Shamsa n’a pas aimé Abadi Johar. Elle a apprécié sa virtuosité au oud, mais trouve sa voix vilaine et maladive. Elle ne cesse de me dire qu’elle a préféré les deux jeunes musiciens qui ont ouvert la deuxième partie du concert.
Il est vrai que les deux joueurs de oud et de mandole étaient magnifiques, mais la différence entre les deux performances ne doit pas mener à un malentendu.
Les deux premiers musiciens étaient de grands professionnels, de parfaits artistes, respectueux de leur public et de leur art. Ils ont livré une performance de toute beauté, toute de maîtrise et de sensibilité.
Abadi, c’est différent. Abadi n’est pas un grand professionnel, c’est une star. C’est pour cela que je l’ai comparé à Bob Dylan dans un post précédent. Il a déjà atteint les étoiles, il a déjà emmené la foule au septième ciel, alors il ne doit plus rien à personne. Il peut être décevant, et même il se doit d’être décevant, car son public veut croire en lui même quand il ne donne pas le maximum.
Miles Davis était une star. La plupart de ses concerts étaient mauvais, paraît-il. Il venait sur scène sans plaisir et tournait le dos au public. Il disait aux gens : vous m’aimez n’est-ce pas ? Moi, je vous méprise, vous n’êtes rien pour moi. Les gens l’adoraient aussi pour cela. Ils étaient indulgents, ils se disaient que Miles cherchait la magie entre sa trompette et lui, et que si jamais il la trouvait, il leur en ferait profiter et ce serait alors le plus beau jour de leur vie de mélomane.
Abadi Johar, sur la scène du Royal Opera House de Mascate, se comportait comme un Dieu du oud et du chant. De temps en temps, il donnait en offrande quelques minutes de jeu en soliste, et très vite se reposait derrière son orchestre d’émission de télévision.
Shamsa me traduisait le sens général des chansons, elles me paraissaient osées, et Shamsa était d’accord pour dire que c’était osé : Abadi parle d’amour physique, de désir, de la douleur d’une séparation. De l’attente de l’être aimé. Des sujets de chanson peu en accord avec la version rigoriste de l’islam que veut imposer le royaume d’Arabie Saoudite. Preuve s’il en est qu’Abadi Johar appartient à une autre réalité que nous autres, pauvres mortels. Lui seul a le droit, tiré d’on ne sait où, de dire des choses sensuelles en chantant et en jouant d’un instrument plus ou moins impur. Il a dépassé notre condition imprfaite, il passe entre les gouttes, il est aimé du très haut.
Un musicien-poète.
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