Vive François Hollande, président précaire

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La sagesse précaire a apprécié la campagne de François Hollande en 2012, s’est réjouie calmement de le voir élu, et n’a pas à se plaindre, à mi-mandat, de sa manière d’être président. Au contraire, l’impopularité du président ne nous le rend que plus attachant et plus proche de nous.

Il est temps de s’élever contre ce discours ambiant selon lequel les Français auraient besoin d’un grand monarque prestigieux, d’un chef à leur tête, d’une prestance ou d’une grandeur. Non, nous ne voulons plus de ces souverains à la noix. Je cite l’éditorial du Monde daté d’aujourd’hui : « Le risque est d’apparaître comme un président ordinaire, banal, éventuellement sympathique, mais aux antipodes de ce mélange d’autorité et de souveraineté que les Français continuent d’attendre du chef de l’Etat. »

C’est faux ! Nous ne voulons pas, nous n’avons jamais voulu de personnages autoritaires et souverains. Cette tendance française, incarnée par Louis XIV et Napoléon, ne nous intéresse qu’un peu, et est bien moins attachante que d’autres tendances, plus constructives, moins autoritaires, incarnées par Saint Louis, Henri IV ou Mendès-France. Un catholique, un protestant et un juif, voilà notre trio de tête. Que ceux qui désirent un grand chef règlent leurs problèmes de libido en optant pour des pratiques sexuelles appropriées.

Les gens sont déçus, dit-on. Mais pourquoi le sont-ils ? Avant les élections, nous savions qu’Hollande n’était pas de gauche, c’est même pour ça qu’il a remporté les primaires de la gauche. Nous avons voté pour le plus flou de tous les prétendants et le plus centriste, afin de faire barrage à Nicolas Sarkozy. Nous savions par avance qu’il ne ferait pas de miracle, qu’il ne saurait pas réduire le chômage, qu’il augmenterait les impôts, qu’il se reposerait exclusivement sur les « cycles » pour voir le retour de la croissance.

On nous dit qu’il a trahi, mais je ne vois pas qui, ni quoi. Il n’avait rien promis. Dans mon billet de 2012, où je défendais sa campagne, je louais déjà son caractère placide et sans idée : tout son génie était de se présenter aux Français comme une page blanche sur laquelle nous pouvions projeter ce que nous voulions. Ce n’est pas facile d’être une page blanche. Si, aujourd’hui, des gens sont déçus, c’est qu’ils avaient bêtement cru aux promesses qu’ils avaient eux-même projetées  à l’époque sur cet écran neutre qu’était le candidat Hollande.

Le sage précaire reconnaît au président une merveilleuse constance dans la fragilité, l’esquive et l’adversité. Il est impuissant, comme tous les présidents, mais avec lui, au moins, cela se voit. Grâce à Hollande, il est enfin clair que la politique n’a pas beaucoup de pouvoir, et que le gouvernement ne peut presque rien pour nous. Pour ce rôle de révélateur (je file l’air de rien la métaphore du film, de la pellicule, de l’écran, de la page blanche, j’espère que le lecteur ne m’en voudra pas d’être un peu didactique), pour ce rôle qui incarne la fin de la toute-puissance politique, François Hollande restera dans l’histoire.

Condamné à l’impuissance, il pourrait s’agiter, s’afficher, gesticuler. Il n’en est rien. Il reste un homme normal et je l’admire pour cela. Il paraît que tous les présidents de la Ve république pétaient les plombs, pas lui. Il voit sa cote de popularité chuter, et il reste souriant, bonhomme. Il paraît que c’est le bordel à l’Elysée, tant mieux.

Je lui suis reconnaissant de rester ce qu’il est, et de ne pas nous embarrasser comme le faisait Sarkozy. Avec Hollande, pas de casserole, pas de corruption, pas de scandales financiers qui lui soient directement imputables. Pas de Rolex, pas de stars. Comme le dit Sarkozy lui-même, « on dirait les Bidochon en vacances ». Vive le président pavillonnaire, qui ne fait que passer. On respire enfin. Ses histoires d’amour nous sont relatées par une presse dont c’est le métier, mais lui, au moins, on lui sait gré de ne pas chercher à nous les imposer. Hollande persiste à être pudique, et la sagesse précaire lui tresse des lauriers pour cela. Il a mille fois raison de refuser de répondre aux journalistes qui le questionnent sur sa vie privée.

