Après quelques jours à l’hôtel, où j’ai rencontré des collègues de Syrie, de Jordanie, de Tunisie, mais aussi des travailleurs indiens, une jolie Philippine et des restaurateurs turcs, un très loquace responsable des ressources humaines m’a fait visiter des appartements qui se trouvent dans ma catégorie de loyer. Cette catégorie tourne autour de 220 rials, c’est-à-dire 500 euros par mois. Le système fonctionne de la manière suivante : l’université possède des immeubles et des appartements diversement placés dans et hors la ville de Nizwa, et si le personnel veut être logé dans un de ces appartements, il choisit parmi ceux qu’on lui fait visiter et le loyer sera déduit de son salaire.
L’inconvénient est que le parc privé pourrait sans doute proposer des alternatives plus variées et moins chères.
L’immense avantage (les avantages, devrais-je dire) est que l’on n’avance aucune caution, que l’on ne perd pas son temps à chercher un logement, que ce dernier est meublé (la clim’ est évidemment déjà installée !), qu’il est assuré en cas de dommage et que l’on peut en changer en cours d’année si un collègue veut partir ou échanger avec vous.
Apparemment, il n’y a qu’un seul employé qui se charge de loger tous les nouveaux arrivants, un Omanais sympathique mais inflexible et intraitable, qui parle un anglais très fleuri. Dans sa parole, le futur et le passé s’intervertissent gaiement ainsi que les genres, les modes et les humeurs. On comprend donc peu ce qu’il raconte et il se plaint abondamment de trop travailler. Il dit qu’il se casse les reins à nous « aider », qu’il est prêt à tout pour nous « rendre heureux », qu’il s’est couché hier après minuit et qu’il était sur le pont ce matin à six heures. Il sait s’y prendre pour m’apitoyer.
Dans sa jeep, il conduit en robe blanche et en turban noué sur la tête, et sa conversation est sans arrêt interrompue par des coups de téléphone. Il m’appelle « docteur William » ou « my friend », selon son humeur. Comme il est seul à cette tâche, qu’il sait que nous parlons entre nous, il ne peut pas nous berner et inversement ne peut pas non plus baisser les prix. Il y a là, sinon une honnêteté véritable, du moins une garantie de traitement égal pour tous.
Après avoir vu un appartement trop petit et un autre bien trop grand, mon choix s’est porté sur un rez-de-chaussée près d’une mosquée, attenant à un coiffeur indien, idéal pour mon abondante chevelure. Je voulais une chambre d’amis pour offrir du confort à mes visiteurs, et que ce soit près de l’université pour pouvoir aller faire des siestes quand je le veux. Et pour aller au travail, de bon matin, à pied ou à bicyclette. Sieste et transports doux, voilà le luxe pour le sage précaire.
Beaucoup d’enseignants et de chercheurs préfèrent aller habiter à quinze ou vingt kilomètres, plus près du centre commercial (car il n’y en a qu’un pour le moment), ou encore plus loin près du souk de Nizwa, afin de profiter de l’animation toute relative du centre ville.
Ma stratégie est différente : plutôt que de faire beaucoup de route tous les jours, je me réserve les longs déplacements pour les weekend et les soirs de sortie. Comme j’ai beaucoup de pain sur la planche, tant pour la recherche que pour l’enseignement, il ne me déplaît pas de dormir à deux pas de mon bureau, où l’on m’a installé un ordinateur neuf, et où j’ai posé les quelques dizaines de livres emportés dans mes bagages.
J’avais imaginé que dans ce saint pays on logerait les mécréants dans un « enclos des experts étrangers » comme le faisait la Chine maoïste (c’est presque mort aujourd’hui mais il y a 10 ans ça prospérait encore dans ma ville), en leur retirant tout souci et tout choix. En somme, c’est une situation intermédiaire qui conserve l’absence de souci. Et puis je me trompe peut-être au sujet de la sainteté du pays. Pour le savoir: une femme a-t-elle le droit de se trouver seule en présence d’un homme « qu’elle pourrai épouser » (qui n’est pas son père, ni son frère, ni son fils, ni son mari, ni un serviteur eunuque).
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Les infidèles sont très respectés, en Oman. Je pourrais aller loger où je veux, oui c’est une situation plus confortable que celle des universités chinoises où j’ai travaillé. Mais je sais que les conditions universitaires changent très vite.
Une femme peut se trouver seule avec un homme, oui. Dans un context professionnel tout au moins. Ici, les femmes conduisent, elles étudient, elles sont diplômées et elles travaillent à tous les postes de l’administration. Mes supérieurs sont presque toutes des femmes. Accepteraient-elles de prendre un café avec moi, je ne le sais pas.
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Près de l’université, pour la sieste ! je te reconnais bien là.
Sinon, peux-tu nous dire quels livres tu as sélectionnés pour cette nouvelle aventure ?
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Le sage précaire prétend faire la sieste pour apparaître comme un gars sympathique, mais en réalité c’est pour être plus efficace dans son travail qu’il a choisi cet emplacement. Chut, pas un mot de ceci autour de vous.
Les livres ? Le choix était vite fait : tout Jean Rolin pour le livre que je suis en train de diriger sur son oeuvre.
Quelques ouvrages sur le monde arabe, l’Oman, et les voyageurs arabophones.
Quelques récits de voyage de Jean-Paul Kauffmann, Jean-Christophe Bailly et Jean Baudrillard pour compléter un chapitre de mon livre à paraître. Pour conclure cet essai sur le récit de voyage contemporain, d’autres récits d’Antonin Potoski, Sylvain Tesson, Philippe Vasset et Bruce Bégout. Et quelques livres de théorie littéraire, Gérard Genette, Jean-Marie Schaeffer, Philippe Antoine, Charles Forsdick, Tim Youngs, Gérard Cogez.
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