Le BRGM (Bureau de la Recherche Géologique et Minière) et l’ORSTOM (Office de la Recherche Scientifique et Technique Outre-Mer) étaient à peu près les seules sociétés françaises dans le domaine de la recherche appliquée, présentes en Afrique et ceci bien avant l’Indépendance. Si les concurrents étrangers étaient rares, c’est que la France veillait jalousement sur son pré carré…
A part moi pour qui, comme je l’ai raconté, il y avait eu manifestement une erreur de casting, les employés de l’Orstom étaient triés sur le volet et sélectionnés selon certains critères. On attendait d’eux plus que des diplômes, on voulait qu’ils aient des qualités d’hommes de terrain ayant si possible une expérience en milieux dits hostiles, des connaissances mécaniques, l’esprit d’initiative et tout et tout et tout! Car, comme vous l’avez compris, l’essentiel du travail se passait en brousse, dans des endroits peu habités, en particulier dans le sahel et dans le désert.
D’où la nécessité d’être équipé et motivé pour vivre en autonomie le temps de la mission : véhicule tout terrain avec réserve de carburant, d’eau et de nourriture, fusil de service, outillage divers, etc.
Manquait seulement une radio pour communiquer. J’appris à la fin de mon séjour que certains en étaient équipés. En général, nous étions accompagnés d’un ou deux Africains (un homme à tout faire et en ce qui me concerne , un aide hydrologue.)
Notre réputation , un peu surfaite, auprès des Blancs était celle de baroudeurs aventuriers dont on ne savait pas exactement ce qu’ils faisaient, qu’on voyait prendre la piste un bon matin et revenir 2 ou 3 semaines plus tard, sales et dépenaillés dans des véhicules non mois sales et boueux !
L’un d’entre nous, Henri Barral, qui fut occasionnellement chef de mission, garçon un peu déjanté, avait coutume de répondre aux interrogations que nous étions en train de « préparer sournoisement la reconquête » !
Rien ne me prédisposait à évoluer dans ce milieu. A part certains petits boulots effectués à Paris avant mon départ et qui m’avaient un peu ouvert les yeux, je n’avais aucune expérience, aucun vécu, aucun diplôme, aucun projet. J’étais sorti du séminaire révolté par la stratégie d’enfermement pratiquée (hors de l’église, pas de salut). J’avais quitté l’armée déçu de n’y avoir rien appris, que des conneries. J’avais une vingtaine d’années et n’étais encore qu’un enfant.
Alors, imaginez le choc lors de mon arrivée en Afrique ( je ne reviens pas sur les conditions rocambolesques de cette arrivée !)
Ce qui a rendu tellement difficile mon retour en France, c’ est que j’ai ressenti très vite que j’étais chez moi en Afrique , que tout ce que j’y faisais me plaisait et semblait avoir quelque utilité. Alors pourquoi serais-je retourné dans la mère patrie où je n’avais que de vagues attaches familiales alors que je me sentais adopté ici ? Point n’est besoin de faire appel à une psy pour comprendre que je n’avais pas encore digéré le fait que mon père m’ait rejeté et que les « bons pères » du séminaire , ma seconde famille , aient agi de la même façon après ma démission!
Je n’avais plus peur. Peur d’être jugé, peur d’être abandonné , peur de ne pas être à la hauteur. Je ne ressentais plus, ou peu, ce sentiment diffus de culpabilité qu’on m’avait insidieusement inoculé depuis mon enfance. J’étais accueilli dans tous les villages de brousse avec simplicité et amitié. Quand je revenais quelque temps plus tard, c’était avec une joie démonstrative que l’on m’attendait, le « téléphone arabe » m’ayant précédé. Chaque village était devenu ma famille !
Je dormais à la belle étoile et vivais en phase avec la nature. Je n’avais pas besoin de montre et de moins en moins de boussole. Au contact de mes collègues africains, j’acquérais petit à petit le sens de l’orientation et les bonnes attitudes à adopter pour être justement en phase avec la nature. Un peu comme le marin solitaire au large, je commençais à vivre à l’instinct.
Et puis les conditions de travail étaient tellement particulières…
Un exemple : certaines zones du sahel étaient inaccessibles pendant l’hivernage même avec des 4×4. Alors, pendant la saison sèche, nous partions avec 2 véhicules et le matériel nécessaire vers le site à étudier, si possible pas trop loin du poste de police de la frontière… (il y en avait quand même pour des sous !) Là, il s’agissait de délimiter un terrain d’atterrissage avec quelques pierres peintes en blanc sur un sol sablonneux choisi pour sa dureté. Retour à la ville avec l’un des véhicules. Lorsque la météo le permettait (il fallait surtout se méfier des tempêtes de sable), un petit avion de tourisme et son pilote nous déposaient sur l’aérodrome improvisé. En général, le pilote repartait illico car, ne pouvant pas entrer en relation avec une tour de contrôle compte tenu de l’éloignement, il préférait assurer son retour.
Commençait alors notre travail dans cette vaste région désertique, le plus difficile étant de retrouver les appareils hydrologiques enregistreurs installés la saison précédente ! Certaines tribus nomades étaient passées avant nous…
Autre exemple : dans une région de l’extrême nord de la Haute Volta où les conditions d’accès étaient les mêmes que celles décrites précédemment, il ne fut pas possible de disposer d’un avion. Afin de pouvoir me déplacer en toutes circonstances, je ne voyais guère d’autre solution que d’utiliser des dromadaires comme les nomades. On me donna l’accord pour cet achat relativement conséquent ! Accompagné d’un chef de village peulh, maquignon de son vrai métier et respecté pour ces deux fonctions, nous partîmes au grand marché aux bestiaux de Markoye. Après une journée d’observations, d’investigations , de palabres , d’allers retours , le parc automobile de mon employeur se trouva augmenté de 2 unités , 2 magnifiques dromadaires. Comme le faisaient les cow-boys pour reconnaître le troupeau dont ils avaient la charge, le maréchal ferrant local imprima sur l’encolure des pauvres bêtes le logo de l’Orstom , avec un fer brûlant. On m’affirma que les animaux ne souffraient pas de ce traitement. En tout cas, ça sentait le roussi aux alentours et ça blatérait ferme!
C’est avec grand plaisir que j’utilisais les services de ces montures et j’avoue l’avoir fait bien des fois au détriment des véhicules 4×4 dont nous disposions!
Dernier exemple comme la cerise sur le gâteau : peu de temps avant la fin de mon contrat, j’eus la chance et le grand privilège d’effectuer des installations hydrologiques en plein cœur d’une réserve à la frontière du Ghana. J’ai pu ainsi vivre quelques jours au milieu des animaux dits sauvages accompagné d’un guide. Les appareils devant être placés au bord des plans d’eau afin de calculer les ressources aquatiques de la réserve, nos chemins se croisaient matin et soir, dans l’indifférence totale pour les bêtes, et pour moi dans un émerveillement continu.
Nous étions en 1970. Jean Baptiste allait naître au printemps et de Gaulle mourir à l’automne. Je rentrais en France et je pressentais que ce ne serait pas simple.
C’est vrai que les animaux sauvages se rendent vite compte que certains promeneurs ne sont pas des chasseurs, et ne les fuient donc pas.
Et ceux d’Afrique sont autre chose que ceux de la forêt de Fontainebleau.
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