Profitons-en, chers amis, car les prochains présidents n’auront pas cette délicatesse, ni cette constance dans l’échec, et nous regretterons notre placide président, qui ne détourne pas d’argent, qui fréquente une belle actrice en cachette mais au vu de tous, qui travaille en bonne intelligence avec son ancienne compagne, qui ne s’enrichit pas outrageusement, et qui, surtout, ne joue pas au monarque républicain.

Hollande/Sarkozy : la campagne 2012 est un chef d’oeuvre

Je ne comprends pas pourquoi l’on dit que cette campagne est ennuyeuse. Moi je la trouve magnifique. D’un point de vue littéraire, elle est absolument fascinante, et on s’en souviendra.

Un président sortant perdu d’avance, qui avait fondé sa légitimité sur l’esprit de conquête et de séduction, et qui ne séduit plus. Comme une femme en désamour, le peuple français le regarde gesticuler, avec un mélange de fascination attendrie et de dédain apitoyé, en se demandant quand même s’il ne va pas réussir son coup in extremis. L’histoire d’amour est clairement foutue, mais enfin on n’est pas à l’abri d’une rechute, le peuple français pourrait à nouveau succomber, à la faveur d’un moment de déprime. Mais c’est très improbable car chacun voit qu’il s’en mordrait les doigts le matin suivant, et que la rupture finale serait très amère.

En face de ce président discrédité et maladroit, un candidat qui parvient à être une case vide, une page blanche. Rondouillard, conciliant, accommodant, centriste, François Hollande se présente aux Français avec rien dans les poches, et ne leur dit rien. Il se présente seulement avec le minimum de propositions possible pour éviter de froisser quiconque. Face à un président sortant aussi calamiteux que Sarkozy, qui a fait tant d’erreurs et qui manque tant de noblesse dans son comportement, Hollande ne joue pas la hauteur dédaigneuse, mais il est magistral de platitude, de réserve, de passivité, de bonhomie respectueuse.

Le sage précaire aime bien Hollande. Il aime bien son côté chiffe molle, peu entreprenant, sans esprit de vengeance contre tous ceux qui l’ont insulté. Sa force, il la tire justement du fait que tout le monde le trouvait nul il y a à peine un an. Hollande, c’est un peu le héros politique du sage précaire. On se fout de sa gueule continuellement, et à la fin, c’est lui qui ramasse la mise, sans chercher à humilier ceux qui doutaient de lui.

Pour ceux qui apprécient Tolstoï, cet affrontement n’est pas sans rappeler la lutte à distance entre Napoléon et le général Koutouzov. Face au Français impétueux, que l’on croit irrésistible mais qui n’est en fin de compte qu’un agité du bocal qui trahit les idéaux de la Révolution française, le vieux général russe choisit le non-agir : refuser le combat, reculer, brûler les terres et les villes pour que l’armée française ne puisse pas se réapprovisionner, et qu’elle s’épuise toute seule. La stratégie est merveilleuse de simplicité et de rotondité : Napoléon perd toute contenance, son armée se liquéfie, se délite, et tout le monde doit rentrer en Occident, affaibli. Les Russes n’ont plus qu’à leur courir après pour les vaincre définitivement, mais sans combattre.

Les gens de droite, décontenancés, reprochent à Hollande de pratiquer l’esquive. Ils ont raison, et c’est ce qu’il faut faire. Sarkozy, que l’on crédite d’un talent fou pour gagner des élections, se prend lui-même les pieds dans le tapis, car il se bat tout seul, dans une plaine abandonnée. Qui connaissait Mathieu Pigasse avant qu’il en fasse un portrait acide ? Depuis que Sarkozy en a parlé, on s’est intéressé à ce banquier de gauche, fan des Clash, et ce jeune homme branché est devenu un des meilleur argument marketing en faveur de Hollande : sa présence dans les médias montre qu’avec la gauche au pouvoir, on pourra s’enrichir, et en plus on sera cool.

