La mort du subjonctif

Depuis que je suis en France, je regarde un peu la télévision et il est des fautes qui reviennent constamment dans la bouche des gens interviewés et des journalistes. Ils oublient le subjonctif. « Je ne crois pas que le Sénat est … », « Je ne dis pas que le ministre sait quoi que ce soit… »

Le premier réflexe du pédant est de s’en lamenter, et de crier à la décadence culturelle de la France. La sagesse précaire propose une autre interprétation : le subjonctif imparfait a quasiment disparu, le subjonctif présent en prend le chemin. Voilà tout.

Le français devient une langue sans mode, une langue qui se rapproche de l’anglais, ou du chinois. J’allais dire tant pis pour les puristes, mais les puristes, en terme de langue, sont condamnés à souffrir en permanence, non parce que tout le monde fait des fautes, mais parce que la langue n’est jamais pure. Un grammairien puriste, c’est comme un général antimilitariste, ou un marchand de pneu écologiste.

Déjà, on peut dire des choses comme « je crois qu’il pleut », alors qu’en italien, on utilise le subjonctif après l’incertitude du « je crois ».

Que perdrait-on, en perdant le subjonctif ? Cette question me rappelle le très beau roman de Philippe Forest, L’enfant éternel, dans lequel la fille de quatre ans apprend avec aisance le subjonctif car il exprime le doute, la volonté, l’incertitude, et que cela lui correspond d’autant mieux qu’elle se sait atteinte d’une maladie mortelle : son mode de vie étant basé sur l’incertitude quant à l’avenir, sa façon de parler adoptait le mode le plus personnel, le plus subjectif de la grammaire française.

Nous perdrions ces nuances d’expression personnelle, qui n’apportent aucun sens solide mais qui colore la langue. Entre « Il faudrait qu’on aille » et « Il faudrait qu’on va », aucune différence de signification, aucune différence pratique, pragmatique, voilà pourquoi nous perdrons, un jour, cette coquetterie qu’est le subjonctif. La différence n’est pas dans l’être, mais dans la manière d’être, le mode. Cela nous renvoie à la création du baroque, où l’ontologie reposait sur l’apparence, le reflet, le trompe-l’œil.

Pour ma part, je ne me vois pas aimer la langue française sans cette coquetterie baroque. D’ailleurs les étrangers n’apprendront pas plus facilement notre langue car la vérité est qu’ils font très peu de fautes sur ce point : soit ils savent se passer des formules qui exigent le subjonctif (plutôt que de dire « il faut que + sujet et verbe », ils disent « il faut + infinitif », entre autres roublardises), soit ils apprennent consciencieusement les conjugaisons les plus courantes et les plus irrégulières (elles sont peu nombreuses) et c’est avec délectation qu’ils sen servent, car ils impressionnent leurs partenaires français à bon compte.

Observons ce que deviendra ce grignotement du subjonctif par la langue courante, et voyons s’il sait résister à un monde où domine l’intérêt.

29 commentaires sur “La mort du subjonctif

  1. On peut aussi esperer voir paradoxalement dans la disparition du « il faut que » la disparition d’un mode de vie débile et stressé basé sur ‘lideologie du devoir, de l’obeissance, une forme de militarisation de la vie quotidienne complétement obnubilée par l’intérêt en effet, je dis n’impore quoi mais ca fait du bien de dire n’importe quoi et puis c’est les vacances c’est vrai quoi :IL FAUT QUE J’EN PROFITE ! Tout ca pour dire que c’est peut-etre une bonne chose… mes eléves chinois par exemple en s’emparant de ce subjonctif m’ont peut etre refilé en échange une certaine forme de zen…j’aimle bien cette idée d’échange de trucs invisibles et immatériels : une régle de grammaire française bientôt obsoléte contre une façon de penser, de croire et de vivre chinoise (la philosophie zen, taoiste ou confucianiste)…bientôt obsoléte peut etre aussi cette philosophie…

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  2. Une bonne chose…

    Je suis d’accord avec l’idée, nous simplifions bien notre langage malgrè les puristes et les pédants. Mais il ne faut pas aller trop loin. Surtout en ce moment, où l’ère du S.M.S est en pleine expansion. Il faut continuer à montrer aux jeunes la « bonne » manière de parler et ne pas se dire « cela fait parti de notre époque, les jeunes s’approprient la langue ». Oui! mais à quel prix?

