Faut-il publier chez L’Harmattan ?

Depuis que j’ai annoncé la parution de mon livre, en novembre 2021, j’ai reçu plusieurs questions de personnes en quête d’éditeur me demandant si les éditions de L’Harmattan proposaient une édition à compte d’auteur ou d’éditeur. Je comprends mieux pourquoi on me demande cela en lisant cet article du Monde selon lequel L’Harmattan profiterait des auteurs, ne leur verserait pas leurs droits d’auteur et les ferait même payer pour éditer leurs livres.

Je voudrais apporter ici mon modeste témoignage sur quelques points précis qui font polémique. Je n’ai pas fait d’enquête, cela est simplement mon vécu, et je rebondis ainsi sur les critiques avancées dans l’article du Monde que j’ai mentionné ci-dessus, et écrites dans la fiche Wikipedia de l’éditeur. Chemin faisant, je voudrais enfin répondre aux préjugés que je nourrissais moi-même à l’endroit de L’harmattan.

Sélection d’ouvrages. J’ai envoyé mon manuscrit par email en version électronique, je n’ai pas donc rien payé en termes d’impression. J’habitais en Oman et la pandémie mondiale autorisait de passer par des fichiers dématérialisés pour présenter les textes aux éditeurs. Comme je n’ai reçu de réponse positive que de L’Harmattan, j’ai signé avec cet éditeur. Je ne sais pas comment mon manuscrit a été sélectionné, mais je sais qu’il a été accueilli dans une collection spécialisée dans les livres de voyage, existant depuis 2010, et ne publiant qu’un ou deux livres par an, donc ce n’était pas incohérent.

On dit souvent que cet éditeur « publie tout et n’importe quoi », auquel cas je suggère de faire une expérience : envoyer un manuscrit sans queue ni tête, mal écrit et sans forme, et voyons ce qu’il en adviendra.

Cofinancement des frais de publication. Le contrat d’éditeur stipule en effet que l’auteur devra acheter, une fois le livre fabriqué, édité et publié, trente exemplaires du livre au prix réduit de 30 %. Cela m’a un peu surpris et même refroidi car c’est la première fois qu’un éditeur me demandait cela. J’ai finalement accepté et voici les coûts réels engendrés : 378 euros pour l’achat de mes trente livres, en plus des cinq exemplaires d’auteurs offerts. Je me retrouve donc avec 35 exemplaires de mon livre, que je paie une fois publiés. Comme son prix s’élève à 19 euros et que je l’ai payé 13 euros, il me faut vendre 20 livres pour me rembourser entièrement.

Je le répète pour mettre cela en perspective de ce qui est dit par les détracteurs. On lit que des auteurs se plaignent d’avoir dépensé des milliers d’euros pour voir leur livre publié. Ce n’est pas mon cas. Il me suffit aujourd’hui de vendre 20 livres et cette publication ne m’aura pas coûté un centime.

On peut refuser cela, je le comprends très bien. J’ai moi-même publié cinq ouvrages avant celui-ci sans rien dépenser, et certains éditeurs m’ont même payé pour le manuscrit. D’autres éditeurs m’ont versé des droits d’auteurs quand je vendais suffisamment. J’ai aussi publié plusieurs dizaines d’articles, de chapitres et de textes courts dans des revues sans avoir jamais participé aux frais. C’est donc une pratique rare que je ne recommande pas, mais il faut l’appréhender sans mentir : dans mon cas cette dépense s’est élevée à moins de 400 euros, et je déciderai si je veux vendre les livres que j’ai reçus ou si je choisis d’en faire cadeau à celles et ceux qui sont intéressés par ce récit. Selon la qualité du livre et de l’éditeur, c’est en définitive une dépense que je juge raisonnable.

Le travail d’édition. La personne en charge de mon manuscrit ne m’a pas fait de suggestions d’éditeur, elle ne m’a pas conseillé sur le style ni sur le contenu de mon livre. En revanche, elle s’est penchée sur la correction du texte en utilisant des outils informatiques onéreux pour un auteur, type Antidote. S’il y a trop de fautes, elle renvoie le manuscrit à l’auteur pour qu’il revoie sa copie. Cela semble signifier qu’a minima cet éditeur ne publie pas « tout et n’importe quoi », et qu’il ne faut pas compter sur lui pour relire et corriger votre manuscrit.