C’est cela le génie tactique de Hollande : sans faire appel à personne, par pure absence d’expression, des gens hauts en couleur le soutiennent et le poussent à la victoire. On fait toujours référence à Mitterrand, mais Hollande, ce n’est pas ça du tout : Hollande, c’est le Chinois taoïste de la politique française.

Tout cela fait une belle campagne électorale je pense. Si l’on y ajoute la figure de Jean-Luc Mélanchon qui réinvente l’art oratoire en politique, alors que la bonne vieille rhétorique avait été confisquée par Jean-Marie Le Pen depuis si longtemps, on a largement de quoi se divertir l’esprit, en attendant de finir sa thèse de doctorat.

 

Les chefs

Depuis toujours, j’observe les chefs. J’ai pour eux un grand respect. Cela me vient de mon père, qui était chef d’entreprise.

Ramoneur, il était chef de son entreprise individuelle. Il régnait sur un empire qui allait de la grange jusqu’au jardin. Il avait toujours les mains dégueulasses, et je prenais cette suie pour la marque de la plus haute noblesse. C’était un chef, un aristocrate. Sans le dire jamais, je méprisais un peu les copains dont le père était plombier, comptable ou directeur. Il n’y avait que mes copains agriculteurs qui avaient grâce à mes yeux, parce qu’eux aussi se salissaient les mains. Un père qui ne se salissait pas, je ne sais pas, pour moi ça ne collait pas avec l’image de père.

Il faisait toujours la vaisselle, pour aider ma mère et pour enlever encore, si possible, un peu de crasse sur ses mains.

Dans les périodes fastes, il a eu deux, trois, et même quatre employés. Je parle des employés déclarés, bien sûr. Mes frères et moi, on bossait sans signer de contrat. Puis mes frères en ont eu marre, moi j’ai continué. J’ai payé mes études en ramonant des chaudières.

J’observais la façon qu’avait mon père d’être chef, mais aussi la façon qu’avaient les ouvriers d’être ouvriers. Ces derniers respectent le chef si et seulement s’il sait conquérir leur confiance. S’il n’est pas à la hauteur, ils font tout foirer.

J’ai gardé cette attitude d’ouvrier vis-à-vis des élites de mon pays. J’accepte leur supériorité sociale mais ils ont intérêt à être à la hauteur. Rien ne me fend le cœur comme des dirigeants qui font des bêtises et qui cherchent à en détourner l’attention. Quand mon président fait des fautes, je n’arrive pas à m’en moquer complètement, c’est un peu comme si mon père faisait des coups de pute à ses ouvriers, qui étaient d’ailleurs mes collègues. Cela me fait honte.

Vivre à l’étranger n’arrange rien. Les étrangers voient notre président comme le représentant des Français. Alors, la honte, je connais. Il y avait Chirac, que les Anglo-Saxons détestaient, et maintenant Sarkozy, qui poursuit une politique d’ancien régime. Certains le comparent à Napoléon III, avec ses nouveaux riches, le culte de l’argent, du clinquant, du mauvais goût.

Rien n’est plus éloigné de moi que le culte d’une aristocratie qui ne se salit pas les mains.

Vivement Sarkozy à Shanghai

J’ai vu sur Youtube de larges extraits du discours de Dakar. Sarkozy lit le discours et, malgré sa grande expérience politique, il n’a pas l’air à son aise. Il faut voir toute la partie où le discours se lance dans une longue méditation sur les sorciers, les griots, parlant de Senghor et du chant mystique de l’Africain. Les mots sont lyriques, la voix est hésitante. Mais qu’est-il donc allé faire dans cette galère, mon président ? Il ne s’est jamais intéressé à l’Afrique, qu’a-t-il donc à dire constamment « l’homme africain », « le problème de l’Afrique », « le défi de l’Afrique », « la faiblesse de l’Afrique » comme s’il était autorisé à venir dire aux Africains ce qu’est la vérité de son histoire, de son esprit ? Et son sourire quand il arrive à l’une des phrases qui font débat, « le drame de l’Afrique, c’est que l’homme africain n’est pas assez entré dans l’histoire », qu’y a-t-il dans ce sourire ?

Tout cela pour vous dire que Sarkozy sera à Shanghai à la fin du mois, et qu’a priori il devrait venir parler dans l’université où je travaille.

