Les plans médias et les prix de nos écrivains

La littérature peut aussi s’étudier sous son angle marketing, industriel et commercial. Voyez les opérations de communication qui nous submergent à l’approche de certains livres à paraître.

Souvenez-vous de l’arrivée de certains livres de Michel Houellebecq. Teasing, polémiques, procès, provocations, articles de journaux. Aujourd’hui le soufflé Houellebecq est tombé et je n’ai même pas eu le désir d’ouvrir anéantir (sans majuscule), le dernier roman en date, tellement je savais d’avance ce que j’allais y trouver. Mais la magie a opéré sur moi jusqu’à Soumission (2015). Dix ans et cinq romans pendant lesquels le sage précaire a marché.

Parallèlement, s’installait le phénomène Sylvain Tesson. Une présence dans les médias mais pas seulement dans les pages littéraires, plutôt dans les formats « magazine » les matinales, les Talk shows, les Journaux télévisés. Cela m’a frappé à la parution de Dans les forêts de Sibérie, en 2012. Tesson était invité là où l’on parlait d’actualité politique, ou de problématiques sociales.

Lire : La littérature voyageuse de Michel Le Bris

La précarité du sage, 2008.

Je me souviens de m’être dit deux choses : 1. Apparemment ce livre fait l’actualité. 2. Visiblement, Tesson a changé de catégorie. Il est monté de plusieurs divisions.

Ce changement est peut-être dû à son agent, Azeb Rufin. Les agents négocient les contrats pour leurs auteurs et se prennent 10 % sur les recettes. Tout le monde est gagnant. Le plus puissant des agents français est François Samuelson, dont Le Monde faisait le portrait il y a quelques années :

https://www.lemonde.fr/economie/article/2019/01/03/francois-samuelson-le-007-de-michel-houellebecq_5404608_3234.html?lmd_medium=al&lmd_campaign=envoye-par-appli&lmd_creation=android&lmd_source=default

Je peux deviner l’année où Tesson a opéré sa mue. 2012, à quarante ans. Il suffit pour cela de regarder plusieurs éléments clés de la carrière mediatique : l’éditeur, les titres de livres, les photos de l’auteur et les émissions où il est invité.

Première partie de carrière : il publie des récits de voyage modestes sous des titres communs, comme On a roulé autour du monde, ou bien Trois mille kilomètres à cloche-pied à travers les steppes. Les photos, rares, présentent un jeune homme sympathique sans aspérité. Éditeurs commerciaux, sans prestige particulier. Peu de télévisions, et uniquement dûes à un piston qui se remarque trop.

Deuxième partie de carrière : signe un contrat chez Gallimard et publie dans la prestigieuse collection blanche. Titres de livres plus littéraires, comme Blanc ou Baïkal mon amour. Ou encore L’année dernière à Marioupol (ok j’arrête). Relooking judicieux, devient top model pour marques de vêtements pour hommes, portraits expressionnistes par des professionnels. Plans médias très bien négociés, sur des plateaux télé où on lui donne l’occasion de faire des tirades de poètes.

Exemple de plateau télé négocié : invité principal du Talk show phare des années 2010 On n’est pas couché samedi soir sur France 2. Pour obtenir cela, il fallait promettre l’exclusivité, etc.

Les résultats ne se font pas attendre : les prix littéraires tombent comme des mouches. Quelques déjeuners aux bons endroits de Paris avec les bonnes personnes, suffisent pour la plupart des prix.

Toutes ces transformations signent la présence d’un agent littéraire assez puissant, mais l’écrivain dont on parle est assez connaisseur de l’industrie (il est tombé dedans comme Obelix dans le chaudron) et a pu se débrouiller avec ses propres ressources pour cette mue publicitaire.

17 commentaires sur “Les plans médias et les prix de nos écrivains

    1. Oui, mais que peut-on dire à propos de Carrère ? Il n’a pas changé d’éditeur… si son agent lui a proposé de plus juteux contrats chez la concurrence, lui a toujours été fidèle à P.O.L….
      Désolé mais plus je pense à Carrère sous cet angle commercial, plus je me dis qu’il a la classe.

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  1. Le « soufflet Houellebecq » est retombé… On frise le lapsus révélateur.

