L’humour n’est pas réservé aux Corréziens. Mon premier patron , bien qu’Alsacien , en était pouvu lui aussi . Il pratiquait en plus une certaine forme d’auto-dérision qui déteignait sur moi et me permettait de ne pas m’apitoyer sur mon sort . Monsieur Wuschlegger ( j’ai retrouvé son nom ) était féru de littérature policière et d’aventures . J’avais accés à sa bibliothéque , et dévorais littéralement les OSS 117 dont j’ai déja parlé mais aussi les séries noires , en particulier les oeuvres de Peter Cheney dont les héros me faisaient rêver.
Callaghan et Lemmy Caution menaient leur vie d’agent secret ou de détective sans se prendre au sérieux. Ils buvaient et fumaient beaucoup, toutes les femmes leur tombaient dans les bras ! Ca me changeait du latin et du grec, de l’étude des évangiles, de la rhétorique et de la théologie ! Nous discutions de tout cela avec mon hôte qui n’avait pas la foi chevillée au corps . Nos échanges étaient trés enrichissants , pour moi tout au moins , et m’ont permis d’acquérir un certain libre arbitre et la certitude que la fameuse citation de st Cyprien « hors de l’église , pas de salut », c’était pour le moins de l’embrigadement !
Je me suis un peu éloigné du sujet , mais j’y reviens .
Un jour , je tombe sur un livre intitulé : Jusqu’au bout avec nos Messerschmidt d’ un certain Adolph ( j ‘ai oublié son nom ) . Comme vous vous en doutez, il s’agit de l’histoire vraie d’un pilote de la Luftwaffe pendant la seconde guerre mondiale . Je ne sais plus très bien ce que raconte le livre en vérité , mais j’ai retenu qu’il parle de ses combats sans haine et même avec respect pour les ennemis abattus . Il compte plus de 100 victoires et fume avec décontraction son cigare en plein vol ! Il devient un héros bien sûr , et comme tous les héros , il gagne toujours . A cette époque , ce genre de personnage me fascine. A lui , aussi je m’identifie…
C’est décidé : mon prochain métier sera pilote de chasse . Je serai l’ Adolf de l’armée de l’air française et vengerai accesoirement nos anciens soldats qui ont eu quelques déboires en 39-40 !
Eté 1958 : Le service militaire est de 27 mois , « événements » en Algérie obligent. A l’époque , ma conscience politique est plus qu’embryonnaire . Je fais part au capitaine du bureau de recrutement qui me reçoit , de mes intentions . Il me pose quelques questions et me dit qu’a priori , je peux prétendre être admis au concours d’entrée à l’école de pilotage. Je biche comme un pou !
« Subséquemment , me dit-il , et a contrario, vous devez prendre un engagement de 5 ans ou de 3 ans minimum , condition sine qua non pour la réalisation de votre projet ! Un peu inquiet tout de même , j’opte pour 3 ans… Je ne suis pas particulièrement attiré par l’armée , mais il faut bien faire quelque chose , et puis pilote , comme me dit mon capitaine , ç’est pas comme bidasse ou trouffion , vous faites partie de l’élite , vous n’avez pas de contraintes , genre corvée de chiottes ! et en plus vous touchez une prime d’engagement.
Voilà un recruteur qui sait recruter ! Signez là , au bas de la page. Je signe !
Automne 1958 : Me voici donc militaire de carrière !
Aprés un certain temps d’enseignement militaire de base , (qu’on appelait les « classes »), je suis convoqué pour passer les tests préliminaires à la présentation au concours . En dehors des aptitudes physiques pour lesquelles je suis au top , on me demande de répondre à des questions ayant rapport aux mathématiques, la trigonométrie , la géometrie , toutes disciplines considérées par les bon pères commes des matières mineures… Comment répondre à des questions qu’on ne comprend pas ? Je suis recalé d’office et on me conseille de me tourner vers une autre spécialité. Je ne serai donc pas pilote de chasse et curieusement , je ne suis pas déçu. J’avais rêvé, j’avais visé trop haut , c’est le cas de le dire, et je suis redescendu sur terre . Et puis comme disait mon père, ce héros : « Il ne faut pas péter plus haut que son cul. »
Malgré tout , je reste militaire de carriére puisqu’engagé volontaire. Je vais donc rester 3 ans dans ma nouvelle famille, à attendre que le temps passe . De nouveaux tests démontrérent formellement que mes aptitudes exceptionnelles devaient, pour le bien de tous, être exploitées dans l’intendance !!! Je devins donc fourrier (magasinier), ce qui n’est pas rien.
Ce métier dans le métier , sans me passionner , m’a bien amusé et m’a permis de gagner quelques sous. Mon chef , adjudant et poivrot notoire , s’était constitué un réseau de civils dans les bars proches de la caserne , auxquels il cédait à bas prix des treillis usagés ou des cigarettes non réclamées par les soldats . Il m’a mis dans la combine , et je peux dire que nous formions une sacrée équipe , l’adjudant et moi ! Pas trés moral tout cela , me direz vous. D’accord , mais l’armée, est-ce moral ? Et mettre à la poubelle et brûler des vêtements en état correct et des cigarettes non fumées , est-ce normal ? et moral ?
J’ai appris longtemps après que, la hiérarchie ayant eu vent de ce petit trafic , mon adjudant s’est retrouvé aux arrêts de rigueur ,et qu’on m’a recherché dans le civil , sans doute pour me faire subir le même sort !! Heureusement pour moi , j’étais au fin fond de l’Afrique !
Cette histoire de fourrier me fait irrésistiblement penser à Obélix choisissant une tenue dans « Astérix légionnaire »…
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Je serai curieux de voir le récit de ses aventures en Cote d’Ivoire…
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