Projet 2012 : vivre dans la montagne

L’année que je suis en train de vivre est une année de transition, car après trois ans de luxe doctoral, je termine une thèse sans avoir de financement pour cela. J’enseigne bien quelques heures pour survivre, mais, toute chose égale par ailleurs, je vis la fin de mon doctorat en équilibre au-dessus du vide économique. Il faut donc terminer cette thèse au plus vite, et la publier.

La suite logique d’un diplôme de doctorat serait d’aller travailler dans une université. Je ne manquerai pas de rechercher un établissement à ma mesure, sur le continent américain, lorsque le temps sera venu. Mais pour l’heure j’ai un autre projet. Je compte faire une véritable pause. Me reposer quelque part et arrêter de travailler. Non pas cesser d’écrire, mais échapper aux codes de la vie professionnelle.

Je veux oublier les contraintes du monde administratif pendant quelque temps. Oublier le travail et ses réquisits indiscutables. Prendre du recul avec les compromissions et les ambiguïtés du monde universitaire.

Mon frère aîné possède un bout de terre dans les Cévennes et il accepte que je m’y installe pour une année, à compter du dépot de ma thèse. C’est un vieux projet dont je caresse l’idée depuis des lustres, depuis que j’ai découvert ce terrain, et ce qu’en a fait mon frère. J’en avais déjà évoqué l’idée dans un billet de 2007, après l’avoir fait dans un billet de 2006. En 2012, je profite d’une faille qui s’ouvre dans ma vie pour réaliser ce rêve.

Si tout se passe comme prévu, je soumettrai ma thèse début mars. Puis j’irai à Paris pour donner une conférence à la Sorbonne sur le récit de voyage contemporain mi-mars. Et enfin, à la fin du mois, je serai tout à fait libre d’aller fêter mon quarantième anniversaire, le 29 mars  2012, sur mon nouveau lieu de vie, dans les Cévennes.

Ce sera l’occasion de reprendre contact avec les pierres, car c’est un terrain constitué de terrasses, érigées Dieu sait quand, par les paysans cévenols, avec la pierre sèche des montagnes.

Reprendre contact avec l’eau, car il faut la capter, la stocker, la boire et surtout s’en protéger. Les pluies y sont diluviennes et les glissements de terrain n’y sont pas rares.

Reprendre contact avec la terre, car c’est elle qui me nourrira. Mon frère a fait un superbe jardin, depuis dix ans, et je compte en faire un moi aussi, sur une des terrasses du haut. La terre, dans ce pays, est presque aussi précieuse que l’eau.

Reprendre contact avec les arbres, car ils sont l’âme du terrain : les châtaigners sont un peu l’image des Cévennes, apportés par les dominicains au Moyen-âge. Il me faudra couper du bois, élaguer, jouer avec les arbres du coin, faire d’autres cabanes, d’autres abris pour d’autres habitants, mes amis à plumes et à poils. Les arbres fruitiers seront aussi un motif de joie et de souci.

Reprendre contact avec le ciel et avec l’air de la montagne. Le terrain se termine, en haut, par un sentier antique qui longe la crête. C’est un chemin que j’emprunte, le matin, pour profiter des premiers rayons de soleil de la journée.

Terre, ciel, feu, pierre, eau, soleil, les éléments du cosmos seront l’alpha et l’oméga de ma nouvelle vie, pendant un an. Cette vita nuova sera une manière d’accéder à la dimension élémentaire de la sagesse précaire.

Avant de retourner dans la bagarre et d’aller enseigner je ne sais quoi dans le Nouveau Monde.

17 commentaires sur “Projet 2012 : vivre dans la montagne

  1. Joli petit texte qui laisse entendre au lecteur (à moi en tout cas), un « pourquoi pas moi », même lointain. Je suis d’ailleurs en train de me perdre dans des révisions monstrueuses sur les mouvements érémitiques du 13e siècle (qui étaient assez nombreux dans ton coin) dont la recherche du salut laissait peu de place même à la culture des tomates. Tu reprends là un lourd flambeau, même si à priori tu ne tourneras pas flagellant (quoi que je ne connaisse pas tes goûts en la matière)

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    1. Ah ah ah, oui Pierre, il faudrait que j’essaie la flagellation avec une sauvageonne, en pleine cambrousse, à l’aide de branches de châtaignier.
      En attendant, je suis très intéressé par tes recherches sur les emrites du Moyen-âge, même si moi, pour être honnête, je ne me projette pas comme ermite, pas une seconde.

