Théorie du soulèvement (1) Le sage précaire en manif

Ce diaporama nécessite JavaScript.

La France est en grève, la France manifeste, les Français font la fête pendant que le sage précaire n’a même pas de revendication à crier sur les toits.

Ces temps-ci, je dois avouer que le concept déjà flou de sagesse précaire pâlit de plus en plus. Un sentiment monte en moi, le sentiment que la sagesse précaire est has been, que l’avenir réside dans l’engagement politique, ou au moins dans le bricolage socialisant de solidarités locales et temporaires.

« Sage précaire », je t’en foutrais! c’est un pauvre truc de pauvre type. C’est une pirouette de philosophe sans idée, vaguement lâche devant les injustices du monde. Il y a quelque chose d’un peu ignoble dans la sagesse précaire, quelque chose de l’ordre de la collaboration avec la tyrannie du moment.

Je suis bien aise de voir que mes compatriotes prennent la rue, et j’espère qu’ils ne la lâcheront pas. Qu’y a-t-il d’autre à faire, franchement, dans le marasme économique auquel nous faisons face ? Alors que les autres peuples glissent gentiment dans la déprime, les Français prennent l’air et chantent dans la rue, c’est déjà cela, et je suis de tout coeur, de grand coeur avec eux.

Je sors de la projection d’un film de Chris Marker pour les étudiants en cinéma. Je me suis incrusté. Chats perchés, le film s’intitule (2004), et on y voit les grands mouvements de protestations qui ont fait vivre les rues de Paris dans les années 2000 : soutien aux Américains après le 11 septembre, manifestations anti-Le Pen en 2002, vibrations déçues pour l’équipe de France la même année, contre la guerre en Iraq en 2003, pour ou contre Saddam Hussein, pour ou contre les Kurdes, pour ou contre le voile islamique, etc. On y voit aussi deux manifestations dont Chris Marker dit qu’elles n’ont intéressé personne à l’époque : en faveur du Falung Gong et pour la « libération » du Tibet. La présence de la Chine est devenue incontournable en quelques années.

La répétition des scènes de rues a un effet un peu comique et déréalisant. On se dit que tout cela est un peu vain, puis très vite, on se dit que cela a du sens du point de vue de la chaleur humaine. Ces Français de tous les âges qui manifestent, finalement, c’est beau.

Voir ce film dans un pays où l’on ne fait jamais la grève (enfin, plus depuis 20 ans, mais cela devrait recommencer), voir mes compatriotes gueuler dans la rue pour un oui et pour un non, cela m’a rempli de tendresse pour nous. Nous sommes des emmerdeurs, c’est entendu, mais qui mieux que nous sait habiter les villes, sait faire vivre les rues ?

Quand nous serons tous précaires, nous ne pourrons plus le faire, car pour manifester, il faut déjà un brin d’aisance, alors profitez-en tant que c’est encore possible, et faites reculer le gouvernement, cela ne lui fera pas de mal.

9 commentaires sur “Théorie du soulèvement (1) Le sage précaire en manif

  1. com/com
    Un sentiment monte en moi, le sentiment que la sagesse précaire est has been, que l’avenir réside dans l’engagement politique, ou au moins dans le bricolage socialisant de solidarités locales et temporaires. (Guillaume 19 mars 2009)
    « Parce qu’on a mis dans la tête des gens que la société relevait de la pensée abstraite alors qu’elle est faite d’habitudes, d’usages, et qu’en broyant ceux-ci sous les meules de la raison, on pulvérise les genres de vie fondés sur une longue tradition, on réduit les individus à l’état d’atomes interchangeables et anonymes. La liberté véritable ne peut avoir qu’un contenu concret, elle est faite d’équilibres entre des petites appartenances, des menues solidarités »
    (Claude Levi-Strauss)
    Papier trouvé/choisi à la Librairie-café Le Sphinx, Place Notre Dame à Grenoble.

    J’aime

  2. Hier, quelqu’un (un abonné de neuf Telecom quelque part en France) a regardé la page M. Chat sur Wikipedia, et a mis un commentaire « cet article n’est pas pertinent dans une encyclopédie ». Ca doit être une plaisanterie.

    A part ça, une jolie contradiction dans le Chat. Le petit signe (c) qui signifie « c’est à moi, ne vous en servez pas sans me payer » peint à côté d’un dessin sur un mur de la rue. Le peintre (on dit aujourd’hui « créateur » n’est plus un précaire, sage ou non, il se pose en capitaliste de ses oeuvres. Et pourtant sa démarche est celle de l’artiste des temps anciens, qui se créait une réputation et que les grands de ce monde appelaient auprès d’eux pour qu’il rehausse leur splendeur (les grands d’aujourd’hui sont des maires et des présidents, mais rien n’a changé).

    Hors sujet: Merci d’avoir écrit Falung. Sans le G, ça fait réagir les machines à surveiller de l’Empereur Rouge, et je n’aurais pas pu lire cette page.

    J’aime

  3. Je vous découvre par hasard, et je vous trouve brillant. Quand aux manifs, outre le plaisir d’y voir vieillir des connaissances amies et de finir dans un petit couscous sympa, elles sont l’occasion de crier toutes nos peurs. A plusieurs cela va toujours mieux. J’adore, mais j’ai commencé à travailler à 19 ans à Paris et nous étions en 1968. Ceci explique cela ? Connaissez vous le « fond de l’air est rouge » de Marker ?

    J’aime

  4. Merci Louis. Non, je n’ai pas encore vu « Le fond de l’air est rouge », mais je travaille un peu sur « Sans soleil », et surtout, j’aimerais mettre la main sur les livres de la collection « Planète », ou « Petite planète » que Marker faisait avant de faire des films.

    J’aime

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s