Assez parlé de politique. Que retirer de ces élections ?

On a suffisamment parlé de politique. Les élections sont passées, la sagesse précaire a fait sa part, elle ne pouvait pas faire davantage. La gauche aussi a fait ce qu’elle a pu, elle a fait son devoir, elle peut être satisfaite du devoir accompli : elle a réussi à se réunir derrière un nom et un sigle, se trouver un programme minimum de gouvernement, s’accorder sur un chef, être très active dans les quartiers et les réseaux sociaux. Dans une France vieillissante qui penche de plus en plus vers l’extrême droite, où la jeunesse se fiche complètement de la politique, on peut dire que la gauche a été impressionnante et a connu une sorte de succès.

Pour preuve de ce que j’avance, regardez le parti de Marine Le Pen. Un parti composé d’incapables qui parlent au hasard, d’une directrice absente et autoritaire, de cadres qui foutent le camp régulièrement. Le pire et le plus drôle de cette galerie de racistes en goguette, ce sont ces gens du Rassemblement National qui trahissent leur patronne et partent rejoindre le sinistre Éric Zemmour au moment même où ils auraient pu obtenir une place au soleil, grassement payés à ne rien faire, s’ils avaient seulement fermé leur gueule fait preuve de patience. Ce parti n’a rien fait pour gagner et il a triomphé. Il a gagné d’une manière que j’ai toujours admirée : le non-agir taoïste. J’avais déjà exprimé cette idée à propos de François Hollande, en rappelant Tolstoï et son personnage historique Kutuzov.

Ces élections ont surtout permis de clarifier les positions des uns et des autres. Tous ceux qui rejettent la gauche, par exemple, sortent enfin du bois et se révèlent. Je ne vais citer que quelques noms : BHL, Caroline Fourest, Raphaël Einthoven, Michel Onfray, et bien des politiciens. Tous désignent l’Union Populaire comme « l’extrême gauche », alors que tout montre qu’il s’agit d’une gauche modérée. Chacun à sa manière cherche à discréditer la gauche, la salir, et c’est une bonne nouvelle pour la vérité.

Le meilleur exemple est le philosophe Michel Onfray qui passe maintenant plus de temps à défendre Marine Le Pen qu’à proposer des idées progressistes. J’avais annoncé qu’il était à deux doigts d’un désastre obscur, je crois qu’il a passé le Rubicon, en effet, et qu’un effondrement intérieur est imminent.

Une nouvelle page va devoir s’écrire à partir de maintenant, difficile à écrire pour la gauche. L’extrême droite, elle, va digérer ses bons scores électoraux et va se déchirer tranquillement, comme toujours. Ce sera le spectacle le plus voyeuriste que la politique française va nous offrir ses prochaines années.

Quant à la sagesse précaire, elle va se tourner dorénavant sur des sujets de rêverie plus éternels : les travaux de la matière, l’habitat, le logement et les gestes augustes du travail manuel.

Les trois erreurs capitales de François Hollande.

Le gouvernement de la France était de gauche entre 2012 et 2017 mais il a profondément dégoûté les Français, au point de voir s’effondrer le Parti socialiste au profit du mouvement plus radical de La France insoumise. Pourquoi un tel détournement ? Selon moi, François Hollande est coupable.

Il est vrai que j’avais fait l’éloge du candidat Hollande en 2012, puis encore une fois l’éloge du président Hollande en 2014 car j’aimais son style débonnaire sans faste inutile. Mais ce n’était qu’un éloge d’apparence, une appréciation de style, de comportement médiatique. Je ne disais rien des décisions politiques prises par le président socialiste. Aujourd’hui, à l’aube des élections de 2022, je voudrais faire le bilan de son action politique qui me paraît globalement négative. Hollande aurait pu laisser une image positive et sauver au moins l’espoir à gauche s’il n’avait pas commis trois erreurs. Je vais les exposer par ordre croissant de gravité. La première n’est qu’une erreur de calendrier qui s’est transformée en erreur stratégique. La deuxième est une erreur de politique économique. La troisième est une faute morale qui a mené à la désolation d’une région entière et qui est à la base de l’effondrement actuel de la gauche française.

