Gilles Kepel, dans Passion arabe, n’écrit que quelques pages sur Oman, preuve que ce pays est heureux, calme et sans histoire. Ou alors, preuve que Kepel n’a pas eu le temps ni la volonté de se pencher sur cette petite nation du Golfe, qui a toujours su se tenir à l’écart des autres nations. A l’image de son sultan, le pays fait le choix de la discrétion pour garder ses marges de manoeuvre, éviter les pressions et conserver la liberté de traiter avec tous ses voisins, notamment les vieux frères ennemis chiites iraniens et sunnites saoudiens.
Le Sultan Qabous est un monarque absolu et incontesté. Très populaire, il semble faire l’unanimité, comme on l’observe parfois dans les régimes d’absolutisme. Sans enfant, le Sultan a écrit quelques noms sur une feuille de papier, pliée dans une enveloppe scellée. Pourquoi a-t-il écrit ces noms ? Pourquoi a-t-il caché cette enveloppe, et où ?
Passion arabe est un journal de voyage érudit, extrêmement bien écrit, d’un savant qui veut marquer l’histoire des voyages en Orient. Gilles Kepel se place dans la vieille tradition qui remonte à Chateaubriand, et n’hésite pas à faire appel à Flaubert. Un journal écrit juste après et quasiment en même temps que les événements que l’on a coutume d’appeler les « Printemps arabes », initiés fin 2010 en Tunisie.
Sultan Qabous a déposé son père. Il a pris le pouvoir après avoir voyagé autour du monde, et après avoir suivi une éducation militaire au Royaume-Uni. Kepel dit que le coup fut ourdi par les services secrets britanniques, aidés par l’Iran. Horresco referens.
C’est un regret. J’aurais aimé que Kepel nous parle davantage de l’Oman, plus que les quelques pages actuelles. Qu’il nous parle des mouvements sociaux qui furent, paraît-il, virulents et vite éteints en Oman. Le sultan aurait, dit-on, réprimé d’une main et lâché du lest de l’autre. Je dis « le sultan » car l’histoire contemporaine d’Oman se confond avec celle de son chef, au pouvoir depuis 1970.
Le peu de choses que l’on sait, et qui est répété en boucle, est que depuis le coup d’Etat contre son père, le pays est passé des ténèbres à la lumière, de la pauvreté à l’opulence, de l’obscurantisme au despotisme éclairé. Tous les bienfaits du pays, la moindre route goudronnée, la plus petite école, le dernier dispensaire de santé, est le fruit de la vision de Sa Majesté.
Gilles Kepel trace un portrait un peu différent, et à mots couverts car les mots doivent être traités avec la même pudeur et la même soumission au Miséricordieux que la chevelure des femmes. Le sultan, selon Kepel, aurait un goût immodéré pour le raffinement d’une culture de haut rang. Un soldat écossais serait son aide de camp précieux et aurait attiré les foudres du vieux père acariâtre. Ses palais sont alors comparés à ceux de Louis II de Bavière, avec qui il partagerait des penchants divers et des orientations variées.
Kepel parle de « château de la Belle au bois dormant », de « charme suranné d’une capitale d’opérette », et avance que si le sultan a construit un grand opéra à Muscat, c’est pour concurrencer symboliquement les grands magasins de Dubaï, le Louvre d’Abu Dhabi ou le circuit de formule 1 de Bahrein. Le Lac des cygnes pour les Omanais, la coupe du monde de football pour les Qatari.
Saheb El Jalaala, comme on l’appelle ici, a son portrait peint dans tous les coins les plus reculés de l’espace. Les travailleurs indiens en rient sous cape : « Chez nous, ce sont des peintures de Dieux, pas de mortels. » Sa naissance est jour de fête nationale. Il a 75 ans et, quand il mourra, il reviendra à la « famille royale » de désigner un successeur. Si elle n’y parvient pas, un comité désigné devra trouver le successeur en se basant sur la liste de noms que le sultan a enclose dans une enveloppe scellée. Mais quels noms sont sur cette liste, et où est l’enveloppe scellée ?
Tout est en place pour un rebondissement véritablement romanesque, et un dénouement aussi palpitant qu’un livret de comédie musicale.
Tous les ingrédients d’un poème épique !
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