Les archives de Nicolas Bouvier

À la bibliothèque de Genève, j’ai manipulé, des jours durant, des carnets de notes de Nicolas Bouvier. Une fois que sa veuve, Eliane, a donné son accord pour que je pose mes sales doigts sur ces reliques, j’ai demandé à la dame en charge des archives de consulter ce qui avait trait aux voyages en Chine de Bouvier, et plus généralement à ce qui était en lien avec l’orientalisme.

J’avais aussi annoncé que je m’intéressais au Rhône, et que tout ce qui pouvait se rapporter aux rivières, aux fleuves, aux montagnes et aux Alpes était bienvenu. En particulier, un texte intitulé « Les Leçons d’une rivière », où l’écrivain était censé avoir évoqué frontalement la question de sa dépression nerveuse. Le fleuve, le Rhône, la montagne et la dépression de l’écrivain voyageur, tout cela me donnait l’eau à la bouche.

Je suis très excité à l’idée de découvrir ces carnets. J’écris dans le mien, à la table d’un café genevois, en pensant à ceux de Bouvier. J’imagine qu’ils sont bien tenus, lisibles, ordonnés, parce que Bouvier est un bon bourgeois, bien élevé, que l’on écrivait à la main tous les jours à son époque. Parce qu’il est suisse, genevois, à l’impeccable éducation et à la prose impeccable. J’imagine des carnets très ordonnés aussi parce que la bibliothécaire qui s’occupe des archives a référencé les carnets de manière extrêmement méthodique.

Je rencontre très vite cette bibliothécaire : très jolie, elle arbore un sourire enjôleur sous l’efficacité helvétique qui m’avait impressionné lors de notre échange de courriels. Elle a préparé les cahiers qu’elle pensait utiles, et joue de sa chevelure courte en souriant beaucoup. Elle fait preuve de douceur et de rigueur, ce qui ne fait que confirmer mon penchant pour les femmes qui travaillent dans ce milieu.

Je dois prendre les carnets un par un, et les feuilleter à ma place, dans une salle d’étude dépeuplée. Je n’ai pas le droit de photographier les documents d’archive, mais je suppose qu’il n’est pas interdit de prendre un cliché de la salle Senebier…

Les cahiers de Bouvier sont faits de pages blanches, non striées. Les mots suivent des lignes plus libres, au gré de l’humeur de l’auteur. Celui-ci se révèle d’ailleurs prodigieusement égal, régulier, harmonieux dans sa tenue des lignes d’écriture.

Je m’amuse à relever les fautes d’orthographe. Non par méchanceté, mais parce que cela me rassure. Même dans les tapuscrits, on note des « appercevoir », « dammassé », « mélancholique », « socièté », « avillissant », etc. C’est un écrivain tellement parfait dans sa prose, tellement minutieux dans la confection de ses phrases, au point qu’elles possèdent quelque chose d’éblouissant, tellement précieux, que c’est pour moi un soulagement de le savoir imparfait, de le voir commettre des fautes de français presque sous mes yeux, en direct.

5 commentaires sur “Les archives de Nicolas Bouvier

  1. Citation de Bouvier :

    « Silence de miel des bibliothèques
    place du couvent de saint-Gall
    la neige fraîche resplendit
    éclaire le cabinet où nous travaillons

    sur la pointe des pieds
    un ecclésiastique aux joues couperosées
    m’apporte un manuscrit craquat
    fermoirs brunis… »

    (Psaume de l’iconographe, extrait.)

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  2. Ah ah, je ne suis pas la seule à aimer les fautes d’orthographe. L’autre jour, j’ai lu dans un texte relatant les événements de 1789 à Lyon le mot cizeaux, tellement plus beau et poétique que l’autre. Orthographe, science des (doux) ânes…

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  3. Lire aussi la correspondance de Vernet avec sa famille, quotidienne durant le voyage 53-54. Merveilleux ! Nécessaire pour mieux comprendre ces deux ans, autrement que par le seul (et magnifique) Usage du monde.

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