Non je n’irai pas, vous dis-je! C’est contre mes principes.
J’ai beau m’expliquer, cela ne passe pas, je suis compris de travers.
Chaque année, les étudiants qui viennent de finir leur cycle d’étude se pressent aux cérémonies dites de « Graduation ». C’est l’occasion de revêtir une robe, ou une cape, codifiée en fonction du grade qui est le vôtre.
C’est une célébration bon enfant, où chacun se réjouit d’avoir terminé, et c’est l’occasion pour la famille de se réunir et de se photographier dans la grande université de la ville ou de la province.
Mais je ne peux pas me résoudre à participer à ce type de défilé. Pour la sagesse précaire, l’éducation doit être un projet collectif et universel, non un privilège. Et tous ces jeunes gens en costume de lauréat, ils ne célèbrent aucunement la connaissance, ni encore moins une découverte qu’ils auraient faite, ou une oeuvre qu’ils auraient produite. Ils célèbrent leur accession à un statut social envié.
Or l’université ne devrait pas être un lieu de compétition, mais un lieu de savoir. Dit comme cela, c’est quand même très banal.
Quand je vois la bonne société se réunir ici, sur le campus, pour se congratuler, je ne peux m’empêcher de penser que c’est la classe dirigeante qui vient parader pour bien montrer à la ville que la relève est assurée ; qu’une minorité d’individus a bien reçu, des mains de l’université, le droit de diriger les affaires de la collectivité.
Ce faisant, l’université perd sa vocation intellectuelle et culturelle pour vendre son âme aux plus offrants, c’est-à-dire aux classes sociales dirigeantes et aux entreprises capables de la sponsoriser.
Mais j’ai assez parlé de cela, dans un billet vieux de deux ans déjà.
Quand j’explique cela à mes amis, ils se moquent gentiment de moi, persuadés que je fais le grincheux. Peut-être pensent-ils aussi que je suis pingre, car cette cérémonie coûte 80 euros aux étudiants. Comme je veux seulement qu’on m’envoie mon diplôme chez moi, je ne débourserai « que » 15 euros.
Cependant, assistant ces jours-ci à de telles cérémonies pour accompagner des amis, je me suis mieux aperçu de la dimension émotive et sentimentale de la chose. Deux jeunes femmes, docteures en physique, m’ont appris à respecter ces poses et cette pompe.
L’une est originaire du Bangladesh. Elle s’est habillée en sari orangé, et les voiles de sa tenue traditionnelle se mêlaient à celles de la robe de lauréate occidentale.
Dans la roseraie du jardin botanique de Belfast, jouxtant l’université, elle resplendissait de couleurs. Au fond, ces couleurs abolissaient la distinction sociale, je ne saurais trop expliquer comment.
L’autre est une Macédonienne d’origine serbe. C’était la première fois qu’elle faisait partie d’une telle cérémonie, et elle eut plusieurs fois envie de pleurer. Triste que ses parents ne pussent être avec elle, elle nous remerciait d’être là autour d’elle et faisait des efforts infinis pour supporter la douleur causée par les souliers à talons.
Pour elle, ces couleurs et ces uniformes étaient le signe de la fin de la galère, et d’une immense fierté personnelle.
Cela ne me convaincra pas de me déguiser moi-même en docteur frais émoulu. J’ai quarante ans après tout, il y a des choses qu’on ne fait plus à quarante ans.
Mais maintenant, quand je vois ces jeunes filles se serrer contre leur père pour la photo, je comprends mieux la simple émotion familiale qui se dégage de tout cela.
De même que l’on comprend la volonté de marquer le coup des étudiantes que tu cites, tu as mon soutien dans ta volonté fort compréhensible de légèreté!
Il y a 2 ans, juillet en Chine, j’avais été convié à participer à la cérémonie de remise de mon diplôme en chinois langue étrangère, un diplôme passablement bidon qu’ heureusement, nous recevions gratuitement et sans que mes condisciples étrangers et moi-même ayons à porter les toges et autres toques d’inspiration américaine des étudiants chinois. C’eut été bcp trop lourd, dans tous les sens du terme, pour clôturer cette parenthèse étudiante.
Je me souviens surtout du sentiment doux amer du moment, de l’air chaud et des banians resplendissants. Le ciel était bleu et j’allais quitter un campus aux allures de mini paradis terrestre..
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En temps de crise, les citoyens se raccrochent à des symboles, comme le déguisement de docteur de l’université.
On peut vivre sans de telles mises en scène, encore faut-il avoir une vie.
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