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  3. Regardons une langue qui n’a pas de mode et pas de temps comme le chinois. Les nuances passent bien aussi. On pourra exprimer le « je crois qu’il pleut » par divers moyens tout en gardant la même connotation.
    L’un des points les plus difficiles à expliquer aux étudiants, il me semble, est la différence d’emploi entre l’imparfait et le passé simple. En théorie, ça va, on a tous les bons exemples et la bonne explication, mais dans la pratique, c’est plus dur. Qu’en penses-tu, Ô grande sage ?

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  4. Vous semblez oublier que l’emploi du subjonctif n’est pas obligatoire dans les cas que vous citez. Ce mode permet précisément d’ajouter un nuance de subjectivité lorsque le contexte le justifie.

    Je ne crois pas que le subjonctif présent soit en voie de disparition.

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  5. Le subjonctif, c’est le virtuel dans la langue. Savoir exprimer ce qui n’existe que dans votre tête et pas dans le réel. L’ordinateur a créé le virtuel de l’image pour mieux faire mourir la virtualité dans la langue. Ne penser qu’à l’indicatif serait une terrible condamnation. Que vive donc le subjonctif et l’imaginaire qu’il véhicule.

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  6. D’accord, le subjonctif disparaitra … Comme, je le regrette, il disparait aussi en Italien, mais à un rythme plus lent … Mais si le subjonctif disparait, si on ne dit plus « je ne pense pas qu’il faille », il restera dans les expressions les plus conrrantes : « il faut qu’on y aille… » avec ce qu’il faut de complexité pour qu’une langue soit attachante.

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  7. Je suis totalement d’accord avec l’auteur, le subjonctif se perd..
    A noter qu’en Espagnol le subjonctif est très très utilisé, notamment pour exprimer le conditonnel, le doute,la politesse.
    Même le latino-américain lambda utilise la forme du subjonctif : par exemple pour dire « bonne journée » ou « bonne continuation »-> »que le vaya bien »

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    Le subjonctif, c’est le virtuel dans la langue.
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    Pas seulement cela !
    Le subjonctif c’est une forme grammaticale qui est l’expression d’un registre de langue, la langue soutenue.
    En d’autres termes parler au subjonctif montre que l’on fasse partie d’une certaine catégorie sociale.
    Ne pas perdre de vue que la société française a été longtemps et le demeure encore articulée autour de différentes catégories sociales

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    1. « parler au subjonctif montre que l’on fasse partie d’une certaine catégorie sociale ». Là, pour le coup, c’est une faute de français. Celui qui parle comme ça ne montre pas qu’il appartient à la haute, mais qu’il cherche à se hausser du col.

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  8. A trop vouloir simplifier la langue, on simplifie aussi la pensée. La civilisation se base aussi sur la capacité à exprimer et donc à concevoir des rapports entre êtres humains sophistiqués. C’est aussi pour cela que dans l’histoire les régimes ou partis à vocation totalitaire se sont parfois attaqués aux langues en proposant des projets de modernisation qui passaient par une grande simplification. Ils dénonçaient la sophistication bourgeoise, voire réac, des langues élitistes pour promouvoir une langue basique. Simpliste. Une langue tellement étroite et sans nuances qu’elle limiterait par nature la capacité des sujets à envisager autre chose que l’univers qui leur était imposé. Un certain héritage de cette vision se retrouve toujours dans les réflexes pavloviens anti-orthographe de certains produits de nos IUFM. Et puis bon… lorsque Montesquieu, Montaigne, Tocqueville, Voltaire seront devenus vraiment incompréhensibles, illisibles, la seule interprétation qui restera disponible sera celle qu’en feront nos manuels scolaires. La liberté ne sera plus qu’un mot creux. Vide de sens.

