Les lecteurs de ce blog se souviennent peut-être que mes premiers pas en Oman on été baignés d’une musique enchanteresse. L’employé qui était venu me chercher à l’aéroport m’avait fait écouter un concert de toute beauté, constitué de trois voix qui venaient de tout le Moyen-Orient. J’avais seulement retenu que le chanteur principal, joueur de luth très célèbre, était d’Arabie Saoudite.
Plus tard, sur le campus de l’université de Nizwa, je cherchais cet employé pour qu’il me donne le nom de l’artiste. Plus ou moins par hasard je le retrouvais et lui demandais l’information. Il essaya d’écrire son nom en lettres romaines mais cela lui fut si difficile qu’il préféra abandonner. « Ecrivez le nom en arabe, ne vous inquiétez pas pour moi, je me le ferai traduire. » De retour à mon bureau, je fis traduire par mon collègue français d’origine tunisienne : il s’agissait d’Abadi Al Johar.
Pendant les semaines qui suivirent, j’accompagnais mes journées de travail de vidéos musicales. Abadi Johar et sa voix nasillarde, ses paroles osées, me paraissair être lointainement analogue à Bob Dylan, appartenant d’ailleurs à la même génération.
Ce soir, à l’Opéra de Mascate, en attendant l’entracte qui nous permettra d’entrer dans la salle de concert, je feuillette le programme de la soirée et que vois-je ? Abadi Johar en personne, ce soir sur la scène.
Je n’avais fait aucun effort pour savoir qui se produisait ce soir puisque je pensais n’y rien connaître en luth arabe, et la force de la coïncidence me saisit. J’essaie d’expliquer mon émotion à Shamsa mais mon histoire n’étant pas très relevée, elle fait seulement semblant de s’y intéresser.
La grande star entre sur scène sous les applaudissements nourris. Il semble clair qu’elle constitue le clou du spectacle. Un orchestre est en place, des cordes, des percussions, un clavier synthétique et une batterie au fond de la scène. Tout est fait pour soulager le vieux musicien et lui permettre de se reposer sur l’arrangement pléthorique.
Il joue d’abord un peu de oud et nous gratifie de quelques gammes. Le public applaudit soudain, au milieu des performances, ce qui doit être des moments de virtuosité particuliers. Assez rapidement, il laisse l’orchestre reprendre le dessus pour se cacher derrière. Il a l’attitude des stars, au rythme lent, à ne donner qu’un peu de lui-même. On l’a payé tellement cher pour qu’il se déplace qu’il tient à ne donner qu’un peu de son temps, et très peu de son énergie.
Le concert dure donc extrêmement peu. Quelques minutes, peut-être une demi heure, pas davantage. Quand la star se lève, tout le monde est surpris et n’applaudit qu’à peine. Abbadi s’attendait à une foule en délire, tout ce qu’il a est un applaudissement nourri. Musiciens de l’orchestre et soliste vedette attendaient des rappels triomphants, mais leur retour sur scène se fait dans un silence relatif.
Shamsa rigole. Elle aime ces moments d’improvisation et d’amateurisme éclairé.
Finalement, les musiciens de l’orchestre en ont assez et plient bagage pendant qu’Abbadi nous fait l’offrande d’une chanson seul au oud. Nous sommes dans le ravissement. Les musiciens passent et repassent sur scène, dévissent des trucs, referment leur boîte. C’est tout juste s’ils ne taillent pas une bavette pendant que le chanteur arabe déroule ses volutes et ses arabesques.
Le grand art se manifeste ainsi, en étant naturel.
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