Curriculum (5) Adieu Paris

Mon père n’était pas un mécréant, il s’adressait à Dieu toute la sainte journée , et la maison retentissait de ses appels tonitruants : « Nom de dieu de nom de dieu! » Et pour être sûr d’être bien entendu, il ajoutait : « Cré nom de dieu de bordel de merde! » Sans doute à cause de son extraction modestement agraire, il était plein d’admiration pour les gens qui avaient « réussi » et, en dehors de Dieu , il vénérait les notables , les ingénieurs , les patrons. Il parlait de ces gens là avec déférence et non avec familiarité comme il le faisait avec Dieu. Il était entré à la SNCF où il s’était épanoui. Je me demande s’il n’avait pas honte de ses origines paysannes, car lorsqu’il avait un contentieux avec l’un ou l’autre de ses enfants , ce qui n’était pas rare , il menaçait ainsi le fautif : « Si tu continues , tu finiras au tchu des vacs » ( comprenez : au cul des vaches ). Comme le font encore aujourd’hui les immigrés avec leur langue d’origine , mes parents avaient tendance à parler patois à la maison.

La SNCF était sa seconde famille. Il en parlait beaucoup, il connaissait le nom de toutes les gares et des embranchements , les horaires des trains , et plein de détails concernant la vie ferroviaire. Il nous racontait des anecdotes savoureuses , comme celle du père Vivi l’un de ses collègues cheminot à la gare d ‘Isigny , qui , non prévenu de la présence d’un grand chef dans les toilettes , et ayant besoin de la place , le presse de sortir en lui criant : « Alors t’es constipé , t’as bouffé du chocolat ? » Cette histoire, très moyennement drôle , mille fois répétée , faisait rire aux éclats mon père et ma mère ! Et cette autre qui provoquait l’hilarité générale : un voyageur Arabe entendant le contrôleur annoncer au micro : « La Roche Migennes , 3 minutes d’arrêt » , se lève et , très serviable propose ses services pour enlever la roche qui gêne. Ah ! , on savait rire à cette époque ! J’entendais dire que le train avait des problèmes en arrivant à Irun ( ce nom me faisait rêver ) , à la frontière espagnole , car l’écartement des rails était plus petit que chez nous . Je n’osais pas poser la question de peur d’être ridicule , mais je me demandais si c’était le train qu’on raccourcissait ou les rails qu’on allongeait pour que les voyageurs puissent continuer leur route.

C’est en me souvenant de tout cela avec une certaine émotion , que l’occasion me fut offerte au printemps 1962 de devenir cheminot comme mon père et peut-être , comme lui , faire carrière et regagner ainsi son estime.

La gare d’Austerlitz recrutait plusieurs personnes , niveau bac , libérées des obligations militaires. Réunion d’information et sélection des candidats. Vu ma filiation et mes quelques connaissances du milieu, (j’étais un des rares postulants à connaître le nom du directeur général : Louis Armand), je fus admis pour une période d’essai au service des renseignements téléphoniques. Je reçus un chaix tout neuf . Le chaix était notre bible . Ce gros catalogue contenait tous les horaires des trains en France et même en Europe , avec les tarifs selon que le voyage s’effectuait en 1ère , 2ème ou 3ème classe , ainsi que des tas de détails comme les correspondances , les temps d’arrêt , la restauration (wagon restaurant ou vente ambulante) , les réductions possibles , etc. Toutes ces informations correspondaient à des petits logos et des renvois en bas de page. Pas évident de s’y retrouver! Il m’aura fallu quelques jours avant d’être vraiment opérationnel.

Pour venir au travail à Austerlitz , je me déplaçais à pied , en prenant selon mon humeur , les quais rive droite ou rive gauche , après avoir traversé l’île de la cité ou l île St Louis. J’aimais changer de pont pour traverser la Seine ,mais celui qui avait ma préférence , c’était le pont d’Austerlitz car il me conduisait directement au jardin des plantes où je passais beaucoup de temps à flâner et à bouquiner.

Je ne trouvais ce travail ni enthousiasmant ni amusant , sauf à prendre des libertés avec les renseignements comme , par exemple suggérer à un voyageur dont la destination était Lille , d’aller plutôt , pour le même prix , vers une ville du sud où la météo était plus clémente. Quelque fois cela faisait rire , d’autres fois, non ! Contrairement à mon père , je ne m’épanouissais pas à la sncf , ni elle avec moi d’ailleurs . Ce qui devait arriver arriva : un jour , un client totalement dénué d’humour dénonça ma méthode à mes chefs , et pour la seule fois de ma vie , autant que je me souvienne , je fus viré.

Mon père n’en a jamais rien su , je pense qu’il en serait mort de honte !

Depuis mon arrivée à Paris, j’étais à l’affût d’une offre d’emploi en Afrique. Ce continent m’attirait : tout petit , je voulais être missionnaire au Congo, puis explorateur, ethnologue, etc. Hélas ! Je n’avais aucune qualification ni diplôme susceptibles d’intéresser un employeur. Et puis , miracle des miracles, quelques jours aprés mes exploits ferroviaires, me voilà embauché en tant qu’ hydrologue pour la Côte d ‘ Ivoire !

J’ai raconté dans un blog intitulé : « Drôle de bonhomme« , les circonstances rocambolesques dans lesquelles cela s’est passé. Je n’y reviendrai donc pas. Je ressens encore 50 ans après, des moments d’intense émotion , de liberté totale , de joie profonde liés à ce départ! Mon prochain métier sera donc hydrologue , métier que nous découvrirons ensemble , si vous le voulez bien.

Mais , quand même , quelle drôle d’idée d’envoyer un hydrologue dans une région où il ne pleut presque pas !

Un commentaire sur “Curriculum (5) Adieu Paris

  1. C’est dommage, mais les tentatives d’humour peuvent en venir à être taxées de fautes professionnelles… et le cas n’est pas rare.

    Au service militaire, je fus brièvement le secrétaire d’un commandant qui ne venait presque jamais à son bureau. Donc lorsque sonnait son téléphone, je décrochais en disant « Faites plutôt le 47 23 ».

    Indignation du colonel « Le 47 23 c’est le bar des cadres! on va vous trouver autre chose à faire d’ici demain. »

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