  1. Le mariage pour tous. Il fallait lancer le projet de loi pour la légalisation du mariage des homosexuels dès la victoire aux élections. La loi ayant été promulguée en mai 2013, elle a donné un an de discussions qui ont permis à la droite de se regrouper autour des valeurs de la famille et de se trouver un ennemi commun, en la figure de la « théorie du genre ». Un an plus tôt, les Français de droite étaient largement indifférents à cette question, du moins ceux qui se voulaient modernes et libéraux. Cette lenteur de la part de François Hollande était une erreur qui a redonné de la vigueur aux courants réactionnaires et pris en otage les gens de gauche pour qui le mariage homosexuel était un sujet secondaire. Il aurait fallu dire dès l’été 2012 : ce n’est pas un débat, on vote ce droit comme une évidence et on passe à autre chose.
  2. La loi Travail, dite « loi El Khomri ». Une loi d’inspiration néolibérale qui n’avait d’autre objectif que de déréguler le marché de l’emploi et de précariser les travailleurs français au profit des actionnaires. Il fallait laisser ce type de mesure à un gouvernement de droite. Quand vous êtes de gauche, vous avez l’occasion d’exercer le pouvoir une fois tous les dix ou vingt ans, il est absurde de gâcher ce moment avec des politiques que mèneront de toute façon les gouvernements soutenus par la finance internationale. Le mouvement social du printemps 2016, ainsi que le phénomène sous-estimé que fut Nuit debout, ont donné l’occasion à la gauche radicale de se refonder et de trouver en Jean-Luc Mélenchon un leader qui allait aspirer les socialistes déçus par le mandat de François Hollande. Résultat, une chute phénoménale du Parti socialiste lors des élections de 2017, chute dont il ne s’est pas relevé en 2022.
  3. L’abandon des haut fourneaux de la sidérurgie française. Selon moi, ce moment est d’un tragique qui continue de blesser le coeur des Français. C’est le péché capital de François Hollande qui ne pourra plus jamais se relever de cette mauvaise décision. La défense de ce patrimoine à la fois industriel, géographique et culturel était le marqueur absolu d’une politique patriotique. Rappelez-vous, les intérêts financiers d’un grand groupe décidaient de fermer les usines et haut fourneaux de Lorraine. Le scandale de cette décision n’est pas seulement le chômage de milliers de travailleurs. Le scandale profond est que cette industrie était compétitive, productive et autosuffisante. Selon les rapports de l’époque, et même les rapports internes d’Arcelor-Mittal, le site était « le plus rentable d’Europe ». Notre industrie produisait des métaux d’une qualité exceptionnelle et la France ne perdait pas un centime en laissant travailler ces gens et ces usines. Le gouvernement de François Hollande aurait dû se dresser contre les spéculations financières de certains et nationaliser temporairement ladite industrie comme les États-Unis venaient de le faire avec son industrie automobile. Cette option était viable, elle était défendue par toute la gauche, une bonne partie de la droite et de l’extrême-droite, et même par le ministre de ce gouvernement en charge du dossier. Ce n’était pas une rêverie d’utopiste, c’était le bon sens patriotique. Le président de la république a décidé d’arbitrer en faveur de l’abandon de la sidérurgie. Hollande a signé là son arrêt de mort politique.

François Hollande avait promis aux ouvriers de Lorraine que l’on pourrait nationaliser cette industrie si nécessaire. C’était devenu nécessaire et il a trahi ses engagements. Son ministre de l’époque affirme : « On aurait pu le faire, la solution était prête. On avait techniquement réglé le problème, on avait trouvé le financement. » (Voir cette vidéo à partir de 49:25). Il ne manquait que le courage politique, la volonté simple d’être pour les intérêts des Français. En lâchant l’affaire, Hollande a donné le grand Est aux partis d’extrême-droite. Si Marine Le Pen est si élevée dans les sondages d’opinion, c’est en grande partie à cause de ce qui s’est passé en 2012 dans cette grande région blessée, meurtrie, et finalement sacrifiée pour rien.

Voilà. François Hollande aurait pu être un bon président. Personne ne lui demandait d’être génial, ni de prévoir l’imprévisible, ni de régler des problèmes trop compliqués pour tout le monde. Il avait simplement à être logique, rationnel et conséquent dans ses actes.

Vive François Hollande, président précaire

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La sagesse précaire a apprécié la campagne de François Hollande en 2012, s’est réjouie calmement de le voir élu, et n’a pas à se plaindre, à mi-mandat, de sa manière d’être président. Au contraire, l’impopularité du président ne nous le rend que plus attachant et plus proche de nous.