J’en profite pour remercier ici tous ceux qui on donné de leur temps pour relire mon texte, le corriger et l’améliorer par leurs conseils judicieux. Que vous soyez écrivain reconnu, ingénieur à la retraite, ingénieur.e en activité, professeur admiré ou ami au grand coeur (et souvent vous cochez plusieurs de ces cases), soyez ici remercié et attendez-vous à recevoir très bientôt un exemplaire de Birkat al Mouz dédicacé.

La personne en charge m’a aussi conseillé sur la mise en page et elle a finalisé le manuscrit pour en faire un texte imprimable sur un document intermédiaire. Elle m’a enfin laissé lire les épreuves sur un document PDF pour que je puisse procéder aux dernières corrections (non pas directement sur le document mais en lui indiquant le lieu exact des corrections pour qu’elle les fasse elle-même). Ce travail-là ne se fait pas dans une édition à compte d’auteur.

La couverture. J’ai proposé une photo pour la couverture et ce sont les graphistes de l’éditeur qui ont jugé si la qualité de l’image était suffisamment bonne. De même, il y a eu des échanges entre la personne en charge du manuscrit, le service graphisme et moi-même, pour que la couverture soit satisfaisante.

La promotion, le marketing et la diffusion. Une fois que le livre est publié et annoncé sur le site de L’Harmattan, une dernière personne apparaît dans votre parcours pour vous aider à faire connaître votre ouvrage. Elle s’occupe de la promotion et vous pouvez lui demander d’envoyer des exemplaires en « service de presse » à des journalistes ou des influenceurs qui, on l’espère, feront un compte rendu de lecture et donneront envie à d’autres de vous lire.

Dans ce service de marketing, on vous propose de réaliser une vidéo de présentation qui pourra être diffusée sur les réseaux sociaux et autres sites, en plus du site de l’éditeur. Cette vidéo est réalisée avec le matériel et le personnel de l’éditeur sans frais pour l’auteur. Je ne l’ai pas encore faite, ni même pris contact avec le service en question, donc je ne peux rien dire de plus concernant cette vidéo, mais à l’époque de YouTube et d’Instagram, c’est un service appréciable.

Il y a enfin la possibilité d’organiser une « soirée » signature dans les locaux situés au centre de Paris, où l’on peut inviter quelques dizaines de personnes. Cela non plus, je ne l’ai pas encore fait, mais c’est un service que tous les éditeurs ne sont pas capables de rendre à leurs auteurs.

En définitive, je pense que le bilan général est plutôt positif. En ce qui me concerne, et pour être honnête, j’ai été agréablement surpris car je m’attendais à être traité sans égard dans une immense usine à gaz. J’ai au contraire eu la sensation d’être accueilli poliment dans une entreprise bénéficiaire qui a le sens du profit, et qui me donne des outils pour faire exister et rendre accessible un livre intéressant, attachant et peut-être même utile à certains égards. Je n’ignore pas que L’Harmattan est moins prestigieux que beaucoup d’éditeurs. Je n’ignore pas que pour un certain esprit snob très vivant chez les amateurs de livres, un petit éditeur éphémère vaudra toujours mieux que cette vieille boîte controversée. Cependant, mon expérience me pousse à déclarer qu’il n’y a aucune honte à publier là.

Vous ne ferez pas carrière grâce à L’Harmattan, mais votre carrière ne souffrira pas d’avoir publié chez L’Harmattan.

9 commentaires sur “Faut-il publier chez L’Harmattan ?

  1. L’harmattan est un éditeur issu de la gauche chrétienne d’après guerre, bénévole et qui publie (publiait ? ) avant tout des textes d’auteurs africains francophones. Dans ces conditions, pas étonnant que ca fasse l’objet d’un certain snobisme aujourd’hui, comme Karthalla d’ailleurs. Mais c’est vrai qu’ils ont aussi publié pas mal de merde aussi. J’ai chez moi plusieurs exemples me semble-t-il… Mais ca n’enlève rien à l’importance et à la valeur d’un editeur qui essaye de suppléer à l’inexistence d’édition africaine. Concernant ta publication, je pense qu’elle profite d’un lien au « Tiers-Monde » même s’il est faux, tant les éditeurs parisiens sont devenus complètement bouchés à tout ce qui viendrait d’ailleurs sans rentrer dans les cases du bankable fut-il illisible.

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    1. Merci pour ton commentaire Ben, plus personne ne commente les blogs depuis quelques années. Ça fait plaisir de te trouver là. Oui c’est vrai que L’Harmattan est toujours très lié à l’Afrique, ce qui me le rend attachant. Je n’avais pas remarqué que mon livre avait pu être appréhendé comme ayant un lien avec le tiers-monde, mais j’accepte cela avec plaisir.

