L’indépendance de l’Irlande

La question est grave est grande : pourquoi chercher à être indépendant ? N’est-il pas préférable de rester au sein d’une puissance plus grande, et de faire progresser les droits des minorités pacifiquement ? C’est un question actuelle avec le Tibet, avec la Corse et les Antilles. C’est un débat qui est certainement mené par les Tibétains et les Antillais eux-mêmes. (A mes amis chinois qui me renvoyaient les Bretons et les Corses à la figures, je pouvais toujours répondre qu’ils avaient le droit de vote et le droit de constituer des partis indépendantistes, mais c’est un autre débat.) 

En 1916, il n’y avait pas plus de république d’Irlande que de beurre en branche dans le cul d’une vache.

L’Irlande appartenait à l’empire britannique et personne, même pas James Joyce, ne croyait que les Irlandais parviendraient à être indépendants. Peu de gens l’espéraient vraiment, car, en 1916, c’était la première guerre mondiale et tout le monde s’en foutait un peu, de l’Irlande.

D’ailleurs on parlait d’autant moins d’indépendance qu’il était question d’une loi, Home Rule, qui allait permettre – à condition d’être votée à Londres – de donner une certaine autonomie à l’Irlande.

C’est alors, au plus fort de la guerre mondiale, qu’une bande d’activistes irlandais ont pris d’assaut le bâtiment des postes (Cherchez le GPO, quand vous visiterez Dublin) et prononcèrent une déclaration d’indépendance. Une bande d’intellectuels précaires (Patrick Pearse avait étudié le gaélique et le français, et il avait créé une école irlandaise) se révoltaient et étaient prêts à en découdre avec la plus grande puissance du monde.

 1916_procl_independ_ireland.1226849072.jpg

Un pragmatique bon teint me dirait : « Mais ils sont stupides, tes Irlandais. Ils auraient attendu quelques années que tout cela se pacifie, ils seraient aussi libres et autonomes que les Ecossais, ils bénéficieraient, comme eux, des avantages socio-économiques de la Grande Bretagne tout en étant parfaitement autonomes, avec un parlement irlandais, une fiscalité irlandaise… Ils se seraient économisés bien des violences inutiles. »

Après quelques jours de combats, les Anglais les ont dégommés. Ils avaient d’autres chats à fouetter, les Anglais, et, en règle général, ils ont beau être flegmatiques et extrêmement charmants au contact, il ne faut les énerver trop longtemps. Pressés de règler la question pour se concentrer sur la guerre contre les Allemands, les Anglais ont commis l’erreur de mettre à mort les leaders irlandais du soulèvement de Pâques 1916. Ils ont créé des martyrs et, par là, un sentiment de révolte qui n’était pas majoritaire dans la population avant ces événements. Une guerre d’indépendance suivra et l’indépendance sera acquise en 1921 (sauf pour la partie du nord-ouest qui constituera, jusqu’aujourd’hui, L’Irlande du Nord.)

Aujourd’hui encore, quand je vois les îles britanniques et que je me dis que seule l’Irlande est parvenue à conquérir l’indépendance, alors que des arrangements auraient pu être passés avec la Couronne, comme cela s’est passé avec l’Ecosse et le Pays de Galles, des arrangements du type autonomie, marché commun, Home Rule, je ne peux m’empêcher de ressentir de l’admiration pour les Irlandais. On me dira qu’ils ont profité de la Guerre mondiale. C’est vrai, mais c’est le cas de tous les mouvements de libération.

Quand on pense à cela, non seulement les luttes sanglantes pour l’indépendance depuis la fin du XVIIIe siècle, mais aussi la guerre civile après l’indépendance, dans les années 20, puis le recroquevillement pour tenter de digérer tout cela, les décennies de pauvreté, d’obcurité, de catholicisme autoritaire, on se dit que l’Irlande est un pays qui en a sacrément bavé, juste à côté de nous. Je ne sais pas pour les autres, mais pour moi, c’est cette histoire poignante qui me rend l’Irlande si attachante.

7 commentaires sur “L’indépendance de l’Irlande

  1. Joli billet.J’ai compris, tu es un esprit insulaire en fait, indépendant, plus coté irish et moi plus corse peut etre de par mes affinités (familiales et culturelles) avec le monde méditerannéen.Ca me fait penser a chaque fois que l’on parle de ce sujet que l’on a sorti un recueil d’articles de Deleuze intitulé, « l ile deserte » et que je n’ai toujours pas lu (d’ailleurs , je ne lis plus rien maintenant,pas le temps, a part quelques blogs-dont celui-ci et mon horoscope-ca craint..

