Tous les matins, le chant du Muezzin mérite son nom. C’est un vrai chant, rien d’agressif ni de perçant. Une voix grave qui part en de longues vocalises suaves et mélancoliques.
Le seul souvenir d’appels à la prière musulmans qui me revient à la mémoire, ce sont ceux que j’entendais à Tozeur, dans le sud tunisien. J’y étais seul, à l’hôtel, très heureux je ne sais pourquoi. Tout ressemblait à un film. J’étais un vrai héros de film, ma barbe poussait un peu, je devenais un aventurier. Je célébrais mes trente ans dans un voyage qui devait m’acheminer dans le désert. J’avais donné rendez-vous à tous mes amis, le dernier week-end de mars, dans un village encore plus reculé dans le sud. Je savais que personne ne serait là. Que je fêterais mes trente ans tout seul, ou plutôt avec des gens rencontrés sur la route, comme ces deux Américaines francophiles qui ne me lâchaient plus à partir du moment où elles ont compris qu’être en présence d’un homme, un vrai, leur économisait beaucoup de temps et d’énergie.
A Tozeur j’étais encore seul, sans Américaines, mais j’allais les rencontrer le lendemain. Le matin, le chant du Muezzin me paraissait très perçant, peu attirant. Un son de sono pas chère qui ne donnait pas envie de prier.
(Dieu, cela semble si ancien, alors que c’était il y a six ou sept ans. J’ai l’impression que c’était quelqu’un d’autre, et surtout je me revois comme un adolescent alors que je devenais trentenaire. Tant de choses se sont passées depuis. Nos vies sont courtes mais elles sont incroyablement remplies. Un tel fatras nous habite.)
A Istanbul, l’appel est sans aggressivité, endormant, extatique. Il fait sortir du sommeil pour faire entrer dans une autre forme de sommeil. Le fidèle ne doit pas quitter entièrement le sommeil, il n’a pas besoin que l’ensemble de ses facultés soient éveillées. La prière est une activité du corps et de la conscience qui s’accommode de la rêverie, de la somnolence.