Marie, la marchande, me donne un gros morceau de sanglier, peut-être un kilo, en me chuchotant que ça se prépare « comme une daube ». Il faudrait que je lui donne quelque chose en échange, mon frère suggère judicieusement que je lui donne un de mes livres, ou un exemplaire du hors-série de Télérama où j’ai écrit un article.
Dans la voiture, nous discutons de la meilleure manière de préparer ces beaux morceaux de côtelettes. Mon frère opte pour une grillade, moi je penche pour respecter le conseil de la marchande. Une daube. Mon frère me dit d’utiliser des produits du coin, des herbes qui poussent dans la région, plutôt que de penser à des épices asiatiques, comme le clou de girofle (!). Il dit que je pourrai trouver de la sarriette sur le terrain, du laurier et une sorte de thym, ou quelque chose qui en tient lieu.
Au Vigan, je fais quelques courses au supermarché et achète du vin rouge des Cévennes, de la poitrine de porc, des carottes, et même des pruneaux d’Agen, afin que la sauce adoucisse un peu le goût puissant du sanglier. Je pense particulièrement aux enfants qui pourraient être rebutés.
En écoutant les matches de Ligue Europa à la radio, où Lyon gagne contre le Sparta Prague, et où Marseille égalise contre Fenerbahçe, je découpe les morceaux de viande et fais revenir le tout en un roux délicat. Je fais cuire à feu extrêmement doux pendant des heures et des heures, et l’odeur exhale en vapeurs contradictoires et en fragrances saturées. Je laisse reposer, mange autre chose et vais me coucher.
Le lendemain matin, je prends ma part de daube dans une boîte, et laisse le reste pour la famille de mon frère.
Nous montons au terrain et travaillons sur le chantier. N’ayant pas vraiment déjeuné, je prends mon dîner vers 17h00. La daube est délicieuse, même si certains morceaux sont un peu élastiques. A la fin de l’assiette, j’avoue que j’en avais marre et que j’ai ressenti une forme de dégoût pour certains morceaux de gras trop durs. Le sanglier est une viande exigeante, qui demande beaucoup d’efforts et d’investissement libidinal. On ne mange pas cela comme un plat banal. Il produit ensuite en vous des mouvements d’humeurs rapides et profonds.
Je me suis allongé pour lire, et j’ai alors plongé dans un sommeil brutal, comme si le sanglier me fonçait dessus de l’intérieur. La bête sauvage me couchait littéralement, de toute sa force, et ce n’est qu’à une heure du matin que j’ai pu émerger à nouveau. J’ai vraiment eu l’impression, en le préparant et en le mangeant, de voir la bête courir dans les forêts environnantes. Manger cette daube communique inévitablement à votre corps un peu de cette énergie, de cette noirceur, de cette force, et la digestion s’en trouve épuisante.
Ce type de viande, sauvage, indisciplinée, pleine d’énergie et de radiation, est l’événement culinaire de ce début d’automne pour moi, après les cèpes de ce printemps, les fruits et les oignons de cet été, et en attendant le murissement des châtaignes. Mon frère, qui avait trouvé le plat froid délicieux ce matin, me texte que tout le monde s’est régalé ce soir, « même Marilou ». On dit souvent que le sanglier est parfois trop fort pour les enfants, mais ceux de mon frère connaissent déjà les bonnes choses.
Bon appétit !
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La lecture de cet article est une véritable torture. C’est pas seulement l’idée de manger un morceau de sanglier, c’est aussi tout ce qui va avec : le début de l’automne, la brume … les carottes et les pruneaux dans la sauce. Salaud.
Par contre, pour faire une daube, normalement il faut la faire mariner avant la cuisson, pas après, pour que la viande « daube » un peu, justement, c’est ce qui la fait s’attendrir et fondre ensuite dans la cuisson. Surtout si elle est un peu dure et coriace.
Bon, hier soir moi j’ai mangé la « boule » tchadienne avec des feuilles de manioc et du mouton, c’etait quand même pas mal.
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Mais je l’ai fait mariner dans le vin. Je ne l’ai pas écrit dans le billet, mais dès que j’ai reçu les morceaux de viande, arrivé au terrain, je l’ai mise dansun saladier et l’ai trempé dans le vin. C’est le soir, au Vigan, que je l’ai fait mijoter dans le vin de la marinade et avec du bouillon de légumes.
Je n’oublie pas que c’est toi, mon bon Ben, qui m’a initié à l’art de la viande en sauce.
La boule tchadienne, moi ça me paraît très attractif, surtout en ce début d’automne, avec la brume dans les montagnes mordorées.
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La boule, on peut aussi appeler ça le foufou, c’est de la farine de manioc, de maïs ou de blé qu’on fait cuire et qui gonfle à la vapeur. Ca se mange avec une sauce à base de gombo, de pâte d’arachides et d’épinards ou de feuilles de manioc, auxquelles on peut rajouter de la viande ou des morceaux de ces petits poissons fumés, tout noircis et couverts de moches, qu’on trouve dans tous les marchés d’Afrique centrale.
Tu prends un morceau de boule avec les doigts (la main droite, surtout pas la gauche qui sert à se torcher le cul), et tu trempes ton bout de boule dans la sauce et dans un petit tas de piment en poudre. A cause du gombo, qui est très gluant, ça fait des fils et ça glisse, mais le goût est bon.
Ca se déguste avec un petit Romanée-Conti de bon millésime, ou à défaut (ce qui est probable) avec du Chateau Lapompe bien frais en carafe.
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Ah, le château La Pompe, c’est mon préféré. Avec qui as-tu mangé cette boule, Ben, si ce n’est pas indiscret ? Je veux dire, quand je lis ta description, ce qui me fait le plus envie, ce moins la teneur gastronomique qu’anthropologique : on imagine tout de suite que tu étais invité dans une famille locale, ou qu’une amie est venue chez toi faire à manger… enfin tous ces trucs qu’on vit quand on vit en Afrique ou en Asie.
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Je me rends compte que la boule que j’ai décrit dans mon commentaire mélange en fait plusieurs plusieurs boules que j’ai mangées ici et là. Il s’agit en quelque sorte d’une boule synthétique, la synthèse de La Boule nationale tchadienne, l’Idée de Boule, quoi.
Celle de la veille au soir, je l’avais mangée chez des collègues et elle avait été préparée par leur ménagère (très bien, au demeurant) ; mais la recette de la sauce traditionnelle, je l’ai apprise dans une famille d’amis Tchadiens dans des conditions beaucoup plus pittoresques (quoique mes collègues soient pittoresques eux aussi, à leur manière).
Tu vas me dire : pourquoi tu racontes pas tout ça sur ton blog au lieu de parler d’obscurs islamistes du 10e au 21e siècle? Je répondrai que je sais pas, mais c’est un idée. Je vais réfléchir.
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Mais Ben, pourquoi diable ne racontes-tu pas cela sur ton blog au lieu de parler d’obscurs islamistes du 10e au 21e siècle ?
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Je sais pas, c’est une idée, je vais réfléchir. Sans oublier nos amis Bamiléké.
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