Il est temps de s’élever contre ce discours ambiant selon lequel les Français auraient besoin d’un grand monarque prestigieux, d’un chef à leur tête, d’une prestance ou d’une grandeur. Non, nous ne voulons plus de ces souverains à la noix. Je cite l’éditorial du Monde daté d’aujourd’hui : « Le risque est d’apparaître comme un président ordinaire, banal, éventuellement sympathique, mais aux antipodes de ce mélange d’autorité et de souveraineté que les Français continuent d’attendre du chef de l’Etat. »

C’est faux ! Nous ne voulons pas, nous n’avons jamais voulu de personnages autoritaires et souverains. Cette tendance française, incarnée par Louis XIV et Napoléon, ne nous intéresse qu’un peu, et est bien moins attachante que d’autres tendances, plus constructives, moins autoritaires, incarnées par Saint Louis, Henri IV ou Mendès-France. Un catholique, un protestant et un juif, voilà notre trio de tête. Que ceux qui désirent un grand chef règlent leurs problèmes de libido en optant pour des pratiques sexuelles appropriées.

Les gens sont déçus, dit-on. Mais pourquoi le sont-ils ? Avant les élections, nous savions qu’Hollande n’était pas de gauche, c’est même pour ça qu’il a remporté les primaires de la gauche. Nous avons voté pour le plus flou de tous les prétendants et le plus centriste, afin de faire barrage à Nicolas Sarkozy. Nous savions par avance qu’il ne ferait pas de miracle, qu’il ne saurait pas réduire le chômage, qu’il augmenterait les impôts, qu’il se reposerait exclusivement sur les « cycles » pour voir le retour de la croissance.

On nous dit qu’il a trahi, mais je ne vois pas qui, ni quoi. Il n’avait rien promis. Dans mon billet de 2012, où je défendais sa campagne, je louais déjà son caractère placide et sans idée : tout son génie était de se présenter aux Français comme une page blanche sur laquelle nous pouvions projeter ce que nous voulions. Ce n’est pas facile d’être une page blanche. Si, aujourd’hui, des gens sont déçus, c’est qu’ils avaient bêtement cru aux promesses qu’ils avaient eux-même projetées  à l’époque sur cet écran neutre qu’était le candidat Hollande.

Le sage précaire reconnaît au président une merveilleuse constance dans la fragilité, l’esquive et l’adversité. Il est impuissant, comme tous les présidents, mais avec lui, au moins, cela se voit. Grâce à Hollande, il est enfin clair que la politique n’a pas beaucoup de pouvoir, et que le gouvernement ne peut presque rien pour nous. Pour ce rôle de révélateur (je file l’air de rien la métaphore du film, de la pellicule, de l’écran, de la page blanche, j’espère que le lecteur ne m’en voudra pas d’être un peu didactique), pour ce rôle qui incarne la fin de la toute-puissance politique, François Hollande restera dans l’histoire.

Condamné à l’impuissance, il pourrait s’agiter, s’afficher, gesticuler. Il n’en est rien. Il reste un homme normal et je l’admire pour cela. Il paraît que tous les présidents de la Ve république pétaient les plombs, pas lui. Il voit sa cote de popularité chuter, et il reste souriant, bonhomme. Il paraît que c’est le bordel à l’Elysée, tant mieux.

Je lui suis reconnaissant de rester ce qu’il est, et de ne pas nous embarrasser comme le faisait Sarkozy. Avec Hollande, pas de casserole, pas de corruption, pas de scandales financiers qui lui soient directement imputables. Pas de Rolex, pas de stars. Comme le dit Sarkozy lui-même, « on dirait les Bidochon en vacances ». Vive le président pavillonnaire, qui ne fait que passer. On respire enfin. Ses histoires d’amour nous sont relatées par une presse dont c’est le métier, mais lui, au moins, on lui sait gré de ne pas chercher à nous les imposer. Hollande persiste à être pudique, et la sagesse précaire lui tresse des lauriers pour cela. Il a mille fois raison de refuser de répondre aux journalistes qui le questionnent sur sa vie privée.

Profitons-en, chers amis, car les prochains présidents n’auront pas cette délicatesse, ni cette constance dans l’échec, et nous regretterons notre placide président, qui ne détourne pas d’argent, qui fréquente une belle actrice en cachette mais au vu de tous, qui travaille en bonne intelligence avec son ancienne compagne, qui ne s’enrichit pas outrageusement, et qui, surtout, ne joue pas au monarque républicain.

La Précarité du sage dans la Silicon Valley

Au bord du complexe de Google, Mountain View.
Au bord du complexe de Google, Mountain View.

