Les vieux copains, de la Croix-Rousse à Villeurbanne, et retour

Comme tous les étés, la vieille bande de copains de la fac de philo ont réussi à se retrouver à plusieurs endroits, puis à s’organiser une assemblée presque plénière sur une colline de Lyon.

Nous nous sommes rencontrés en 1991. Cela fait bientôt 25 ans. Nous ne sommes pourtant pas de bons organisateurs, je ne sais comment nous parvenons à nous retrouver si souvent malgré nos existences éclatées aux quatre coins du monde.

Cette année, les choses ont un peu tourné autour de Ben, qui a fini par devenir propriétaire. A plus de quarante ans, ce n’était pas dommage. Le sage précaire commençait même à trouver le temps long. A quoi ça sert d’être un fonctionnaire de l’Education nationale, pensait-on dans les couloirs de La Précarité Du Sage, si l’on ne s’endette pas sur vingt ou trente ans ? Retour du Tchad avec femme nouvelle et enfant supplémentaire, Ben a fait une visite éclair sur le marché de l’immobilier à Lyon. Résultat, un grand appartement de Villeurbanne, près du métro, doté d’une vue magnifique sur toute la plaine lyonnaise et le canal de Miribel Jonage.

Vue plongeante sur le périph’ et son échangeur, enchanteresse de lignes courbes et de lignes droites qui se tressent harmonieusement. Vue reposante sur le cimetière de Cusset. Vue excitante sur le barrage hydro-électrique des années 1920. Vue militaire sur le crayon du Crédit lyonnais. Vue magistrale sur le Mont Pilat tout là-bas. Ben voulait de la vue, il a obtenu, en une seule visite, ce qu’il a voulu. C’est le côté taoïste de Ben : il ne bouge pas une oreille pendant vingt ans, il peaufine son geste, il ourdit ses armes, et quand il est prêt, bam ! il fond sur sa proie, qui n’a rien vu venir.

Il a donc fait appel aux vieux copains pour déménager des meubles anciens, puis pour assembler les meubles neufs, achetés chez un fabricant scandinave. Le sage précaire s’est chargé, par exemple, du lit pour bébé. Les autres ont monté un lit double, un canapé convertible, des tables basses et Dieu sait quoi.

Nous avons terminé la soirée sur le plateau de la Croix-Rousse. Moi, je serais bien resté dans le quartier populaire de Villeurbanne, mais pour la bande, l’attraction de la Croix-Rousse, où nous habitions presque tous, dans les années 90, était trop forte. Et puis, la vue sur le périph’, ce n’est pas tout le monde qui trouve cela poétique. Beaucoup préfèrent encore les vieux immeubles canut, c’est ainsi.

Le restaurant La Famille, rue Duviard, derrière la mairie du 4ème , ne paie pas de mine. Ils ont des pots de Côte de toute beauté : c’est du Croze-Hermitage. Et un pot de Moulin à Vent qui a fait mon bonheur.

(Je dis cela parce qu’ils n’avaient plus de Croze-Hermitage, donc c’était un Côte du Rhône ordinaire. Or, comme certains convives continuent de déprécier le beaujolais, j’ai pu me régaler avec le Moulin à Vent jusqu’à ce que tout le monde s’aperçoive que le seul bon vin de la tablée était en fait ce pot de beaujolais), ndlr.

Nous avons pu nous rendre compte, comme chaque années, que personne n’avait fondamentalement changé, à part quelques pertes de cheveux par-ci et quelques prises de poids par-là, négligeables dans les deux cas. Certains gagnent plus d’argent qu’avant, d’autres glissent doucement sur la voie de la précarité.

Mais surtout, un certain d’entre nous, dont le nom restera secret, ne cesse de produire beaucoup plus d’enfants que tous les autres, faisant monter dangereusement notre fertilité moyenne. Peut-être devrons-nous, lors de nos prochains congrès, rappeler que la sagesse précaire est adossée à un malthusianisme fanatique.

6 commentaires sur “Les vieux copains, de la Croix-Rousse à Villeurbanne, et retour

  1. Quand le bébé aura vingt ans, lui aussi, peut-être, aimera évoquer le bon vieux temps où les parents buvaient entre copains et déménageaient leurs potes, pas seulement pour des raisons économiques, mais plutôt philosophiques, et refaisaient le monde en toute amitié

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    1. Tu ne crois pas si bien dire, Nénette, le premier fils de Ben, que nous torchions allègrement et réprimandions incessamment, a maintenant déjà 19 ans et commence cette année ses études en sciences politiques à Lyon.

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    1. Aujourd’hui, la villa elle-même abrite des administrations, dont la section consacrée au livre de la DRAC. Mais il y a peut-être une association qui s’intitule « Villa Gillet » car elle organisait ses événements là-bas. Les fameuses Assises du roman, sises chaque année à Lyon, sont originaires de cette maison de la Croix-Rousse.

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