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    1. Oui, je vous conseille d’essayer et de leur envoyer votre manuscrit.
      En effet, j’ai encore un argument à faire valoir en faveur de L’Harmattan : après qu’une lectrice a attiré mon attention sur quelques coquilles qui s’étaient glissées dans mon texte, j’ai demandé s’il était possible de procéder à une réimpression avec un certain nombre de corrections. Cette demande a été acceptée très rapidement et j’en ai profité pour réajuster l’ensemble de mon livre avec une petite centaine de retouches. Rien de perceptible pour le lecteur lambda mais il est important de soigner les détails, car le diable s’y niche.
      En l’occurrence, j’ai envoyé à la personne en charge de la fabrication du livre une liste de corrections à faire. Des indications très précises, à la page et à la ligne près. Et cette employée de L’Harmattan a effectué les changement sur le document à imprimer, non sans me demander d’approuver le résultat final.
      J’appelle cela un bon service d’éditeur, en tout cas un service qui ne m’a pas été toujours possible d’obtenir des autres éditeurs.

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  2. Bonjour.
    Votre témoignage objectif remet les pendules à l’heure, et montre, s’il en était besoin, qu’il faut nuancer.
    La preuve en serait ma rocambolesque expérience avec un éditeur (un « vrai », à compte d’éditeur, sans aucune obligation d’achat par l’auteur) certes pas in « grand-grand » mais tout de même connu nationalement des libraires et plutôt bien considéré.
    Résultat : un fichier imprimé qui n’était pas le bon, un titre erroné en couverture mais le bon titre en page de garde (oui oui, je vous jure) ce qui fait que, comme c’est la maquette avec le bon titre qui avait été référencée (très en amont) pour ISBN et bêta données auprès des plateformes de diffusion/distribution, le titre finalement posé sur la couverture (mauvais titre, donc, dont je ne saurai jamais à qui je le dois !!!) a été considéré dans ces catalogues et plateformes comme inexistant, indisponible, voire « épuisé » (normal, puisque ce n’était pas celui communiqué à ces organismes de référencement).

    Dans ces conditions, et sans aucune proposition de réimpression de la couverture (sauf pour un second tirage, qui aurait tenu du miracle vu qu’on ne pouvait déjà pas se procurer le premier !!!) je me suis refusée à acheter des exemplaires de ce roman qui ne m’aura donc rien coûté (mis à part la honte, auprès de mes lecteurs). N’étant pas de nature procédurière, j’ai laissé tomber.
    Cette expérience ne m’a donc rien coûté (sauf une immense honte et l’impression de flouer financièrement mes lecteurs) mais elle montre qu’on n’est pas à l’abri de « curieuses surprises » même avec un éditeur classique.

    Ce que vous dites de votre expérience montre qu’avec tout type d’éditeur, il faut relativiser : avec le mien je suis sans doute tombée au mauvais moment (covid) avec la mauvaise personne, et sans doute d’autres circonstances que j’ignore qui ont créé cette rocambolesque aventure (dont je n’ai pas tout dit car ce n’est pas ici le propos) tout comme avec L’Harmattan certains n’ont peut-être pas suffisamment lu le contrat avant de signer (je crois savoir que tout y est bien détaillé, y compris les engagements de l’auteur. On sait où on va). Par ailleurs, j’ai deux titres de L’Harmattan dans ma bibliothèque : la mise en page y est parfaite, les paragraphes bien distincts, c’est qualitatif, ce qui est de moins en moins le cas chez bien des éditeurs (et que dire de l’auto-édition et de ses textes quasiment « au kilomètre » !…).

    Les rapports humains entre auteur et éditeur ont aussi leur importance, et il me semble avoir perçu, dans divers commentaires furieux contre L’Harmattan, que les esprits chagrins qui vouent cet éditeur aux Gémonies ne sont pas non plus les plus modestes quant à leurs propres écrits. Partant, tout est bon pour critiquer l’éditeur…

    J’aime beaucoup votre phrase de conclusion.
    Bien cordialement

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  3. Oups, veuillez m’excuser pour des redites dans mon texte envoyé à l’instant, que j’ai écrit tout en parlant à quelqu’un, et mal relu !!! J’ai voulu éditer, mais il n’y a pas cette fonction (ou je ne l’ai pas vue).

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