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  9. Je suis brésilien et j’ai fait mes études de la langue dans une école traditionnele où l’ apprentissage du subjontif était obligatoire et pour nous ça ne posait aucune difficulté . Nous utilisons regulièrement le subjontif au Portuguais (brèsilien notamment) , dans la language orale et dans la literature sans aucun trace de pédantisme ou rococó baroque .

    Je me souviens que les français chez nous , nous disaient qu ‘ils reconnaissaient les étrangers lors de l’utilisation du subjontif , « dejà-vu » en France.
    C’est pir que les français soient sousmis a cette simplification , quand pour nous le français demeure la langue la plus belle du monde , chic , sophistiqué et sonore .

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  10. IL FAUT QUE J AILLE chez le coiffeur . RIGHT NOW !
    IL fAUT QUE JE REGARDE LES JEUX OLYMPIQUES !
    IL FAUT QUE je FASSE DES économies (POUR REPARTIR EN CHINE ou ailleurs)
    IL faUT QUE JE fasse un blog
    ILfaut que je me trouve une meuf
    Il faut que oui bon vous avez compris, quelques exemples de l’utilisation du subjonctif présent chez un primate male occidental de type européen et célibataire , a noter bien sur le coté chiant de cette forme grammaticale, avec le verbe « devoir »à l’indicatif c’est mieux, non ? quoique un peu moins élégant c’est vrai…en tout cas c’est aliénant, stressant avec « il faut que »….

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  11. Quand je commençai mon apprentissage du français à l’université, je fus découragée par 16 temps de cette langue (ouf!).
    Pour les Chinois qui ignorent la conjugaison, c’est vraiment dur! Maintenant je suis contente que certains temps ne sont plus utilisés dans la pratique!!! Mais le subjonctif présent donne, à mon avis, une subtilité voire une élégance à l’expression.
    Tong

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  12. Contre-exemple : Tandis qu’il faudrait employer l’indicatif ou le conditionnel avec « après que », c’est le subjonctif qui est le plus souvent employé.

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  13. Pour ma part, en tant qu’auteur, j’emploie avec une aisance confondante l’imparfait du subjonctif car je ne compose que des textes baroques ne se passant presque jamais de nos jours. j’aime aussi l’argot ancien, des expressions comme passé-singe, bagne grisouteux ou des mots comme carline, chourineur ou fourline. J’adore la physique quantique et le principe d’incertitude de Werner Heisenberg ainsi que le chat de Schrödinger puisque j’écris aussi de la science-fiction ; donc, l’imparfait du subjonctif relevant de la mécanique quantique et de l’incertitude, j’ai bien raison d’en user jusqu’à plus soif. J’eusse souhaité que vous emmerdassiez davantage les écrivaillons contemporains dits français qui emploient trop le présent de narration afin qu’ils utilisassent d’autres modes de conjugaison parce qu’ils ne connaissent plus leur concordance des temps. Merci.

