Une promenade avec Jean Rolin

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Le rendez-vous était donné place Stalingrad, entre le bassin de la Villette et la rotonde de Ledoux. Sur le répondeur de Huang Bei, Jean Rolin avait répété bien distinctement : « Le-doux, la rotonde de Ledoux », comme si le nom de l’architecte était une meilleure garantie pour trouver l’endroit que, disons, une station de métro ou le nom d’un bistrot. Huang Bei était en retard, alors nous l’avons rejointe plus loin sur le chemin, à la station Corentin-Cariou, en longeant le canal de l’Ourcq.

Je profitais de la situation, avouons-le tout de suite. Huang Bei avait fait visiter Shanghai à l’écrivain, alors il lui avait promis qu’en échange, il lui ferait découvrir des coins de Paris qu’elle ne connaissait pas. Il choisit de l’emmener vers le boulevard Ney, le périph’ extérieur, les outskirts de Pantin, les friches industrielles du 19ème arrondissement, que sais-je ? tout le théâtre des opérations qui ont donné naissance à son fabuleux livre de 2002, La Clôture. Je n’ai jamais fait mystère qu’à mes yeux, La Clôture était le grand chef d’oeuvre de Jean Rolin.

Dans sa grande gentillesse, Huang Bei a demandé à Rolin s’il était possible d’attendre ma venue à Paris pour effectuer cette promenade. Il n’y a pas vu d’inconvénient, et c’est ainsi que j’ai eu le plaisir de flâner avec l’écrivain que je considère comme le meilleur de langue française. Comme, en outre, son écriture s’inscrit dans des territoires, des itinéraires, des interactions entre les lieux et les hommes, se promener avec Jean Rolin est beaucoup plus significatif que de dîner avec lui, l’écouter donner une conférence ou le croiser lors d’un vernissage. Marcher avec lui, après l’avoir lu, c’est appréhender son oeuvre par les pieds, par un rythme corporel spécifique.

Les paysages urbains ont beaucoup changé depuis 2002, date de publication de La Clôture. La Tour Daewoo n’est plus qu’une tour toute nue, des terrains vagues sont devenus des lieux habitables, et certaines friches sont devenus des chantiers de construction. Surtout, la rue de la Clôture est méconnaissable : il y a bien encore quelques camionettes de prostituées, mais plus personne n’habite dans les piles du pont. Disparus les hurluberlus plus ou moins mythos, plus ou moins clodos, qui s’organisaient une vie mi-légendaire, mi-précaire. Même et surtout Gérard Cerbère n’est plus là, lui qui règnait sur sa pile comme « Mao dans sa grotte de Yenan, en moins grandiose, certes – on n’imagine pas André Malraux s’entretenir avec Gérard Cerbère -, mais en plus rigolo. » (La Clôture, p.66).

Nous avons suivi plusieurs types de chaussées : rues, boulevards (donc trottoirs), mais aussi quais, chemin de halage, voie ferrée désaffectée, et chemins de terre dans les lieux les moins autorisés. Nous sommes passés sous et sur des ponts et avons terminé, comme par enchantement, au parc de la Villette. « Comme par enchantement » car avant de voir apparaître le parc, nous tentions de nous désembourber d’un terrain vague en pente raide ; puis nous tombâmes, presque par hasard, sur un quai où des gens – des Allemands, peut-être – marchaient avec un guide touristique à la main. Nous avions chuté en pleine civilisation touristique, alors que nous évoluions dans un no man’s land désaffilié.

Dans mon souvenir, le grand intérêt de cette balade fut de nous avoir fait entrer dans des mondes très dissemblables, très éloignés les uns des autres, en très peu de temps. Des abords bobos du bassin de la Villette, à l’ambiance populaire de Pantin, à la vie marinière des péniches et des docks, à l’environnement « sans papiers » des confins de Paris, jusqu’à l’atmosphère familiale du parc de la Villette en passant par les squatts tagués et les petits coins cachés où les SDF se reposent et cuvent. Paris se rénovent, c’est entendu, mais il y a encore bien des zones inquiétantes, où vivent des individus dont on se demande comment ils perçoivent la vie et la marche des nations.

Huang Bei posait, comme elle en a l’habitude, des questions nombreuses, pertinentes et auxquelles il était difficile de répondre. Elle prit aussi des photos, et fit preuve de son éternel enthousiasme pour Paris. Nous retrouvâmes Ludovic près de la cité de la musique et déjeunâmes d’un poisson.

12 commentaires sur “Une promenade avec Jean Rolin

  1. Quelle chance! J’ai adoré La Clôture, qui parle d’un quartier où j’habite, non loin du canal de l’Ourcq. De quoi avez-vous parlé, si ce n’est pas trop indiscret?

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  2. Non, ce n’est pas indiscret, Sylvia. On a parlé de Paris, des Chinois, des choses que l’on voyait et des choses qui n’étaient plus. De Napoléon, de l’histoire, des gender studies. De Nicolas Rolin, le mec des Hospices de Beaune. Du peu d’influence qu’ont les critiques élogieuses dans les grands journaux sur les ventes de livres. D’un tel et d’une telle.
    Enfin c’était surtout une promenade.

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  3. Jean Rolin et Jacques Reda (Les Ruines de Paris) sont les deux ecrivains qui valent le plus la peine qu’on se promene avec eux a Paris.
    Quel dommage de ne plus pouvoir faire une promenade aux cotes de Leon-Paul Fargues (Le Pieton de Paris) et d’Aragon (Le Paysan de Paris).

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  4. Oui Fred, et Walter Benjamin, tu imagines ? Et Baudelaire, alors ? Oui il y a bien des gens qu’il serait formidable d’accompagner, mais je pense que pour les écrivains, il vaut quand même mieux les lire, à choisir.

    Mais oui Nénette, le mec des hospices est bien le chancelier Rolin. Jean disait que dans sa famille, quelqu’un prétendait qu’ils étaient liés à lui en droite ligne, ce qui lui paraît, à lui Jean, tout à fait farfelu.

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  5. découvre avec bonheur, peut-être sans trop de surprise… que vous chérissez toi comme-moi Rolin & Bouvier, & qu’avec Dhôtel, ils forment même votre « trilogie de l’errance »… ainsi je suis presque sûr que vous appréciez aussi Henri Calet, Alexandre Vialatte ou plus près de nous Jean-Claude Pirotte…
    je vais essayer de baguenauder plus souvent par chez vous… communauté d’âmes disent certains, affinités électives d’autres, j’alme bien fraternité de goûts…
    à bientôt
    j

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  6. Oui, j’aime bien ces auteurs-là mais je ne les lis plus vraiment. Au fond, si je suis honnête avec moi-même, ils ne m’ont pas touché autant que d’autres. D’ailleurs, Rolin et Dhôtel, je ne suis pas sûr que je dirais d’eux qu’ils font une littérature « de l’errance ». Les déplacements à l’oeuvre dans leurs livres me paraissent obéir à je ne sais quelle méthode, quels calculs…

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