Le président François Hollande est de passage dans la Silicon Valley, cela remue en moi de beaux souvenirs personnels. Tous les médias parlent de Google, de Microsoft, des nombreuses Startups qui font fortune en une nuit, mais pour moi, cette région est avant tout une matière, un climat, des rencontres, des saveurs.

Je me suis réveillé dans la Silicon Valley un peu par hasard. Je n’avais pas prévu de m’y rendre, mais comme j’étais en Californie, j’ai contacté mes amis américains, et des amis européens exilés en Amérique. A ma surprise, je connaissais pas mal de monde sur la côte ouest des Etats-Unis, et en particulier autour de la Baie de San Francisco.

Mes amis M. et L. élèvent leur petite fille dans une grande maison de la fameuse vallée. Californie. Soleil. Chaleur clémente. Universités. Fruits et légumes goûteux. La Californie est à bien des égards l’un des endroits les plus appréciables du monde. C’est une géographie bénie des Dieux. C’est pourquoi les Indiens Ohlone, notamment, y ont vécu heureux pendant des millénaires, et pourquoi nous, Européens, leur avons pris la place.

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La Silicon Valley n’est pas une « vallée de silicone », et encore moins une vallée pleine de femmes siliconées. D’abord ce n’est pas vraiment une vallée, mais une bande de terre séparée de la mer par une chaîne basse de montagnes, qui s’étend au sud de la baie de San Francisco, depuis Palo Alto jusqu’à, disons, Edenvale et Los Gatos. Une cinquantaine de kilomètres, le long desquels se concentrent les fameuses entreprises dont tout le monde parle.

Mes amis partaient à New York pour une semaine. Ils m’ont donc, sur un ton naturel, prêté leur maison, et m’ont laissé les clés d’une voiture. En échange de cette générosité, je les ai conduits à l’aéroport et ai effectué quelques menus travaux dans leur jardin.

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La palissade en bois qui délimitait la propriété était en mauvais état. Je me suis échiné à la nettoyer, la récupérer et l’enduire d’une teinture protectrice. Tous les matins, je me mettais torse nu et je bossais vaillamment au soleil levant de la Californie. Ces séances de travail manuel me faisaient du bien. Elles me remettaient les idées en place, car la vie de voyageur peut s’avérer anxiogène quand elle ne peut s’adosser à une routine structurée.

J’avais la sensation de payer mes amis par les muscles, par des litres d’huile de coude. La transpiration me faisait du bien, elle calmait mes angoisses et donnait un sens à mes journée.

Puis je passais le reste de mes journées à explorer les environs. J’allais visiter le campus de Google, dans la commune de Mountain View ; admirer les premières églises des missionnaires, à Santa Clara ; les petits musées qui mélangeaient art contemporain et histoire de la Californie. Je ne manquais pas de passer du temps dans les bibliothèques publiques. Je conduisais lentement sur la crête de la montagne qui borde la Silicon Valley, avec vue sur les vignes. Car pour moi, cette région est avant tout un lieu agricole, plus qu’une pépinière d’entreprises innovantes.

Parfois je garais la voiture et m’aventurais quelques heures, à pied, sur les chemins qui se perdaient sur les monts privilégiés de Saratoga.

Le souvenir que je retire de mon séjour à la Silicon Valley est très mystérieux. Je n’arrive pas à faire la synthèse des images qui me viennent à l’esprit.

La sagesse précaire parie sur François Hollande

Une vieille amie a fait son coming out : elle est de droite. Elle ne se limite pas à voter pour l’UMP. Elle milite, distribue des tracts, elle apprécie activement Nicolas Sarkozy, elle s’engage dans la campagne municipale de son parti, elle exprime un dégoût sans fond dès qu’elle évoque un socialiste. Sur les réseaux sociaux, elle étale une haine intacte vis-à-vis de François Hollande.

J’ai passé avec elle plusieurs soirées délicieuses. Elle cuisine admirablement et, quand elle vous invite, elle met toujours les petits plats dans les grands. Nous parlons politique. Elle n’imagine pas une seconde que François Hollande puisse être réélu en 2017. Elle est même certaine qu’il ne sera pas présent au second tour des élections présidentielles.

Nous en venons à faire un pari. C’est moi qui lance le pari : je t’invite chez Bocuse si Hollande ne passe pas le premier tour. Elle relève le pari. Elle m’invite chez Bocuse si Hollande se retrouve au deuxième tour.