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  14. votre article date de 2008. Vous disiez, à la fin de cet article, que vous allez observer ce qui se passe avec la disparition progressive du subjonctif. L’idée est tout à fait intéressante mais depuis quelque temps, chez les journalistes, il ne disparaît pas, le subjonctif, au contraire : on l’utilise dès qu’il y a un « que » dans une phrase. On l’utilise abusivement comme on utilise abusivement les liaisons qui révèlent alors que les journalistes ne savent pas que « mille » ne prend jamais d’s, ne connaissent pas les règles d’accord du verbe avoir.
    La grammaire est l’architecture de la langue. Si on commence à en perdre des morceaux, le château qu’est notre langue perdra des colonnes puis son toit et s’écroulera. Je vis dans un département où les gens parlent beaucoup en créole. Le créole, c’est le français simplifié avec une grammaire très simplifiée. Il me semble que dans mon île, si on trouve que la grammaire française est trop compliquée, on doit choisir de parler créole mais si on parle français sans respecter aucune règle de grammaire ou de conjugaison (surtout si on est journaliste), on participe à détruire la langue ou à la réserver dans un avenir proche à des spécialistes qui sauront, dans le choix des collègues de travail qu’ils recruteront, faire la différence. Je ne crois pas qu’il soit bon de laisser croire que les règles de notre langue sont inutiles.

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  15. Le subjonctif se meurt, la culture est morte: resteront les ânes à peau dure et les « En ka que » décortiqués. J’adhère à la confrérie des pédantes matraquées par « l’incorruptible ».

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  16. La construction ‘ne pas croire’ ‘ne pas dire que’ admettent l’indicatif et le subjonctif… Quant à «il faut que + sujet et verbe », « il faut + infinitif », on ne peut pas utiliser l’un pour l,autre dans tous les contextes…

    On a des locutions conjonctives du genre : pour que, jusqu’à ce que, avant que, etc. Des verbes de volonté, de doute, de sentiment, etc. : j’aimerais que, je voudrais que, je doute que, j’ai hâte que, je suis content que, déçu que, c’est important que, etc.

    Mon petit-fils de quatre ans a utilisé trois subjonctifs dans le temps de le dire: Je veux pas que, il faut que (2)…

    La liste est longue…

    Une petite idée : http://fr.slideshare.net/lnajap/le-mode-subjonctif-sonusage

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  17. enfin
    je pensais être devenu barge, que ce que j’avais appris a l’école n’étais qu’un doux rêve

    clair que le pire c’est d’entendre ce genre d’erreur dans la bouche ou les écrits de personnes publiques, hommes de « lettres » , et autres pigistes a 2 balles

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  18. À bientôt 16 ans, et avec un regard désolé, j’entends se disloquer autour de moi l’édifice linguistique qu’est notre langue, peut-être la plus belle du monde. Et sa grammaire truffée de subtilités, et sa prononciation langoureuse et roulante semblent être vouées à disparaître au profit de moyens d’expression banalisés et d’un système vocalique s’appauvrissant.
    Que pourrions-nous y faire ? Ce sont les francophones qui choisissent l’avenir de la langue, qu’ils en soient conscients ou non. Alors j’écris, à l’imparfait du subjonctif, me délectant de ces formes gracieuses, presque discordantes à l’oreille, mais qui gardent en tout cas entière la concordance des temps que l’espagnol (merci aux hispanophones) s’efforce de conserver ; je corrige – et je ne m’en félicite guère – mes proches qui suivent le moule sociétal donc le dogme principal semble être : du moment que c’est compréhensible…
    Quand je serai grand, je voudrais être professeur de lettres classiques et pouvoir enseigner aux futurs élèves toute la somptueuse beauté du français, ces nuances élégantes, la richesse infinie de sa littérature, en espérant qu’ils seront sensibles, comme je le suis, à la chance qu’ils ont de maîtriser la langue française.
    « La langue française, dès cette époque, commençait à être choisie par les peuples comme intermédiaire entre l’excès de consonnes du nord et l’excès de voyelles du midi. » – Victor Hugo.
    « La langue française est une femme. Et cette femme est si belle, si fière, si modeste, si hardie, touchante, voluptueuse, chaste, noble, familière, folle, sage, qu’on l’aime de toute son âme, et qu’on n’est jamais tenté de lui être infidèle. » – Anatole France.

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  19. Les nouvelles générations laidifient la langue française par l’ajout des « k » de partout. Il faut se débarrasser de cette lettre abominable !

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