Saint Patrick à Belfast (3) : La rue est à nous

C’est en me promenant dans les rues du quartier Hollyland que j’ai découvert ce qui était l’un des centres nerveux de la Saint-Patrick à Belfast.

C’est là qu’il y a des problèmes avec la police, des voitures qui ont brûlé, des émeutes parfois, beaucoup d’alcool et les drames qui lui sont associés.

Mais les drames, les émeutes et les violences, ce sera peut-être pour plus tard. Ce qu’il faut célébrer, c’est la journée dans les Hollylands. La façon dont la rue se remplit de jeunes gens habillés en vert, et qui passent d’une maison à l’autre, et s’entassent dans les minuscules cours, où ils installent des canapés, et où ils boivent dès la matinée.

A onze heures du matin, la police est déjà là, qui patrouille par petits groupes, ainsi que des étudiants qui arborent la tunique fluorescente des volontaires pour aider à garder un semblant de contrôle sur la situation. Ici et là, des tables ont été installées avec des thermos de thé et de café, pour abreuver autant que possible les gamins qui vont inévitablement trop boire aujourd’hui. Ces petits rafraîchissements sont une des grandes actions des églises de Belfast. Les volontaires qui servent les boissons chaudes appartiennent à telle ou telle église.

Je marche dans ces rues ensoleillées, et les étudiants me hèlent, se moquent de mon chapeau, ils me crient des choses que je ne comprends pas. Ils me sourient et me font des signes amicaux. Des filles, depuis les fenêtres des maisons, lancent des paroles aux uns et aux autres dans la rue. Dans Fitzroy avenue, des étudiants jouent au football sur la chaussée. Dans Palestine road, des balles de Hurling volent d’un trottoir à l’autre. De certaines maisons sortent des musiques assourdissantes. Un groupe de punks et d’amateurs de métal passe en hurlant des mots, pour impressionner et attirer l’attention sur eux. Ils paradent eux aussi, lèvent le poing pour mimer la fête et l’ivresse, avant même d’avoir bu.

Partout, absolument partout, c’est la fête qui débordent des maisons, et qui investit la rue.

Ce n’est pas tant que les jeunes catholiques ne savent pas se tenir, mais c’est un quartier qui est investi par la fête pendant une journée, et les jeunes ne veulent pas la rater.

Je m’arrête à une « table à café », et me fais servir un gobelet en carton. La dame qui me sert est infirmière, et pour elle, c’est une journée évidemment dangereuse, mais c’est d’abord « great fun ». Elle comprend bien, l’infirmière, que le danger n’est pas contradictoire avec la joie de vivre, bien au contraire.

Nous sommes dans le village d’Asterix, ni plus ni moins. Les étudiants catholiques se sentent vivre dans un ghetto, et aujourd’hui, c’est le jour de leur ghetto. Ils se voient comme des irréductibles Irlandais dans une province occupée par les Britanniques, et ils arborent en criant leur drapeau tricolore, qui est censé représenter toute l’Irlande, et non la république seulement. Comme dans le village d’Astérix, on boit, on chante et on pelote sa voisine. Mais il arrive aussi, et les Gaulois ne pourront le nier, que quelques coups de poings volent par ci par là. Que quelques bouteilles de bière s’envolent aussi, pour s’écraser sur le crâne malheureux d’un pauvre hère.

Sur le toit-terrasse d’une maison basse, des jeunes ont installé un banc et contemplent la rue en contrebas.

Je ne sais pourquoi, j’ai pensé constamment à New York. Un ghetto de New York, Harlem peut-être. Ce n’est pas au Gang de New York, que j’ai pensé, où Irlandais et Italiens se battent (tous deux immigrés de fraîche date), mais aux films de Spike Lee. Les quartiers noirs de New York. Et je me suis dit que je ne pourrais pas circuler aussi librement dans un quartier noir défavorisé, mais que ma couleur blanche et ma gueule de prisonnier me permettent de le faire dans un ghetto blanc. Je me suis donc perçu, pendant une minute ou deux, dans la peau d’un écrivain noir, dans le Bronx, dans les années 1960. Voilà exactement le sentiment dans lequel j’étais.

3 commentaires sur “Saint Patrick à Belfast (3) : La rue est à nous

  1. La comparaison avec le village d’Astérix est très évocatrice.

    Cependant, aucun album ne les montre occupés à s’alcooliser dès le matin (même si la réputation des Gaulois est bien établie sur ce point).

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  2. Sage précaire ,ton sentiment ressemblait sûrement à tout ceux de ces pauvres gens incapable démocratiquement de faire valoir leur droit le plus stricte vers une compréhension mutuelle des enjeux sociétals d’une globalisation des populations. Voilà pourquoi je me garde une petite gêne quant-à la comparaison des mentalitées.J’imagine que l’écoeurinite aigue se mondialise et s’exporte et que ces braves holligans ne sont rien d’autres que de pauvres citoyens mécontents de l’injustice des peuples opprimés et conquis.

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  3. Je n’irais pas aussi loin, Mildred. Je ne sais pas si ces jeunes Irlandais sont et se sentent opprimés. Colonisés, oui, il semble bien qu’ils se considèrent comme tels. Surtout, ce qui frappe le voyageur curieux, c’est l’attachement qui est le leur à se ghettoïser : quoi que dise le discours dominant de « ceux qui savent », ces jeunes gens refusent de faire comme s’il n’y avait pas d’opposition entre catholiques et protestant. Aucun slogan politique explicite lors de la Saint-Patrick, mais sans doute parce que célébrer cette fête était déjà une affirmation politique.

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