    J’aime

  2. Insulaire non, mais insurrectionnel un peu. D’ailleurs, « Insurrection » est le titre du roman de Liam O’Flaherty sur ce meme soulevement de 1916.
    J’aime assez l’idee que les peuples, a certains moment de leu histoire, sombrent dans un tourbillon vertigineux ou ils risquent tout et se redefinissent, comme l’ont fait les Francais lors de la revolution. Si tu lis les historiens/journalistes anglais, ils considerent cette revolution comme une connerie. Ils demontrent qu’a cause d’elle, la France s’est appauvrie au moment meme ou l’Angleterre devenait tres forte economiquement. D’un point de vue pragmatique, il aurait ete preferable de ne pas faire la revolution.

    J’aime

  3. tu as sans doute raison, en attendant je m’aperçois que je connais peu l’irlande (je n’y suis passé que cinq jour dans ma vie à Dublin, mais ca m’est pas resté, trop jeune, par contre l’écosse, je l’ai déja dit ca mavait imprsionné, personne ne parle de l’écosse,on parle toujours de l’angletereeet e l’irlande, c’estpas juste…), son histoire, ce billet m’a vraiment travaillé et je me suis rendu compte que je ne connais cette histoire d’insurection pendant la premiére guerre mondiale qu’a travers une BD de Corto Maltese dont j’ai oublié le titre mais qui m’est revenu ce soir, mais qui relate cette histoire d’insurection irlandaise justement et qui m’avait vraiment marqué a l’époque, ca doit faire un bail que je ne l’ai pas relu, il faudrait que je la retrouve. Sinon, je continue a penser que pour etre sage précaire il faut avoir une certaine indépendance d’esprit,une façon de pensée que j’ai qualifié d’insulaire ici, mais l’on peut utiliser d’autres termes, d’autre images, c’est selon.C’est l’effet « Robinson » qui hante ce blog apparemment en ce moment…

    J’aime

  4. Je parle de ces sujets tous les jours avec le gardien de mon immeuble, qui est Guinéen. L’histoire de la Guinée Conakry montre un exemple clair de ce type de dilemme : Sékou Touré, dans les années 60, est célèbre pour avoirdit « non » à De Gaulle : plutôt la liberté et la pauvreté que la domination. Moralité : 40 ans de pauvreté et d’esclavage sous la dictature du même Sekou Touré, souligne mon gardien, qui lui voue une haine certaine.
    Il y a eu un très bel article là-dessus dans « jeune Afrique ». Qu’est-ce qui a fait basculer ces jeunes intellectuels précaires des années 60, les héros des indépendances, vers la dictature sanginaire et l’horreur absolue ? Il y a Sékou Touré, mais le cas Mugabe, au Zimbabwe est emblèmatique. Un vieux héros panafricain qui sombre dans une tragédie shakespearienne.
    Je réponds à mon gardien que le Gabon n’a certes jamais dit « non », mais qu’il a eu, lui aussi, la pauvreté et la dictature.
    Les peuples croient choisir des trucs, disait Tolstoï, mais ils n’ont que ce que les hasards de l’Histoire leur réserve.

    J’aime

  5. Tolstoï était un sage. Trop sage, peut-être, et lui aussi un peu roublard, non ? (Je dis lui aussi car j’ai déjà dit mainte fois que la sagesse précaire reposait peu ou prou sur la roublardise.) C’est facile de fire qu’on ne choisit rien, mais Koutouzow, dans Guerre et Paix, il prend bien des décisions que je sache, et Napoléon aurait pu battre et conquérir la Russie s’il n’avait pas rencontré un génie incompréhensible en face de lui… Même chez Tolstoï, on le voit, les peuples puisent dans des expériences collectives une régénérescence de leur identité.

    J’aime

  6. Ce que les hasards de l’Histoire leur réservent, pardon.
    Koutouzow, justement, c’est le mec qui choisit rien, si mes souvenirs sont exacts.. Il passe un bon moment à attendre, -ça doit être 200 ou 300 pages dans Guerre et Paix- à ne pas vouloir choisir, à attendre qu’après la grande Boucherie de Borodino, les Français s’enfoncent dans le piège qu’ils se tendent à eux-mêmes.

    Chinoisons Koutouzow : c’est le sage impénétrable dont le non-agir détruit l’hyperactivité du petit N. par la seule sidération qu’il exerce sur lui : elle le déstabilise et l’entraîne dans une sorte de tourbillon où il se perd ou se transforme, comme tu dis.

    J’aime

  7. C’est une bonne image. Je me demande ce qui a sidéré les Anglais dans les rebellions irlandaises. Queneau opte pour une sidération sexuelle, mais pas en direction des Anglais, c’est le hic.

    J’aime

Répondre à Guillaume Annuler la réponse.