C’est un pari onéreux, car la personne qui perdra devra débourser 500 euros. Mais c’est un pari gagnant-gagnant, car dans tous les cas, mon amie de droite et moi nous ferons une  bouffe mémorable.

Hollande/Sarkozy : la campagne 2012 est un chef d’oeuvre

Je ne comprends pas pourquoi l’on dit que cette campagne est ennuyeuse. Moi je la trouve magnifique. D’un point de vue littéraire, elle est absolument fascinante, et on s’en souviendra.

Un président sortant perdu d’avance, qui avait fondé sa légitimité sur l’esprit de conquête et de séduction, et qui ne séduit plus. Comme une femme en désamour, le peuple français le regarde gesticuler, avec un mélange de fascination attendrie et de dédain apitoyé, en se demandant quand même s’il ne va pas réussir son coup in extremis. L’histoire d’amour est clairement foutue, mais enfin on n’est pas à l’abri d’une rechute, le peuple français pourrait à nouveau succomber, à la faveur d’un moment de déprime. Mais c’est très improbable car chacun voit qu’il s’en mordrait les doigts le matin suivant, et que la rupture finale serait très amère.

En face de ce président discrédité et maladroit, un candidat qui parvient à être une case vide, une page blanche. Rondouillard, conciliant, accommodant, centriste, François Hollande se présente aux Français avec rien dans les poches, et ne leur dit rien. Il se présente seulement avec le minimum de propositions possible pour éviter de froisser quiconque. Face à un président sortant aussi calamiteux que Sarkozy, qui a fait tant d’erreurs et qui manque tant de noblesse dans son comportement, Hollande ne joue pas la hauteur dédaigneuse, mais il est magistral de platitude, de réserve, de passivité, de bonhomie respectueuse.

Le sage précaire aime bien Hollande. Il aime bien son côté chiffe molle, peu entreprenant, sans esprit de vengeance contre tous ceux qui l’ont insulté. Sa force, il la tire justement du fait que tout le monde le trouvait nul il y a à peine un an. Hollande, c’est un peu le héros politique du sage précaire. On se fout de sa gueule continuellement, et à la fin, c’est lui qui ramasse la mise, sans chercher à humilier ceux qui doutaient de lui.

Pour ceux qui apprécient Tolstoï, cet affrontement n’est pas sans rappeler la lutte à distance entre Napoléon et le général Koutouzov. Face au Français impétueux, que l’on croit irrésistible mais qui n’est en fin de compte qu’un agité du bocal qui trahit les idéaux de la Révolution française, le vieux général russe choisit le non-agir : refuser le combat, reculer, brûler les terres et les villes pour que l’armée française ne puisse pas se réapprovisionner, et qu’elle s’épuise toute seule. La stratégie est merveilleuse de simplicité et de rotondité : Napoléon perd toute contenance, son armée se liquéfie, se délite, et tout le monde doit rentrer en Occident, affaibli. Les Russes n’ont plus qu’à leur courir après pour les vaincre définitivement, mais sans combattre.

Les gens de droite, décontenancés, reprochent à Hollande de pratiquer l’esquive. Ils ont raison, et c’est ce qu’il faut faire. Sarkozy, que l’on crédite d’un talent fou pour gagner des élections, se prend lui-même les pieds dans le tapis, car il se bat tout seul, dans une plaine abandonnée. Qui connaissait Mathieu Pigasse avant qu’il en fasse un portrait acide ? Depuis que Sarkozy en a parlé, on s’est intéressé à ce banquier de gauche, fan des Clash, et ce jeune homme branché est devenu un des meilleur argument marketing en faveur de Hollande : sa présence dans les médias montre qu’avec la gauche au pouvoir, on pourra s’enrichir, et en plus on sera cool.

C’est cela le génie tactique de Hollande : sans faire appel à personne, par pure absence d’expression, des gens hauts en couleur le soutiennent et le poussent à la victoire. On fait toujours référence à Mitterrand, mais Hollande, ce n’est pas ça du tout : Hollande, c’est le Chinois taoïste de la politique française.

Tout cela fait une belle campagne électorale je pense. Si l’on y ajoute la figure de Jean-Luc Mélanchon qui réinvente l’art oratoire en politique, alors que la bonne vieille rhétorique avait été confisquée par Jean-Marie Le Pen depuis si longtemps, on a largement de quoi se divertir l’esprit, en attendant de finir sa thèse de doctorat.