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  2. « Reprendre contact avec les arbres, car ils sont l’âme du terrain  » Je veux bien te montrer les photos que j’ai prises pendant ces deux ans sur les arbres, il y aura mon exposition personnelle à Paris. je serai toujours à Paris au mars, il y aura mes calligraphies exposées le 23 mars à Vitry, j’aimerais que tu vienne voir!

    Jiaxing (Frank)

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    1. Volontiers Jiaxing, j’aimerais beaucoup voir ton travail « en vrai ». J’ai beaucoup aimé ce que tu as montré sur internet. Tu devrais venir sur le terrain quand j’y serai, cela va t’inspirer pour des images…
      A propos, si tu es à Paris, demain vendredi 6 janvier, à l’ENS, rue d’Ulm, Huang Bei (université de Fudan) donne une conférence sur « L’encre de Chine dans la littérature française (Claudel et Michaux). 9h30, salle Cavaillès. Entrée gratuite. J’y serai.

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  3. Après deux posts en très gros caractères je me demandais où j’en étais.
    Sage précaire, lorsque tu auras fait le tour de toi-même des milles et des cents et que tu te seras rendu compte que tu ne seras jamais autre que ce que tu es maintenent (moi j’ai rien contre)tu viendras chez-moi et tu seras reçu comme un prince.Tu te rendras compte que la vie est très longue et que les possibilitées de la réussir sont infinies.Il y aura toujours une place pour toi et un futur toi-même qui ne sera plus tout bonnement un sage précaire mais un semblable autre être événementiel .

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    1. Merci Mildred, je garde cette invitation précieusement.
      Par contre, je ne vais pas dans la montagne pour faire le tour de moi-même, et certainement pas pour me (re)connaître. Je me connais suffisamment et j’ai assez fait le tour de moi. Ce voyage immobile, ce sera plutôt une rencontre avec les Cévenols du temps jadis, et les Cévenols des temps présents.

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    1. Il en sortira assurément des écrits. D’abord le journal de cette aventure, que je compte bien tenir et publier. Mais aussi un récit de voyage sur Dublin que je dois faire depuis longtemps, et un texte sur la Chine aussi.
      Sans parler de la suite des travaux universitaires commencés avant le début de ce temps de repos.

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      1. Ah oui, moi j’aurais peur d’avoir peur, tout seul, dans les Cévennes, avec tous ces loups et la bête du Gévaudan et le vent qui hurle et une porte qui claque…

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    1. Non, Nénette, pas d’électricité. A la rigueur, un groupe électrogène, ou des panneaux solaires, pour en générer un peu, mais sinon, de longues nuits de repos et de sommeil.

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  4. Walden, or the life in the woods. Et dans 50 ans on publiera l’équivalent de ça http://fr.wikipedia.org/wiki/Fichier:Jose_bove_walden_pond-1.jpg (suivre les liens « Les 2 pages suivantes utilisent ce fichier » pour voir ce que c’est d’être un objet de culte) , ou bien le sage précaire saisi par la solitude n’arrivera plus jamais à écrire et deviendra manager de MacDo pour essayer de guérir.
    Personnellement je n’oserais jamais faire un truc pareil volontairement. Les ermites d’autrefois avaient un but plus haut qu’eux. Y aura-t-il Internet et un billet de blog régulier ?

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    1. Très spirituel, Ebolavir, comme d’habitude. Non, je ne serai pas aussi ermite que cela. Même Thoreau, mon grand oncle (nous portons le même nom et venons tous deux de Normandie) ne cherchait pas à fuir la bonne compagnie, et ne dédaignait pas profiter de la vie urbaine non loin de sa cabane.
      Par contre, je ne suis pas sûr qu’il y aura des billets de blog. Nous verrons. Quand j’écris un manuscrit destiné à la publication, j’évite de le mettre en blog.
      J’essaie de trouver des organes de presse qui pourraient être intéressés par mes chroniques cévenoles.

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