A cause de fortes pluies récentes, et des fuites d’eau que j’ai connues dans ma cabane, il a fallu laisser de côté le mazet, la maçonnerie, et se concentrer sur la maintenance de la cabane qui est pour l’instant le lieu de vie principal du terrain.
Mardi, nous montons au terrain quand mon frère rentre de sa nuit au lycée. Il a travaillé à l’imperméabilité du cabanon, agrafant des longueurs de plastique sur le plafond, rafistolant les fenêtres et confectionnant une porte pour l’entrée de derrière. Pendant ce temps, je « faisais du sable » pour le mortier dont on aura besoin dès qu’on se remettrait à la maçonnerie.
De travailler dans le cabanon, mon frère a remis en marche son imagination d’architecte d’intérieur : il a de bonnes idées pour réaménager et si on le laissait faire, ce serait en effet un très beau lieu. Il pense même installer un petit poêle à bois.
Un jour que mon frère faisait de la maçonnerie, je lui proposais mon I-pod pour qu’il écoute une belle émission de Jean-Noël Jeannenet sur « l’homme et les abeilles ». Il refusa, prétextant qu’il ne pouvait pas faire deux choses à la fois. Son travail, en dépit des apparences, n’était donc pas purement manuel. Quand mon frère travaille, il « bricole », au sens fort du terme, au sens que lui a donné Claude Lévi-Strauss dans La Pensée sauvage.
A la différence de l’ingénieur qui planifie son ouvrage à l’avance, qui dessine, qui quantifie, qui évalue les moyens pour arriver à une fin rigoureusement atteinte, le bricoleur part à l’aventure en inventant au fur et à mesure. Le bricoleur a toujours besoin de penser car il se sert des moyens du bord pour élaborer un ouvrage qui avance par à-coups. Quand il est sur son mur, mon frère ne se borne pas à mettre des pierres sur les autres. Il pense en même temps à des questions d’esthétique, de solidité, d’humidité du mortier, de l’effet qu’auront les arbres sur le mur, de la meilleure manière de canaliser les eaux de pluie, etc. Sans doute rêve-t-il, dans le même temps, à la maison elle-même quand elle sera terminée.
Pour ma part, je passe pas mon temps à le regarder travailler. Pendant qu’il bricole, je fais le manard dans mon coin, travail répétitif qui ne nécessite aucune créativité, et qui me permet d’écouter des émissions de radio dans les écouteurs.
Par moments, assez fréquemment car je suis une petite nature, je fais une pause, et j’observe mon frère progresser dans son aménagement du cabanon. Il utilise admirablement un tissu noir, qu’il avait acheté deux euros chez un brocanteur, à l’aide d’une agrafeuse, de vieux clous rouillés et de rouleaux de scotch. Ses idées naissent littéralement de ses mains. C’est en y travaillant activement, par l’investissement de tout son corps et de son esprit, qu’il conçoit l’espace intérieur tel qu’il le souhaite.
Chez les bricoleurs de son espèce, ce qui est beau, c’est cette manière de vivre sans séparer l’intellect du corps, leur créativité étant toujours à la jonction de la pensée et des mains. La faculté d’invention est pétrie comme une pâte à pain, et elle émane de l’activité de la personne toute entière, prise dans toutes ses dimensions à la fois.
…Et si j’abusais de ta gentillesse et de ta sagesse Précaire Gentil je lirais le texte que voici à l’allocution funéraire de mon frére et avant je le soumettrais à ta critique si tu en as le temps… » »Que ma lampe à l’heure de minuit,Brûle au sommet d’une tour solitaire,Où je puisse veiller plus tard que la grande Ourse À lire Hermès Trismégiste,ou à susciter L’esprit de Platon qui dévoilera En quels mondes ou quelles régions se meut L’âme immortelle lorsqu’elle a abandonné Sa demeure ici-bas dans ce recoin de chair. » Ce texte m’émeut mais j’ai peur de ne pas le comprendre vraiment; mon frère avait eu 65 ans,il aimait cet auteur.:les gens comprendront tu crois? moi-même j’ai peur de me tromper;et toi tu en dis quoi ?est-ce approprier(mon frère n’a pas souffert,morphine oblige,cancer malin).?
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Moi non plus je ne suis pas sûr de comprendre, chère Mildred, mais est-il nécessaire de comprendre pour aimer ?
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P/S;J’exerce depuis vingt ans un métier manuel et je pense » » tout-tout-tout « »avant de commencer le travail ; ce qu »il y a de bien avec le travail manuel c’est que tu n’a pas besoin de penser « pendant » car tu as déjà établis ton plan d’avance pour la concrétisation de la chose; alors je met la musique à fond et j’oublis où je suis . … »La faculté d’invention est pétrie comme une pâte à pain, et elle émane de l’activité de la personne toute entière, prise dans toutes ses dimensions à la fois » » …Le moment aussi ? …et toi ! …
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D’après ce que tu dis, tu te ranges dans la catégorie des « ingénieurs », si l’on suit la classification de mes billets. Moi, je l’ai dit, je suis un manard, c’est-à-dire celui qui ne pense ni avant, ni pendant le travail. Et très peu après. C’est ce que j’ai trouvé de mieux pour ne pas être emmerdé.
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Les idées surgissent dans les mains, même dans l’écriture d’un sonnet.
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Que veux-tu dire, Cochonfucius ?
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Je veux dire que les sonnets ne surgissent pas de ma petite tête par pure magie. Je fais courir mes doigts sur le clavier, et je regarde ce qui se forme devant mes yeux, et je fais de la retouche en temps réel, comme un bricoleur que je suis.
Je ne pourrais pas être à l’écoute d’autre chose en même temps.
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Ou en sont les travaux du cabanon aujourd’hui ?
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Le cabanon n’a pas bougé depuis ce billet. C’est le mazet en pierre qui avance. Bientôt un billet sur le chantier de maçonnerie et de charpente.
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