Entre les deux Amériques

 amerique-latine.1241945916.gif

Mes amis argentins prirent un chili con carne. Je trouvais ce choix risqué, dans un pub irlandais d’une petite ville assoupie du comté Antrim, mais je ne dis rien.

Bêtement, comme toujours, je me suis demandé ce que cela représentait pour eux, la bouffe mexicaine. Est-ce exotique ? Et si oui, en quoi ? En tant qu’Argentins, voit-on le Mexique comme un pays d’Amérique latine, dont la cuisine est assez proche, ou est-ce parfaitement étranger ? Par comparaison, si je me trouvais sur un autre continent, je considèrerais les cuisines polonaise, turque ou libanaise, comme proches de mes habitudes culinaires (d’ailleurs à mon arrivée en Chine, en 2004, je mangeais souvent des spécialités de la minorité turcophone, les Ouïghours, qui rappelaient l’Europe par bien des aspects.)

Mes amis me répondent qu’il n’existe aucune relation entre l’Argentine et le Mexique. Non seulement les deux pays sont très éloignés l’un de l’autre, mais ils ne sont pas sur le même continent et n’appartiennent pas aux mêmes organisations internationales. Très vite j’oublie la nourriture pour mieux comprendre comment ils perçoivent leur territoire. Je sens quelque chose d’étrange dans ce qu’ils me disent, mais je ne saisis pas encore quoi.

Je suis passionné par la manière qu’on a de se représenter nos espaces. Doté moi-même d’un très mauvais sens de l’orientation, j’ai souvent besoin de cartes et de plans pour me repérer, et encore, je fais de nombreuses erreurs. Je suis donc un grand lecteur de cartes, et je suis toujours émerveillé par le grand flou dans lequel les gens vivent, concernant la géographie. On vit très bien dans l’aberration, c’est ce qui me fascine. Une amie chinoise pensait que l’Europe et l’Amérique étaient un seul continent, par exemple, un grand territoire incluant aussi l’Australie, et qui devait s’appeler l' »Occident ». Plus tard, j’avais éprouvé la plus grande stupéfaction devant la perception des Chinois de leur propre territoire : ils voyaient leur pays comme plus petit et beaucoup moins désertique qu’il ne l’était en fait.

Mais là, je tombais des nues en écoutant mes Argentins. Ils me disaient qu’une mer séparait l’Amérique du nord et l’Amérique du sud. Ce n’est pas tout à fait faux, mais il semblait exclure l’Amérique centrale qui fait le joint entre les deux sous-continents. Et il riait de me voir si ignorant de ces choses. « C’est drôle que tu ne saches pas cela », disait la fille, dans un sourire très étonnée. Elle me croyait cultivé et well travelled, comme on dit ici. « Tu ne savais pas que Cuba était une île ? » Si, dis-je, mais j’ai toujours pensé que si on allait vers l’ouest depuis Cuba, on tombait sur de la terre, la bande de terre qui relie les deux Amériques. « Non non, dirent-ils. On te montrera sur une carte. »

Ils ont fini par insinuer le doute en moi. Une mer entre les deux Amériques ? Mais alors, pourquoi avoir creusé le canal de Panama ? Un doute est apparu aussi dans leur esprit quand nous avons abordé le canal de Panama. Nous avions tous appris à l’école qu’il avait été creusé pour que les bateaux puissent passer de l’Atlantique au Pacifique sans devoir contourner le continent par le sud. Mais alors, à quoi cela avait-il servi si une mer prenait place entre les deux Amériques ?

Nous avons laissé là le sujet et avons terminé le repas dans un sentiment de méfiance réciproque. Ils trouvèrent le chili assez infect en définitive, preuve s’il en est qu’il ne faut pas commander de plats exotiques dans les pubs irlandais.

Un commentaire sur “Entre les deux Amériques

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s