Danny Laferrière à Montréal

Bizarrement quand je pense à la vie littéraire de Monréal, c’est la diaspora haïtienne qui me vient à l’esprit. Laferrière, né dans les années 50, a dû fuir Haïti en 1976 et s’est installé à Montréal. Il raconte dans ses livres comment, dix années durant, il a vécu de peu, à lire et à faire des travaux sous-payés. Dix ans après son exil, il publie son premier roman qui continue d’être lu et étudié : Comment faire l’amour avec un nègre sans se fatiguer. L’histoire d’un Noir qui se tape des Blanches, d’un ex-colonisé affamé de la chair des maîtres, renouvelant la question raciale sous l’angle de la vie de bohême, du sexe interracial et de l’humour comme acte politique.

J’ai vu Laferrière pour la première fois à Dublin, au festival littéraire franco-irlandais; il était très drôle, et il draguait gentiment les minettes de l’alliance française. Ma copine en faisait partie, mais Laferrière en draguait une autre, ce qui avait vexé ma copine. Cela ne lui suffisait pas que moi, je la trouve plus belle que toutes les filles de Dublin.

Or, comme ma conférence de ce week end porte sur le récit de voyage dans la « littérature migrante » (ou l’absence de récit de voyage, au profit de la fiction), je me suis penché sur la dernière partie de l’oeuvre de Laferrière. En 2001, il publie un très bel essai intitulé Je suis fatigué. L’écrivain prétend vouloir arrêter l’écriture et présente cet essai comme un dernier livre, un livre d’adieu, qui sera d’ailleurs distribué gratuitement dans les années 2000. Il y fait le point sur sa situation d’écrivain, et se déclare immensément las d’être catégorisé comme « écrivain noir », « écrivain ethnique », « antillais », « haïtien », « francophone ». Avec la liberté que lui permet le genre de l’essai, il aborde sa famille, ses femmes, ses misères, ses lectures et… ses voyages.

Le voyage est omniprésent dans ce livre charnière. Ce qui m’intéresse au plus haut point, c’est que Laferrière désigne comme « voyage » les migrations, les exils, les transits, autant que les déplacements touristiques. C’est souvent l’objection que l’on me fait : on me dit que les immigrants n’écrivent pas de récits de voyage « parce qu’ils ne perçoivent pas leur migration comme un voyage ». L’historien de la culture James Clifford allait dans ce sens, dans les années 80. Il reprochait à ceux qui voyaient dans l’exil une forme de voyage leur indifférence à la dimension dramatique et politique de leur déplacement. Il y avait là un risque de romanticiser des actions de désespoir et de violence, en donnant à ces tragédies le beau mot de voyage.

Danny Laferrière n’hésite pas à prendre ce risque. Tout est voyage chez lui. Même quand sa tante part à Miami et envoie de là-bas l’argent nécessaire pour que Danny aille à l’école, il en parle comme l’un des voyages importants de sa vie. Il le dit de multiples façons, il n’écrit que grâce à ces voyages. Sa tante, il fallait bien la remercier des sacrifices qu’elle faisait pour son neveu. la mère de Danny l’obligeait à écrire à chaque mandat reçu une lettre de remerciement originale. Plus tard, il verra toutes ces lettres conservées et reliées par sa tante. C’était sa première oeuvre écrite.

Cet essai sur la fatigue est à mon avis charnière car, du point de vue générique, c’est à partir de lui qu’il peut prendre ses distance avec une prose fictionnelle tournée vers l’identité personnelle et la politique sexuelle et se tourner vers les territoires, les villes, les gens. Déjà Je suis fatigué, on en sort avec un puissant sentiment géographique. Mais surtout, d’autres livres suivront qui se rapprochent vraiment du récit de voyage : L’énigme du retour (2009) et Tout bouge autour de moi qui raconte le tremblement de terre qu’a connu Haïti en janvier 2010.

Un livre qui restera dans les annales de la critique sur la littérature des voyages. Voyez un peu : un séisme en plein festival « Etonnant voyageur », en présence de Michel Le Bris, le très controversé fondateur de ces concepts foireux que sont la « littérature voyageuse » et la « littérature monde ». Tout bouge autour de moi est de ce point de vue un livre aux multiples couches de significations. Incidemment, il montre combien le récit de voyage est un genre plein de promesse pour les écrivains exilés, réfugiés, expatriés et immigrés.

4 commentaires sur “Danny Laferrière à Montréal

  1. Au Canada, il y a une présence importante de la communauté haïtienne. C’est intéressant de voir combien les Haïtiens sont bien implantés là-bas, mieux qu’à Paris, me semble-t-il. pourtant, tout oppose ces deux sortes de francophones que sont les Quebecois et les Haïtiens, et ils ont l’air de bien s’entendre … dans notre dos à nous Français, en quelque sorte. Normalement, le dialogue francophone devrait quand même passer par la France, on est quand même le centre du monde et leur seul point commun, à ces sauvages, c’est un scandale.

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  2. Les Québécois et les Haïtiens ont une grande chose en commun : ils sont américains. D’ailleurs Laferrière explique qu’il était content de ne pas être en Europe où les écrivains africains sont pris dans d’interminables débats sur le colonialisme.
    Dans les deux cas, de plus, la langue française est perçue comme un lieu de combat. En Haïti, on dit qu’il faut se débarrasser de la langue du maître. Au Québec, le français est victime et menacé par le maître anglo-saxon. C’est sympa.

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