Ô, comme j’aimerais qu’il se lance là aussi dans de lyriques périodes sur l’ « homme chinois », ou l’ « homme asiate », qui jamais ne se lance dans une pensée abstraite et conceptuelle.

Il pourra faire la même chose qu’à Dakar, donner de grandes leçons de civilisation, en citant des poètes chinois francophones et en digressant pensivement sur les dynasties Tang et Ming. Tiens, je lance le pari qu’il citera François Cheng (je ne prends pas beaucoup de risques) et Hong Lou Meng, Le rêve dans le pavillon rouge, que Guaino est en train de relire pour l’occasion. J’aimerais qu’il le fasse, qu’il dise ici aussi que « la colonisation, malgré les crimes, vous a ouvert à l’universel », et qu’il égrène les litanies « le problème de la Chine, la faiblesse de la Chine, le défi de la Chine » comme un mauvais poème de Péguy : ça nous ferait entrer dans une ère de rigolades et d’engueulades sans nom.

Malheureusement, je crains que le réalisme reprenne ses droits et que Guaino se calme ou qu’on lui laisse la bride moins lâche. Or, c’est peut-être là qu’on aurait besoin de dirigeants assez givrés pour dire à la jeunesse chinoise, au mépris des risques commerciaux qu’il y aurait à fâcher le Parti et le nationalisme ambiant, qu’en puisant dans sa culture elle peut trouver la force de faire enfin respecter le droit des Chinois.

Vivement Shanghai.

Henri Guaino, l’Afrique et l’intelligence

Voici ma contribution au grand débat complètement stupide sur ladite « intelligence d’Henri Guaino ». Les Français sont divisés, les Français s’interrogent, les Français boivent (pas tant que ça, d’ailleurs.) Ils écoutent le conseiller spécial de l’Elysée et se disent, pour les uns, que c’est un charmeur de serpent limité, et pour les autres que c’est une éminence grise.

Moi, on ne me la fait pas, je suis résolument dans le camp des premiers. Charmeur de serpents, mais qui va rapidement lasser les serpents. D’abord, je dirais, en remarque liminaire, que les conseillers de ce type qui sont devenus célèbres avant lui (Jacques Attali et Dominique de Villepin) ont mis au jour, dans des livres et des interviews, qu’ils étaient aussi ineptes que vous et moi, ça fait plaisir. Soyons francs, c’est leur fonction, mystérieuse, ombragée, raspoutinesques, qui leur donne un prestige bien immérité.

Alors Guaino. Qu’a-t-il dit exactement ? J’aime bien m’attacher aux paroles exactes des gens, car c’est dans l’exactitude qu’on trouve parfois des merveilles, des pépites : « L’Afrique est restée plus longtemps à l’écart du grand métissage des esprits qui féconde les civilisations. Elle a beaucoup donné au départ, puis elle est restée en dehors de ce grand métissage, puis elle est revenue, ça crée un décalage. Ce décalage est un fait qui se lit aujourd’hui dans les problèmes de l’Afrique. »