    Intéressant, ces considerations sur l’industrie du livre, en particulier le rôle des agents. Mais il faut aussi rappeler que Tesson s’est cassé la gueule de je ne sais où, ce qui lui confère une identité physique intéressante et sans doute commerciale, mais ça va au-delà du commerce, on entre dans le domaine des « gueules cassées » avec l’imaginaire qui va avec (opportunément réanimé par le roman de Pierre Lemaitre). Tu sous-estimes peut-être un peu Tesson, il y a peut-être un peu de vrai dans ce qu’il est. On peut pas se faire détruire la gueule comme ça juste pour se donner un genre.

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  2. Encore Tesson? En tout cas si ce gars avait un peu de classe il devrait reverser un petit pourcentage des droits d’auteur de son dernier livre à chacun des signataires de sa pétition, avec ses remerciements et un petit mot d’encouragement

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    1. Et oui, avec la pub que ça lui fait, on se demande pourquoi la vieille presse continue de nous envoyer des seaux de fiente à la figure.
      Quelque chose a été blessé par cette tribune qui n’avait pourtant rien d’insultant. De nombreux publicistes se sont sentis personnellement atteints, c’est très intéressant à observer.

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    1. J’étais un peu éloigné lors des gilets jaunes. Je n’ai pas le souvenir de ce procès en illégitimité dûe exclusivement à l’obscurité des personnes. Dans les réactions outrées à cette tribune, ce qui revient de manière lancinante est l’indignation devant l’idée que des auteurs pas connus puissent avoir l’outrecuidance de prendre la parole. Extraordinaire. On ne vend pas beaucoup de livres, alors on devrait fermer sa bouche. On ne passe pas a la TV donc on est un raté. On critique une oeuvre donc on est jaloux de son auteur, etc.

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    1. La cause de la tribune ? Que veux-tu dire par pas sympathique ?
      Selon moi la tribune n’était pas bien écrite mais sa cause était simple et modeste. Comme cet écrivain contribue à « banaliser » l’extrême-droite, nous ne voulons pas être représentés par lui.
      1. Cela est exact (il est vrai que Tesson contribue à installer l’idéologie identitaire dans les conscience, d’autant plus que de nombreux publicistes le font passer pour un bel esprit sans l’avoir lu.)
      2. Ce n’est pas accusatoire ni diffamatoire (puisque l’opinion est étayée par des livres et des articles qui démontrent amplement son bienfondé.)
      3. Enfin c’est modeste et circonstancié ; les signataires de la tribune ne font qu’exprimer leur malaise et leur refus de se voir représenter par un tel écrivain.
      Je n’y ai rien vu d’antipathique ni d’approximatif.

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  3. Approximatif, je voulais dire, de fausses accusations: il n’a jamais préfacé le Camp des Saints, comme on l’a dit. Dans un rapport de police, ça marque mal. Et c’est ce côté flic, de police politique que les gens trouvent antipathiques je crois. C’est le piège dans lequel les signataires sont tombés faisant de Tesson, certes bien paradoxalement et abusivement, une icone de la littérature, attaquée par des bureaucrates et méritant à ce titre la sympathie.

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    1. Ah d’accord, je vois. J’ai vu que les médias Bolloré avaient beaucoup insisté sur la préface de Jean Raspail, sur CNews, sur Europe 1 et dans les pages du JDD. Ça leur paraissait tous très important de révéler que la Tribune s’était trompé dans le livre de Raspail que Tesson avait préfacé. Pour moi cela n’avait pas d’intérêt car de toute façon je ne juge pas les amitiés des gens. Moi-même j’ai parmi mes amis des fascistes et s’ils me demandaient de préfacer un livre je le ferais.
      Et en définitive les médias Bolloré auraient criminalisé toute tribune contre Tesson, même sans erreur factuelle dedans. C’est bel et bien une banalisation de l’extrême-droite à laquelle on assiste.

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  4. Oui j’avais envie de dire, quand bien même l’aurait-il fait, c’est bien son droit, et ça ne change rien. Le problème c’est que ça donne l’impression qu’on sait pas ce qu’on lui reproche, et donc ça décrédibilise.

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