Déambuler au Désert

J’arrive au Mas Soubeyran, dans la commune de Mialet, en pleine nuit samedi soir. Je me gare dans une clairière prévue pour le parking, les étoiles scintillantes au-dessus de moi. Je dors un peu dehors, sur l’herbe, un peu dans la voiture de location.

Le lendemain, trois jeunes gens, en gilet jaune fluo, me réveillent en criant autour de la voiture. Dans mon magnifique pyjamas noir satiné, j’affiche une élégance sans concession. Grognon et bougonnant, je descends sur le site de l’Assemblée, siphonné par les colonnes d’hérétiques qui coulent en entonnoir en direction de la chaire en bois.

Très beau site, sous l’ombre des châtaigniers et des hêtres. Non seulement ombragé, mais incliné et creusé en cône, comme un amphithéâtre naturel.

Dans les sous-bois en pente, les gens s’assoient un peu partout, librement.

Beaucoup de personnes âgées. Les habitués, qui forment la majorité, ont apporté des chaises pliantes de camping. A côté des rangs de chaises pliantes, de nombreux accidents de terrain permettent à des petits groupes, des couples ou des individus de se poser à géométrie variable.

Un rocher, un tronc, un trou, forment des petits salons dispersés très agréables à l’oeil. Déambuler dans l’Assemblée du Désert, c’est voir une infinité de tableaux de genre. Un charme visuel se dégage de cette réunion, au point qu’on dirait qu’ils posent. Qu’un metteur en scène les a placés ainsi pour donner une image de l’harmonie préétablie sur terre.

Je m’en ouvre à ma voisine septuagénère, qui est d’accord avec moi, et qui me répond avec espièglerie : « Mais nous avons été placés là par le grand Metteur en scène, que croyez-vous ? »

Souvent, des groupes forment des petits cercles. Plutôt que de faire face à la scène, à l’autel ou à la chaire, ils se regardent eux-mêmes et se font face en famille et ou en communauté. Je ne sais pas pourquoi et n’ose le leur demander. Ils sont plongés dans une méditation profonde.

Des femmes aux chevelures magnifiques trônent sur des rochers ou des murets en pierres sèches, exhibant leur chevelure en restant assises, et comme fait exprès pour attirer les convoitises, et ce faisant exalter la foi. L’une d’elle lit un numéro de La Réforme qui titre en une : « L’Eglise kiffe les jeunes ». Une version protestante des fameuses JMJ a eu lieu à Strasbourg, ou à Lyon,  sous l’appellation du « Grand Kiff ». Cette célébration de jeunes, attirant plus de 1 000 personnes, est décrite comme un franc succès.

Je vois un homme qui reste près d’une de ces donzelles aux cheveux blond venitien, et la reluque sans prêter attention aux paroles de la pasteure. La femme doit se sentir regardée, mais donne l’impression d’être ailleurs, parmi les anges. Le spectacle est étrange mais je me demande s’il n’y a pas là les ingrédients pour faire un couple heureux. Un homme lubrique et une croyante éthérée.

Dans les moments creux, un couple de retraités parle avec moi. L’homme est originaire de Nîmes et me confesse qu’il ne viendrait peut-être pas à l’Assemblée du Désert s’il fallait aller en Auvergne ou en Bretagne. Sa femme attire mon attention sur le livre qu’elle porte avec elle. Une monographie sur son arrière arrière grand-père qui fut un peintre du XIXe siècle. Elle vient en faire la promotion car le Musée du Désert rechigne à le mettre en vente alors même qu’il compte parmi ses collections plusieurs tableaux de ce peintre protestant. Elle est l’auteure du livre, mais ce n’est pas pour cela que son geste ne mérite pas d’être salué. En voilà une, pensé-je, qui sait ce que prêcher dans le désert signifie.

Pour la pause repas, tout le monde retourne à sa voiture, ou pique-nique dans les environs. Moi, je m’allonge à l’ombre d’un hêtre et rêve à des courbes. Un couple passe près de moi et peste contre la pauvreté du sermon de ce matin.

L’après-midi, des intellectuels laïcs vont prendre la parole et nous nous attendons tous à de la nourriture terrestre et céleste.

L’historien, chemise blanche enfoncée sous un pantalon taille haute, prend place à la chaire. Son discours veut lutter contre trois clichés, celui d’un protestantisme austère, celui d’une pratique prétenduement faible chez les réformés, et celui de l’éternel individualisme protestant. Il démontre alors que ses coreligionnaires sont plus pratiquants que les catholiques ; que loin d’être austère l’église est de plus en plus « kiffante » ; et qu’enfin les rassemblements tendent à être solidaires.

Il conclut un de ses paragraphes par ces mots plein d’enthousiasme contrit : « Austère ? Non. Grand Kiff ? Oui! »

Dans l’après-midi, le choeur se lance dans le Chant des Prisonnières de la Tour de Constance, en languedocien. C’est le signe de la fin des festivités. Les gens plient leur siège et, par grappes, retournent à leur voiture.

Je fais de même et tente une dernière fois de me faire offrir une visite guidée du Musée du Désert. Mon micro à la main, je suggère que c’est pour la radio suisse. Saperlipopette, si la carte du calvinisme helvète doit marcher quelque part en France, c’est bien à l’Assemblée du Désert! En vain, personne n’a le temps de s’occuper de moi. Le responsable des lieux me laisse sa carte de visite et m’invite à passer un autre jour.

Ce dernier échec signe la fin de ma déambulation à Mialet.

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