Qu’est-ce que ce « grand métissage des esprits » ? Et cette idée de civilisation ? N’est-ce pas une vision de l’humanité et de l’histoire déterminée par le 19ème siècle ? C’est des mecs comme Guizot qui parlait comme ça, non ?  Continuons : « L’apport de la colonisation, de l’occidentalisation si vous voulez, a fait des Africains des métis culturels. Et sur ce métissage culturel, on peut construire un avenir commun. »Donc, les Africains sont restés des sauvages jusqu’à l’action civilisatrice de la colonisation européenne. C’est ce qu’il dit, n’est-ce pas ? Au sens propre. Je veux dire, je n’interprète pas à outrance, si ?  Alors écoutez, ce que je veux vous dire c’est que : 1- préférer le terme d’occidentalisation à celui de colonisation, et 2- expliquer que sans elle, il n’y aurait pas eu de progrès en Afrique – ou du moins de retour de l’Afrique dans le grand métissage des esprits, donc dans la civilisation -, il ne faut pas être très intelligent pour savoir que ça va choquer des gens. Et que ça va rendre le président que l’on conseille impopulaire en Afrique. Or, si j’étais conseiller spécial d’un président français, j’essaierais de l’aider à être populaire en Afrique, surtout s’il s’appelle Sarkozy. Après, Guaino peut s’énerver, reprocher aux journalistes de mal faire leur travail, reprocher à tous d’être trop cons pour avoir « un débat serein » sur des « choses sérieuses », mais lui qui a su si bien utiliser les médias comme caisse de résonance de ses petites phrases et de ses brillantes manœuvres politiciennes, il donne là l’image de quelqu’un qui a fait une erreur stratégique. Les conseillers, on les juge sur leurs résultats aussi, et là il a mal conseillé, et il se réfugie dans l’arrogance. Lors de l’interview, il montre nettement qu’il se sent supérieur intellectuellement, et sans nous en donner la preuve. Sa technique, pour le faire croire, est archiconnue des conversationnistes de tous poils : faire comme s’il avait déjà pénétré les idées et les lectures de ses interlocuteurs en renvoyant leurs critiques sans autre forme de procès : « Et voilà, encore la même rengaine… Mais madame, ce n’est pas un débat, ça… On peut toujours confronter les recherches anthropologiques… Quand nous pourrons en discuter sérieusement, avec de vrais arguments, etc. »

Je ne m’y connais ni en politique, ni en anthropologie africaine, mais je m’y connais en conversation, et je peux dire que cet homme n’en est pas un cador. Ses ficelles sont grosses comme des câbles.

Le sarkosysme à Shanghai, au petit matin

Le jour était sur le point de se lever. Patrick reprit une de mes réparties idiotes par un tonitruant : « Moi, je suis sarkozyste, à fond, alors tu peux y aller. » Chouette, une conversation politique pour finir la soirée.

Patrick, je ne le connaissais que depuis une heure, et il avait déjà commis un certain nombre d’erreurs, comme de prendre les hôtesses de ce bar pour des putes. Je lui ai lancé le défi d’en ramener une chez lui, à quoi il répondit qu’il était marié.

Sarkozy, Patrick l’adore, c’est simple. Comme rarement on a adoré un homme politique. Que pense-t-il alors de sa façon de creuser la dette ? Patrick nie que son héros ait pu creuser la dette. Il dit : « Quel déficit ? Où vois-tu que le budget a été creusé ? » Le fait même, reconnu par tous, par le gouvernement lui-même, le fait que la dette soit creusée de 15 milliards par an, est mis en doute. S’il parvient à convenir que c’est une réalité, mais ça prend du temps, il dit : « Mais au moins il tente ! Toi tu critiques mais tu ne proposes rien ! »  

Le plus étonnant, chez le sarkozyste du petit matin, c’est qu’il ressemble à Sarkozy, il a la même façon de poser les problèmes, c’est-à-dire de les nier, de les remplacer par des formules, et au besoin, d’ignorer la réalité. J’avais remarqué cela sur des blogs de gens de droite ; la formule marketing remplace l’idée : « libérer les intelligences », « aller chercher la croissance ».

Pendant longtemps, la droite critiquait la gauche car elle se permettait de creuser la dette pour financer ses mesures de relance. L’homme de droite se présentait comme le bon gestionnaire, le père de famille responsable qui ne peut dépenser plus qu’il ne gagne. Aujourd’hui, la droite et ses hommes sont pris de tournis. Ils nous endettent plus que la gauche ne l’a fait (quand elle l’a fait). Ils parient sur l’avenir, sur le retour de la croissance, nous sommes entre les mains de joueurs de poker.

Patrick me dit que je n’ai pas le droit de parler car je ne paie pas d’impôts. « Va payer des impôts en France et après tu viendras discuter. » Il me traite de mauvais Français et se réjouit d’entrer dans un monde où tout le monde galèrera vraiment. De son propre aveu, la boîte qu’il a montée à Shanghai est en train de s’écrouler. « Pas parce que je suis mauvais, mais parce que je ne veux pas que ça marche. » Les cadeaux fiscaux donnés aux plus favorisés ? « C’est très bien, dit Patrick, il en faut des riches. On a besoin de riches, pas de pauvres. »

Il se retourne vers une hôtesse pour lui baragouiner en anglais qu’il est marié et qu’il n’a pas l’intention d’aller au lit avec une autre femme. L’hôtesse est un peu choquée qu’on lui parle sur ce ton, et elle s’éloigne avec une mine d’incompréhension.

