un personnage de roman héroïque mais malheureux. Ou une fille très belle et très timide ; Quelqu’un sans faille domine trop possède quelque chose d’humiliant qui le rend antipathique. On se dit : il est brillant, beau, héroïque, intelligent, polyglotte, etc., mais il ne me touche pas, il ne me parle pas, il m’est indifférent, il me laisse froid. Et parfois même on se dit: il ne sait pas aller vers les gens, il manque de générosité, il est arrogant.
    J’ai une amie polyglotte très belle et très timide, l’incarnation même de l’understatment. Tout le monde l’adore. On cherche sa compagnie. Si elle était moins timide mais très laide, je pense qu’on continuerait de la trouver chouette. Mais le jour où elle sera belle, polyglotte et sûre d’elle, ce qui finira par arriver j’imagine, elle commencera à intimider et les gens s’éloigneront.
    L’Idiot de Dostoievski, par exemple, il est idiot et pauvre. Mais il est prince et très beau. Pour qu’on s’intéresse à quelqu’un, réel ou fictif, il faut la coexistence de cette fragilité qui rapproche et de cette grandeur qui fait rêver. N’être que fragile, c’est se faire mépriser. N’être que grand, c’est humilier. Mais ce jeu pervers avec les ego n’est pas la faute de celui qui porte ou non ces qualités. C’est la conséquence du degré de confiance en soi du récepteur.
    Un homme sûr de lui prendra le risque d’une histoire d’amour avec Diane Kruger (je dis ça suite au film l’âge des ténèbres, que je vous recommande). Quelqu’un qui doute (ou qui sait qu’il est plein de limites) se contentera sagement d’être impressionné par Diane Kruger, et d’admirer une femme moins belle et moins célèbre avec qui il fera sa vie.

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  5. Être cultivé a son côté bon et au même temps mal ! Mal,car apparais toujours les envieux que ne regardent avec bons yeux et plus le conflit de culture..! .Tout ce que c’est différents maniére d’eux d’être c’est eu comme arrogant,anthipatique et l’autres adjetifs.
    Je suis polyglotte,et quel est l’ avantage ? bien,je peux connaître plusieurs culture et maniére différents de nos même,ce fait tout m’être assez intéresant.
    Avoir admiration par les gens assez intelligents,c’est vu par moi,comme un encouragement d’arriver où il a arrivé,c’est-a-dire,atteindre le même degré de connaissance d’eux.
    Existe certains gens que nous laisse impressioné par la culture,situation normal,rien de plus..!

    Tony do Brasil

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  6. Tout cela est vrai mais n’entre pas tout a fait dans la distinction que je cherchais a faire. Impressionner, c’est facile et je crois qu’il faut essayer d’en sortir, parce que c’est un jeu vide, creux. Ou alors il faut en jouer, comme les dandys pouvaient le faire. Etre impressionne par quelqu’un qui parle cinq langues est naturel, mais n’oublions pas qu’il est preferable de dire des choses interessantes dans une seule langue que des platitudes dans une multitude d’idiomes.
    Inversement, etre impressionne seulement pose un probleme car on reste tres passif, on ne fait aucun effort et au final, il y a quelque chose de tres conformiste la-dedans. Il me semble qu’admirer est un peu plus dangereux car l’admirateur voit un monde nouveau, donc non conventionnel, s’ouvrir a lui.

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  7. Je ne vois guère de différence entre « être impressionné » et « admirer ». Celui qui admire est nécessairement impressionné. Cela vient de loin, de l’enfance, période propice au phénomène.
    Être impressionné ou admirer, c’est coller sur une personne un certain nombre de concepts de valeur que notre éducation ou notre conditionnement nous ont habitués à coller.
    Les idées préconçues nous y préparent – ce que la personne représente socio-culturellement – la situation le permet, la personne nous y aide. Et l’affaire est close.
    Sans les concepts, et sans les idées conditionnées que peuvent nous inspirer des personnes, nous sommes tous semblables.

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  8. Mart revient en grande forme de moraliste, on croirait du Pascal. Cela dit, si l' »impressionnement » semble bien lié à un rapport de pouvoir, je ne crois pas qu’on puisse dire que nous admirons ce en quoi nous voyons la « faille » ou la faiblesse qui rendent l’objet inoffensif. J’aimerais pouvoir dire que l’admiration est indépendantte de ce désir de dévalorisation qui, s’il est bien compréhensible, paraît aussi un peu mesquin. J’ai trop d’admiration pour l’admiration, sentiment qui me paraît plus noble, lié à ce qu’Aristote appelait la magnanimité, grandeur d’âme qui sait justement accepter la grandeur ou la supériorité éventuelle et sans défaut d’autrui.

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  9. Mart revient en force ? Mais son commentaire date de 2007!
    Je suis d’accord avec toi, je ne crois pas à cette histoire de fragilité, qui est essentielle pour aimer, peut-être, mais pas pour admirer.
    Jean-Louis, je ne peux pas être plus en désaccord. Nous sommes tous semblables, déjà, j’en doute un peu, mais qu’admirer revienne à « coller » des « concepts de valeur » sur quelqu’un, je crois qu’il faut n’avoir jamais admirer pour penser cela.
    D’ailleurs, c’est fréquent. Il y a des gens, peut-être nombreux, qui n’admirent personne, et qui s’en portent très bien.

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  10.  » mais qu’admirer revienne à “coller” des “concepts de valeur” sur quelqu’un, je crois qu’il faut n’avoir jamais admirer pour penser cela.  »

    C’est bien le contraire. Nous sortons de l’enfance et nous traversons l’adolescence avec plein d’illusions sur des figures, des personnes que nous admirons. Et nous continuons : crédulité, panthéons divers et variés, occasions nombreuses où nous sommes impressionnés.
    C’est avec le temps que l’on s’aperçoit que les objets d’admirations ne sont que conceptuels.
    Changez vos valeurs, vous verrez, vous n’admirerez plus les mêmes personnes.

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  11. Oui, je serais d’accord avec vous si je partageais la premisse de votre raisonnement : il n’y a pas de différence de nature entre admirer et être impressionné. Ce que vous décrivez ici se rapproche du deuxième terme de l’opposition. Dans mon billet, je me propose de montrer que l’admiration c’est autre chose, mais on peut ne pas me suivre sur ce terrain, je le comprendrais très bien.
    Ceux que j’admire, moi, sont justement ceux qui m’ont ouvert l’esprit à des choses qui ne m’avaient jamais été inculquées. La gentillesse, par exemple, n’avait jamais été une valeur pour moi, c’est pourquoi quand je crois l’apercevoir chez quelqu’un, je suis plus que simplement impressionné.

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  12. Votre texte a éclairé des points d’ombres…

    Un autre angle… Bien que je ne sois pas en accord avec le titre,
    ni avec certaines affirmations. Cela se justifie justement par nos différences.

    J’impressionne beaucoup, depuis toujours et parfois je suis admirée (quelle chance).
    Je déteste cette position, elle me met très mal à l’aise
    et pourtant, je suis obligée d’admettre que je me conditionne pour la créer.

    Je ne m’étais jamais senti si chinoise… bien que je ne sois armée
    puisque mon empathie est inversement proportionnelle à ma souffrance.

    …méfiance sourcilleuse face aux séductions trompeuses ? Je m’interroge ?

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Répondre à guillaumethouroude Annuler la réponse.