Si De Gaulle n’avait pas existé (1) – Il n’y aurait pas eu de résistance

Et cela ne nous aurait pas manqué. La résistance, je n’ai rien contre, mais à parler franchement la sagesse précaire recommande de ne pas en abuser.

À quoi cela nous a-t-il servi d’avoir une résistance organisée depuis Londres, de 1940 à 1944 ? Cela n’a pesé en rien dans l’issue finale de la guerre qui a été gagnée par les Russes et les Américains, donc ce n’est qu’une question d’honneur et de symbole. Les résistants français ont « sauvé l’honneur ».

Mais ont-ils vraiment sauvé l’honneur de la France ? Aux yeux du monde entier, nous avons collaboré avec l’Allemagne nazie. Les vainqueurs, qui écrivent l’histoire, ne voient en nous qu’un peuple de lâches buveurs de vin. Les rares fois où la France dit non à l’empereur américain, comme ce fut le cas en 2002-2003 concernant l’invasion de l’Irak, la presse anglo-saxonne se déchaîne contre nous, non pas aux airs de : « Ah, ce pays des droits de l’homme qui dit non et se dresse fièrement pour défendre la justice », mais plutôt sur le mode suivant : « Voilà encore ces emmerdeurs qui se prennent pour des résistants et qui iront se coucher comme en 1940 dès qu’on mettra un peu de pression. »

Alors à quoi bon tous ces morts, tous ces martyrs, toute cette martyrologie lyonnaise ? L’auteur qui vous écrit ces quelques lignes est né à Lyon et a fréquenté une université appelée « Jean Moulin ». Soupir. À l’école, le sage précaire a dû apprendre par coeur un poème de Louis Aragon sur un prisonnier qui préfère souffrir mille morts plutôt que de donner un nom sous la torture. Je m’en souviens encore, c’est vous dire si cela m’a traumatisé :

Et si c’était à refaire

Je referais ce chemin

Une voix monte des fers

Et parle des lendemains

La maîtresse d’école, Mme Gallon, essayait de nous inculquer l’esprit de résistance. Bon Dieu, cela me faisait faire des cauchemars et depuis j’ai peur quand je vais dormir. Quand j’étais petit, je n’avais pas peur du loup, pas peur du noir, pas peur des cambrioleurs : j’avais peur de la guerre et de la torture de Klaus Barbie. Dans mon pauvre lit, je me promettais de ne jamais résister, de trahir père et mère pour qu’on ne me torture pas. Merci Louis Aragon, merci Mme Gallon, merci Klaus Barbie et merci De Gaulle.

Si De Gaulle n’avait pas existé, peut-être aurais-je été un enfant moins perturbé et un adulte moins névrosé.

Enfin, et ce n’est pas le moindre, l’absence de De Gaulle nous aurait débarrassé de l’idéal repoussant et cosmétique de la « résistance ». Chez nous, il suffit que quelques dizaines d’individus se regroupent pour les entendre vociférer : « Résistance ! » Et cela peut concerner n’importe quoi : le soutien à un homme politique, le rejet d’un projet de loi, le ras-le-bol vis-à-vis des mesures d’hygiène en temps d’épidémie.

Je ne connais pas de réflexe idéologique plus éculé, plus frelaté que cet esprit de résistance ; et il est si prégnant dans notre culture ambiante que même les vrais héros de la France libre se laissent piéger. Stephane Hessel s’est mis à encourager la jeunesse à s’indigner. Comme si les jeunes n’étaient pas naturellement des êtres bouffis d’indignation.

Moi, gamin, j’étais un professionnel de la résistance. Je résistais à tout ce qui pouvait me faire suer, et cela n’a pas fait de moi une personne meilleure. Sans De Gaulle, qui sait, j’aurais peut-être travaillé à l’école, j’aurais fait du solfège pour être un vrai musicien, j’aurais appris des langues étrangères, j’aurais musclé ce corps pour le rendre athlétique, et j’aurais eu une vision de l’histoire un peu moins biaisée.

2 commentaires sur “Si De Gaulle n’avait pas existé (1) – Il n’y aurait pas eu de résistance

  1. Impressionnante analyse de la part d’un homme de lettres . .
    Je me souviens quand j’ai rencontré le chercheur de lumière
    il m’avait demandé si je n’avais pas été tentée par des études littéraires
    il voyait du potentiel dans mes écrits je ne saurais dire . .
    Quand je te lis . .
    Je vois plutôt ta maitresse d’école comme 1 espère de dragon ou 1 sorcière peu importe le symbole –
    Et notre ami De Gaulle n’y est pour rien dans tes cauchemars d’enfant il me semble . .
    Voyons Sage, si nous n’avions pas combattu pour survivre
    En serions-nous là ?
    Pourrais-tu changer le cours de l’histoire ?
    Dans un monde parallèle sans doute
    Les humains se battent toujours pour une vie meilleure
    Pense à ceux qui résistent – Il en faut –
    ou alors répond-moi en allemand !

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