Lettre ouverte aux entreprises culturelles françaises souhaitant se développer dans le monde arabe

Dans un contexte où les industries culturelles françaises cherchent à renforcer leur présence dans les pays du Golfe persique et, plus largement, dans l’ensemble des mondes arabe et musulman, une exigence fondamentale s’impose : la capacité à produire et communiquer directement en langue arabe.

Je trouve incroyable que des entreprises reconnues pour leur excellence, leur créativité et leur expertise internationale puissent encore déclarer ne pas disposer de compétences arabophones en interne. Je peux le comprendre pour nos voisins, mais pour la France, je déclare que c’est une anomalie.

Il est possible qu’une telle lacune fragilise la crédibilité des acteurs français auprès de partenaires des monarchies pétrolières, mais le problème est ailleurs. Je ne veux pas limiter mon propos à la banalité selon laquelle les pays arabes accordent une importance considérable à la maîtrise de leur langue et à la compréhension fine de leurs contextes culturels.

Mon propos est d’abord dirigé vers la culture française elle-même. C’est pourquoi je m’adresse ici à vous, acteurs français de la culture, des arts et des lettres : affirmez-vous comme français avec tout ce que cela implique de luxe, de raffinement, de musées et de philosophie, mais aussi en soulignant l’arabité de la France.

Un rappel nécessaire : la France entretient un lien ancien et profond avec le monde arabo-musulman

L’histoire française est marquée depuis plus de treize siècles par des échanges multiples avec le monde arabo-musulman :

  • contacts politiques et commerciaux dès le haut Moyen Âge ;
  • guerres et batailles dont la légendaire histoire qui raconte que Charles Martel arrêta les Arabes à Poitiers en 732.
  • influences littéraires, notamment dans la tradition des troubadours, largement inspirée de la poésie arabo-andalouse ;
  • transferts architecturaux, visibles jusque dans l’art roman, nourri des savoir-faire développés en Espagne andalouse ;
  • croisés partis en Terre sainte et devenant arabes au sein de leurs « Royaumes francs » en Orient ;
  • importance d’Averroès dans les Lumières françaises comme l’a rappelé Jean-Luc Mélenchon lors d’une audition d’une commission parlementaire sur l’islam en France ;
  • relations contemporaines issues des dynamiques coloniales, migratoires et culturelles.

Lire aussi : Les rapports anciens de la France avec l’Islam. Comment les identitaires prennent nos ancêtres pour des cons

La Précarité du sage, 2021

Ces liens ont façonné durablement la culture française. Ils rappellent que la France est certes un pays laïque, qu’il est surtout un pays d’athées, et qu’il fut un grand pays catholique puis protestant, mais qu’elle est aussi un territoire marqué par des apports arabo-musulmans pluriels et anciens. Cette réalité constitue une richesse culturelle et diplomatique majeure que vous devriez mettre en avant dans vos démarchages et vos négociations.

Valoriser les compétences françaises pour renforcer la présence à l’international

Dans cette perspective, il est essentiel que les entreprises culturelles françaises mobilisent les ressources arabophones présentes sur le territoire national. Qu’ils soient d’origine arabe ou non n’importe pas puisqu’ils sont Français.

La France dispose d’un vivier de professionnels hautement qualifiés, maîtrisant l’arabe classique, l’arabe culturel, ainsi que l’anglais et le français à un niveau d’excellence. Ils sont capables de produire des contenus exigeants, adaptés aux standards internationaux, et sensibles aux nuances culturelles indispensables à tout projet dans le monde arabe.

Ne venez plus en Arabie Saoudite sans avoir du personnel français arabisant.

Recourir systématiquement à des compétences externes ou étrangères, alors que ces profils existent en France, revient à négliger un atout stratégique majeur et à donner une image affaiblie d’une filière française pourtant riche de sa diversité culturelle.

Un enjeu de crédibilité et de respect mutuel

Pour s’implanter durablement dans les pays du Golfe persique (Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Qatar, Oman, Koweït) les entreprises françaises doivent démontrer qu’elles peuvent produire en arabe.

Produire en arabe ne peut pas être un simple service additionnel.

Assumer et mettre en valeur la pluralité culturelle française est également un levier diplomatique puissant, en cohérence avec l’histoire millénaire de la France.

Investir dans les compétences arabophones françaises

Pour accompagner ce mouvement, la Sagesse Précaire peut activer ses réseaux afin de mettre en relation les entreprises avec des Français arabophones formés, expérimentés et capables de répondre aux exigences des partenariats internationaux. Appelez le Sage précaire si vous rencontrez des difficultés pour trouver les perles rares qui vous feront briller : mon carnet d’adresses est plein de profils français arabes excellents.

Ma lettre touche à sa fin. Il me reste un argument pour vous convaincre d’assumer votre dimension orientale : vous vous enrichirez ! La réussite des entreprises culturelles françaises dans le monde arabe repose sur une stratégie claire qui tourne le dos aux discours identitaires et embrasse enfin la France dans son histoire arabo-musulmane.

Une fugue à travers l’écriture et la calligraphie arabe

Les catalogues sont des types de livre qui excitent en moi un sentiment d’incomplétude riche et appétissante. Ici, il s’agit du catalogue d’une exposition intitulée « Écriture et calligraphie : un voyage intemporel ». Cette exposition, qui a eu lieu dans les années 2020, m’était inconnue jusqu’à ce que je tombe sur ce magnifique ouvrage. Bien que je n’aie pas eu la chance de visiter l’exposition en personne, la lecture du catalogue se révèle pleine de promesses.

Contrairement à ce que laisse entendre son titre, ce catalogue ne propose pas une vision « intemporelle » de la calligraphie arabe. Au contraire, il s’inscrit dans une approche profondément historique, en retraçant une chronologie précise, et c’est précisément ce qui le rend si passionnant.

Le voyage commence par un article d’Éric Delpont, expert travaillant à l’Institut du Monde Arabe à Paris, qui explore les origines des systèmes d’écriture au Moyen-Orient avant même l’apparition de la calligraphie proprement dite. Cette introduction érudite nous plonge dans les racines de l’écriture arabe, avant de nous guider à travers son évolution jusqu’à sa transformation en une forme artistique emblématique de la civilisation islamique, à partir du 7e siècle de notre ère.

Mais ce voyage ne s’arrête pas à l’époque classique. Le catalogue consacre également de magnifiques pages aux calligraphes des 20e et 21e siècles, mettant en lumière l’art contemporain arabe. Certaines sections explorent même des expérimentations avec l’intelligence artificielle et des technologies de pointe. Si ce dernier aspect me laisse un peu perplexe, j’ai été particulièrement séduit par une partie intitulée « Les traces nomades de la calligraphie ». On y découvre comment l’écriture arabe s’est immiscée dans des domaines inattendus comme le design, la joaillerie ou encore la mode, offrant ainsi un aperçu de son incroyable plasticité et de son pouvoir d’adaptation.

Les bons catalogues sont une invitation. Ici, on est invité à explorer les multiples dimensions de la calligraphie arabe, à travers le temps et les disciplines. Les illustrations, somptueuses, ajoutent une profondeur visuelle qui donne envie de s’immerger davantage dans cet univers et, évidemment, de prolonger, d’intensifier l’apprentissage de l’arabe.