En étudiant une synthèse de textes historiques sur la colonisation, mes étudiants shanghaiens et moi en sommes arrivés à effectuer un étonnant voyage dans le temps présent.
Les documents avaient tous en commun d’être une justification de la colonisation. Un discours de Jules Ferry à l’Assemblée nationale parle des devoirs et des droits des races supérieures sur les races inférieures. Un autre de Joseph Chamberlain chante la gloire de la race anglaise qui va dominer le monde, etc. Un document attire plus particulièrement mon attention : un extrait du journal de Cecil Rhodes, Premier ministre de la colonie britannique du Cap, datant de 1898 ; en voyant tous les pauvres de Londres, il se convainc de la nécessité de l’impérialisme : « Pour sauver le Royaume-Uni d’une guerre civile meurtrière, nous, les colonisateurs, devons conquérir des terres nouvelles afin d’y installer l’excédent de notre population. »
Que faire de ses pauvres ? Comment régler la question sociale ? C’est ce à quoi est confrontée la Chine aujourd’hui, et c’est sans doute pourquoi on parle aujourd’hui d’une nouvelle colonisation de l’Afrique par l’homme chinois. Cela nous ramène à l’extrait du livre de Serge Michel et Michel Beuret qu’a publié Le Monde il y a quelques jours, sous le titre « L’Afrique est ruinée ? La Chine est preneuse » (daté du 19 mai 2008). Les auteurs, qui ont enquêté dans la plupart des pays africains où l’on peut côtoyer des Chinois, parlent de l’immigration comme une solution encouragée par Hu Jintao pour « faire baisser la pression démographique, la surchauffe économique, la pollution. » Il s’agirait donc d’une ruée vers l’Afrique qui fait écho aux phénomènes d’excédent de population que l’Europe connaissait au XIXe siècle. L’extrait du livre fait mention d’un « scientifique » anonyme, qui aurait parlé dans le Figaro en ces termes extravagants : « Nous avons 600 rivières en Chine, 400 sont mortes de pollution. On ne s’en tirera pas sans envoyer 300 millions de personnes en Afrique! »
Sacré excédent, en effet. Mais cela se tient. La réserve d’hommes pauvres, en Chine, est inépuisable. Il n’y a que les optimistes béats (en particulier ceux qui vivent à Shanghai) pour penser sérieusement qu’un pays, quel qu’il soit, puisse les « résorber ». Avec le ralentissement de la croissance, et malgré le déséquilibre démographique hommes-femmes qui condamnent des millions d’hommes au célibat, les pauvres se reproduisent à une vitesse ébouriffante. Pour éviter un chaos social, dirait aujourd’hui Cecil Rhodes, qui menacerait l’unité du pays, l’Afrique risque bien d’être le théâtre d’un flux migratoire dont on ne perçoit aujourd’hui que le prodrome.
Cela nous réserve un avenir follement coloré.