Après avoir écrit ce billet sur les affrontements des deux nuits dernières, j’ai enfourché mon vélo et suis allé faire un tour sur les lieux des événements, dans l’est de Belfast.
J’ai été surpris de la différence frappante entre l’enclave catholique et le reste de l’environnement. Enclave, c’est vraiment le mot, et ces gens vivent de peu, dans un climat de pauvreté assez étonnant. Des espaces sont clôturés et laissés à l’état de friche, ou de terrain vague, sans raison apparente. Les magasins sont extraordinaires : ils ressemblent à des épiceries d’un pays soviétique, à une autre époque. Les clients sont séparés des articles par des comptoirs qui font un U devant l’entrée, alors il faut demander à être servis et la marchande s’exécute. Les bonbons sont encore présentés dans de grosses boîtes circulaires en plastique transparent, et, ô jeunesse, ô saison ô châteaux, la marchande prend les bonbons avec la main pour remplir les sachets en papier. Un lieu où l’on n’utilise ni les gants hygiéniques, ni les pinces ni les pelles, mais la main nue, il fallait se rendre dans une enclave catholique de Belfast pour voir cela.
Dans la rue, ambiance difficile à décrire, mais beaucoup de jeunes, souriants, détendus. Ils n’ont pas l’air d’être menacés.
Il faut savoir que lundi soir, un groupe de paramilitaires protestants étaient venus dans ce quartier et avaient causé des déprédations, plus ou moins pour se venger d’un cassage de gueule du week-end dernier, mais surtout pour attirer des bandes dans la rue, ce qui fut fait. On pourrait comprendre, ce faisant, que les habitants de l’enclave catholiques se sentent à la merci de l’humeur de la majorité protestante.
Dans le reste des quartiers d’East-Belfast, je suis étonné de voir de nombreux et nouveaux murals loyalistes. J’apprends que le groupe de l’UVF (Ulster Volonteer Force) de ce coin est dirigé par un personnage mystérieux, surnommé « Beast in the East » (La Bête de l’est) et qu’il est out of control. Ce leader serait en situation de rupture avec la hiérarchie du mouvement UVF, qui avait amorcé un changement d’attitude vis-à-vis du pouvoir en place et acceptait de déposer les armes. La « Bête de l’est » ne voulait rien entendre de ce processus de paix qu’il abhorre. Il a recruté, il a aussi fait appel à des extrêmistes dans d’autres quartiers, et il est prêt, semble-t-il, à mobiliser des troupes assez importantes pour des actions d’envergure.
Cela a commencé avec de nouvelles fresques murales, représentant des hommes cagoulés et en armes. Une recrudescence d’images violentes et sectaires, avec des mots d’ordre aussi simples que : « Nous ne voulons rien d’autre qu’exercer ce droit naturel qu’un homme possède quand il est attaqué – Se Défendre! » Les observateurs savaient que des actes violents allaient suivre, mais ils ne savaient ni où, ni quand, ni de quelle ampleur.
Il ne faut pas s’y tromper, si les habitants détestent cette violence, ils ne sont pas tous éloignés des idées de la « Bête de l’est » : l’opinion la plus partagée dans ce quartier populaire est que le « processus de paix » est une escroquerie, que ce n’est qu’un mot élégant pour désigner le fait que l’on a reculé devant les terroristes républicains, et que l’on vend petit à petit l’Ulster au Sinn Fein et à l’IRA. Il n’est pas difficile, dans ces conditions, de recruter des jusqu’au boutistes, surtout dans un contexte de crise économique.
A voir le nombre de voitures blindées que j’ai vu opérer dans l’est de Belfast cet après-midi, je subodore que cette nuit sera chaude à nouveau. D’après les plus haut responsables de la police, ce groupe dissident de l’UVF est clairement responsable de ces nuits d’émeute, et l’utilisation d’armes à feu ne fait aucun doute sur les intentions de la « Bête de l’est » : tuer un ou plusieurs officiers des forces de l’ordre.
La saison des marches orangistes vient à peine de commencer, elle culminera le 12 juillet. Cet été va être long à décanter.
Comme on dit en pareil cas, « l’été sera chaud ».
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Bon, finalement, la nuit dernière a été calme. On dit qu’il y a eu des discussions pour éviter le carnage. Preuve qu’il y a des individus qui ont du pouvoir sur la jeunesse et qui peuvent soit déclencher soit empêcher la violence.
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Ah, une photo plus lyonnaise en hiver pour illustrer ton blog…
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