Hollande/Sarkozy : la campagne 2012 est un chef d’oeuvre

Je ne comprends pas pourquoi l’on dit que cette campagne est ennuyeuse. Moi je la trouve magnifique. D’un point de vue littéraire, elle est absolument fascinante, et on s’en souviendra.

Un président sortant perdu d’avance, qui avait fondé sa légitimité sur l’esprit de conquête et de séduction, et qui ne séduit plus. Comme une femme en désamour, le peuple français le regarde gesticuler, avec un mélange de fascination attendrie et de dédain apitoyé, en se demandant quand même s’il ne va pas réussir son coup in extremis. L’histoire d’amour est clairement foutue, mais enfin on n’est pas à l’abri d’une rechute, le peuple français pourrait à nouveau succomber, à la faveur d’un moment de déprime. Mais c’est très improbable car chacun voit qu’il s’en mordrait les doigts le matin suivant, et que la rupture finale serait très amère.

En face de ce président discrédité et maladroit, un candidat qui parvient à être une case vide, une page blanche. Rondouillard, conciliant, accommodant, centriste, François Hollande se présente aux Français avec rien dans les poches, et ne leur dit rien. Il se présente seulement avec le minimum de propositions possible pour éviter de froisser quiconque. Face à un président sortant aussi calamiteux que Sarkozy, qui a fait tant d’erreurs et qui manque tant de noblesse dans son comportement, Hollande ne joue pas la hauteur dédaigneuse, mais il est magistral de platitude, de réserve, de passivité, de bonhomie respectueuse.

Le sage précaire aime bien Hollande. Il aime bien son côté chiffe molle, peu entreprenant, sans esprit de vengeance contre tous ceux qui l’ont insulté. Sa force, il la tire justement du fait que tout le monde le trouvait nul il y a à peine un an. Hollande, c’est un peu le héros politique du sage précaire. On se fout de sa gueule continuellement, et à la fin, c’est lui qui ramasse la mise, sans chercher à humilier ceux qui doutaient de lui.

Pour ceux qui apprécient Tolstoï, cet affrontement n’est pas sans rappeler la lutte à distance entre Napoléon et le général Koutouzov. Face au Français impétueux, que l’on croit irrésistible mais qui n’est en fin de compte qu’un agité du bocal qui trahit les idéaux de la Révolution française, le vieux général russe choisit le non-agir : refuser le combat, reculer, brûler les terres et les villes pour que l’armée française ne puisse pas se réapprovisionner, et qu’elle s’épuise toute seule. La stratégie est merveilleuse de simplicité et de rotondité : Napoléon perd toute contenance, son armée se liquéfie, se délite, et tout le monde doit rentrer en Occident, affaibli. Les Russes n’ont plus qu’à leur courir après pour les vaincre définitivement, mais sans combattre.

Les gens de droite, décontenancés, reprochent à Hollande de pratiquer l’esquive. Ils ont raison, et c’est ce qu’il faut faire. Sarkozy, que l’on crédite d’un talent fou pour gagner des élections, se prend lui-même les pieds dans le tapis, car il se bat tout seul, dans une plaine abandonnée. Qui connaissait Mathieu Pigasse avant qu’il en fasse un portrait acide ? Depuis que Sarkozy en a parlé, on s’est intéressé à ce banquier de gauche, fan des Clash, et ce jeune homme branché est devenu un des meilleur argument marketing en faveur de Hollande : sa présence dans les médias montre qu’avec la gauche au pouvoir, on pourra s’enrichir, et en plus on sera cool.

C’est cela le génie tactique de Hollande : sans faire appel à personne, par pure absence d’expression, des gens hauts en couleur le soutiennent et le poussent à la victoire. On fait toujours référence à Mitterrand, mais Hollande, ce n’est pas ça du tout : Hollande, c’est le Chinois taoïste de la politique française.

Tout cela fait une belle campagne électorale je pense. Si l’on y ajoute la figure de Jean-Luc Mélanchon qui réinvente l’art oratoire en politique, alors que la bonne vieille rhétorique avait été confisquée par Jean-Marie Le Pen depuis si longtemps, on a largement de quoi se divertir l’esprit, en attendant de finir sa thèse de doctorat.

 

5 commentaires sur “Hollande/Sarkozy : la campagne 2012 est un chef d’oeuvre

  1. Tout à fait ce que je pense. Parfois je me demande si tu n’écris pas à ma place. On devrait faire un numéro de cirque…mais en attendant il n’est pas élu et n’a pas gagné du tout avec le taux d’abstention je me méfierai un peu quand même…le coup des sondages moi je connais et j’ai toujours pas digéré 2002.Donc va voter entre deux dédicaces stp.
    (« Je vois bien ce que tu veux dire, Ben »…moi je vois rien, encore un modérateur qui fait du zéle,il a u dire un truc vraiment subversif alors…)

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