Les idées embrouillées, il a fallu se séparer au moment où le jour donne à notre visage une pâleur maladive.  

Les grands discours

Écouter les ministres de mon pays me chagrine. Pas parce qu’ils sont méchants, ou idiots, mais parce qu’ils nous prennent pour des imbéciles. J’écoute à l’instant le ministre du travail, Xavier Bertrand, en différé sur France Inter.

 « Les Français en ont marre des grands discours », dit-il. Moi, je n’en ai pas marre, des discours, s’ils sont bien écrits. S’ils mènent à une réflexion, ou à une vision de la société. J’avoue que j’aime les grands discours, comme celui que Chirac a prononcé en 1995 sur la responsabilité de la France dans la Shoah. Bon mais qu’a-t-il dit, notre ministre du Travail, des relations sociales et de la solidarité ?

« Un point de croissance en plus ça fait du chômage en moins, ça fait du pouvoir d’achat en plus. » La Chine, regardez la Chine. Le chômage augmente d’années en années, les salaires stagnent et la croissance est délirante depuis 10 ans. Mais c’est un sophisme auquel d’autres croient encore.

En revanche, c’est avec le « paquet fiscal », voté cet été, que le ministre s’est mis à utiliser une langue infantilisante. Si vous croyez que j’invente, ou que j’exagère, vérifiez par vous-même, sur le site de l’émission Le franc parler : « Les 15 milliards d’euros, c’est un investissement. Ces 15 milliards, à qui on va les rendre ? Aux Français. Et qu’est-ce qu’ils vont en faire, les Français ? Ils vont dépenser ces 15 milliards. Et ça va faire du bien à quoi ? A l’économie. Voilà la logique ! » C’est qui qu’est content ? C’est mon ministre. Et pourquoi qu’il est content ? Parce qu’il a cloué le bec de belle manière à ces satanés journalistes.

Il ne s’arrête en si bon chemin. Sur le même sujet, le paquet fiscal, il veut ajouter un mot concernant les étudiants, car, c’est connu, les étudiants écoutent France Inter : « Ca profite à qui ? Aux étudiants, qui vont voir pour l’année 2007 tous leurs revenus défiscalisés. C’est-à-dire qu’un étudiant, qui va travailler, ne paiera plus du tout d’impôt. » M. Bertrand aime les questions, c’est sa façon de parler, alors ça donne envie d’en poser à son tour. Vous connaissez beaucoup d’étudiants qui paient des impôts ? Des étudiants qui travaillent assez pour gagner beaucoup d’argent ? S’il y en avait, auraient-ils beaucoup de temps pour étudier ?

Franchement, je peux discuter avec un homme de droite, et même d’extrême droite, tant qu’il assume sa vision du monde. Mais je crains pour ma raison quand je dois suivre sérieusement quelqu’un pour qui la langue n’est fait que pour inventer des phrases dépourvues de sens réel. Je ne sais pas, moi, nous dire que les étudiants seront exonérés d’impôts, cela a quelque chose d’obscène, non ?

Nos voisins européens critiquent la politique fiscale de Sarkozy, ce qui n’émeut pas notre ministre car il suffit de leur expliquer, ainsi qu’à l’ensemble des Français, que « nous sommes bien dans une logique de réduction des déficits. La seule chose, c’est qu’en même temps nous avons la volonté d’aller chercher la croissance. Nous sommes vraiment sur deux logiques et nous avançons en même temps. » Donc, si je suis bien, on baisse les impôts pour les étudiants et les smicards, et on fait payer aux cadres des franchises pour pallier cette manne généreuse donnée aux ouvriers et aux exclus qui étaient trop taxés ?

Pour l’amour du ciel, Monsieur le ministre, travaillez un peu vos discours et vos interventions radiotélévisées ! Moi, je suis prêt à vous admirer et à vous suivre, mais il me faut au moins croire, c’est une question d’équilibre mental, que vous parlez un langage rationnel, en prise avec quelque chose de réel.